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Purée Muslim

Réflexions sur le complotisme, le communautarisme, la liberté d’expression et quelques autres fétiches islamophobes

par Nadia Mokaddem
23 mars 2015

Il y a des mots lancés dans l’espace public depuis quelques années pour nous faire taire et nous condamner au silence : communautarisme, complotisme, antisémitisme, république, laïcité et…le plus paradoxal liberté d’expression.

Lancés tantôt comme des accusations, des injonctions, des carcans à destination spécifique, ils me font raser les murs et taire ma détresse devant tant d’assignations mensongères. Parfois. Mais là c’est fini de raser les murs et de se retrouver englué dans des fariboles qui seraient censées raconter qui je suis et comment je devrais penser ou me taire.

Où est cette communauté dont ils parlent et qui se liguerait pour me faire obtenir des avantages, des communautés d’intérêt protecteur, ce communautarisme là je le vois à l’oeuvre mais pas chez les classes populaires issues de l’immigration. Je n’ai rien vu de tel, par contre j’ai compris qu’on m’a détourné d’une possibilité de créer cette communauté là pour comme dans toute société fonder un contre pouvoir sain, vital et protecteur contre les attaques dont les gens comme moi font l’objet. On pourrait accuser les syndicalistes, les féministes, les clubs de folklore local d’être communautaristes mais ils ont bien une raison d’être, ces espaces là.

Parce que depuis dix ans, on s’acharne dans l’espace public à faire du musulman une tache, un élément qui ne devrait pas rentrer dans le décor, on a commencé par exclure sans vergogne des jeunes filles voilées de l’école. 2005, tout bascule dans ma vie, je regarde ces profs que j’avais tant admirés se déchaîner sur des jeunes filles. Et je sens bien qu’ils aimeraient bien à tout prix prouver que ces filles et leurs frères sont des dangers publics. En allemand il y a un mot que je ne sais pas traduire schadenfroh, un schadenfroh c’est quelqu’un qui nourrit son contentement et son bien être du désastre et de la catastrophe, il les souhaite pour s’en frotter les mains et se repaît du malheur, il le surplombe et en appelle à la dévastation pour afficher un sourire de satisfaction, il est content du malheur des autres, et parfois même sa nature l’incite à provoquer des naufrages pour mieux observer en s’en frottant les mains depuis sa rive tranquille et cynique les noyades et bris de bateau qui déchirent les flots.

Quand j’ai vu mes collègues s’acharner sur leurs élèves voilées, puis sur moi quand j’ai osé dire que je ne cautionnais pas ça au nom d’une laïcité revisitée à la sauce répressive. J’ai fait l’objet d’une expertise psychiatrique, d’une convocation brutale au rectorat, d’une convocation violente dans le bureau de la proviseur alsacienne, et j’ai été l’objet de délations et de fantasmes.

Depuis les frères Kouachi, il faudrait se taire et regarder les Schadenfroh exulter de leur : « Ah vous voyez on vous l’avait bien dit, ça devait arriver. On a tout laissé passer, tout laissé faire. »

A ceci près que ce n’est ni vrai ni juste. On n’a rien passé, rien laissé faire. On a matraqué et traqué sournoisement et méthodiquement une catégorie de la population en se drapant dans des grands principes hypocrites. Depuis dix ans tout ce qui est décrété, vécu ou pressenti comme proche de la culture musulmane se voit taxé de suspicions qui vont très loin : ostracisme, racisme, sanctions professionnelles, exclusions, mises au ban quand ce ne sont pas agressions physiques et verbales. Il est devenu de bon ton et de bon teint depuis plus de dix ans dans ce pays de casser du identifié musulman et de lui gueuler on est en République parce qu’on ne peut pas toujours quand on s’avoue de gauche gueuler on est en France ici à quelqu’un dont on sait bien qu’il est français et puis ça ferait trop front national et on n’est pas racistes à gauche, on aime juste une idée de son pays qui n’existe que dans leur tête. Faire accoucher au forceps une identité fantasmée coûte que coûte, la France ce serait ça et pas autre chose.

Pour les gens comme moi, née en Bourgogne de parents algériens nés en 24 et 32, c’est épuisant. C’est aussi un rouleau compresseur permanent sur ma capacité à sublimer le réel et à faire de ma vie et de cette société quelque chose de beau et de large. De fédérateur.

Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête de ces deux frères Kouachi et je ne crois pas au mot terrorisme qui est plaqué dessus. Le terrorisme j’ai toujours pensé que c’était quelque chose de construit et sous-tendu par au moins une once de réflexion pratique et idéologique. Ou c’est aussi parfois comme ce fut le cas en Algérie un brouillard orchestré de barbaries pour que des apparatchiks installent davantage leurs privilèges.

