
Quand je veux, si je veux est un film construit entièrement à partir d’entretiens avec des femmes vivant dans la France d’aujourd’hui. Il est ponctué de sons d’archives qui nous replongent dans les combats des années 1970 pour le droit à l’avortement, mais l’essentiel de sa trame – et de sa force – est constitué par la parole d’une douzaine de femmes de tous âges racontant leur expérience de l’avortement.
Les auteur-e-s ont choisi de se concentrer sur cette parole, sans nous en dire plus sur leurs trajectoires amoureuses et conjugales, sur leurs métiers ou leurs idées, et nous n’en ressentons jamais le manque. Car c’est avant tout pour saisir le sens d’une expérience que ces femmes ont été interviewées, et cette parole resserrée permet de construire l’avortement en sujet à part entière.
Il est en effet important d’y revenir, même s’il se dit souvent que le droit à l’IVG