Quand on pose la question que s’est il réellement passé et qui a instrumentalisé ces deux êtres-là, on vous regarde comme un complotiste. Dans cette « grande démocratie » qu’est la France, je trouve toujours curieux qu’on soit obligé de dézinguer un meurtrier recherché ou un forcené comme les média disent. On ne les entendra pas puisqu’on les a dézingués. Exit l’enquête et exit nos interrogations sur ce qui a produit cet acte. Exit l’exercice de la justice et d’un éventuel procès qui aurait permis une enquête.

On me demande de croire aveuglément à une version d’Etat. Cet Etat qui est capable de mentir, de couvrir des meurtres policiers, de traquer les plus démunis et d’aller s’engager dans des guerres qu’on ne lui a pas demandé d’aller faire. Que fait Monsieur Hollande au Mali, en Centre Afrique et dans tous les coins où on peut aller ravager et peut être mieux implanter son influence économique. On appelle ça des guerres humanistes.

Je n’ai pas vu des millions de gens dans la rue se lever et dire je suis SDF, je suis Rom, je suis chômeur, je suis vieux retraité précaire, je n’ai pas vu de France se lever et s’insurger contre cette prolongation de la folie des schadenfroh à s’acharner sur un enfant de 8 ans qui ferait l’apologie du terrorisme.

Il serait la tête pensante de ce réseau si dangereux et moi sa leadeuse parce que je ne crois pas à toutes ces sornettes et que je dis arrête ton char et de nous vendre ta concorde nationale comme un nouveau parfum de luxe qui couvrirait l’odeur de misère sociale et idéologique qu’on distille dans nos vies ici.

Le PS me fait très peur, il y a longtemps quand j’étais petite je croyais que c’était un parti de gauche. Puis je les ai vus s’amuser à jouer avec le Front National et jeter des gens comme moi en pâture, à ce parti, à la vindicte populaire. Comme toutes ces puissances qui jouent avec des diables que, soit elles contribuent à faire émerger, soit elles créent de toutes pièces. Puis la magie du maléfique opère comme dans The wire, où un journaliste invente l’existence d’un serial killer SDF, jusqu’au jour où pour de vrai un SDF finit par tuer pour exister dans cette nouvelle niche médiatique. ça s’appelle l’autoprophétie réalisatrice et les schafenfroh en raffolent et après ils viennent moi me traiter de complotiste.

Je ne suis pas une bombe à retardement, j’explose de colère quand ça me semble justifié mais je ne rentrerai pas dans cette manipulation qui conduit à ce que je me fasse peur à moi même dès lors que je ne pense pas comme la propagande actuelle. On connaît l’inquiétante inquiétude des parents qui disent à leurs petits tu vas tomber, tu vas tomber tu vas tomber. Et souvent oui ça marche, l’enfant tombe il a perçu la peur et la menace et son corps a enregistré l’inquiétude comme mode d’emploi et d’organisation.

Alors nous devrions nous boucher les oreilles et écouter notre rythme cardiaque devant les assauts de cette République devenue folle qui nous dit : tu es dangereux tu es dangereux tu es dangereux tu vas te taire tu vas te taire et obéir en chantant la marseillaise.

Monsieur Hollande, et tous vos premiers de la classe Valls, Belkacem et autres nouveaux prêcheurs de catéchisme républicain : Nous ne nous tairons pas, nos vies nous appartiennent, vous dites n’importe quoi de ce pays que nous connaissons mieux que vous de bas en haut et de haut en bas parce que nous y sommes nés, y avons vécu et expérimenté ce qui se trame dans le jeu social français et sa petite mythologie de nuit.

La France et ses hommes d’Etat s’est toujours employée elle même à tuer ce qui fait la beauté de cette communauté. Quand vous parlez de la grandeur de la France, je me demande pourquoi vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, ni ne pratiquez ici et maintenant.

Nos vies ne vous appartiennent pas.

Et ce mot socialisme de grâce arrêtez de vous le coller au front. C’est du faux-cialisme. Parce que dans votre projet politique vous faites comme si vous parliez du ciel mais vous nous poussez vers la tombe. Aucun projet politique, aucun rêve, aucune vision subtile de ce qui fait la complexité et le potentiel de joie de ce pays. Le Parti fauxcialiste et ses guerres de religion et sa clique de gens lisses, propres sur eux tantôt me fait peur, tantôt me donne le vertige devant autant de mauvaise foi et de cynisme navrant.

L’arrivisme et la bigotterie laïcarde comme seul horizon, souvent je pense que vous polluez le ciel comme nos vies.

Quand j’étais petite, je pensais que le parti socialiste était un parti de gauche. Ben j’m’avais trompé mais on se demande bien pourquoi j’m’avais trompé…

Mais bon ça semble marcher comme dans la pub : « quand je fais de la purée Muslim, je suis sûre que tout le monde en mangera. »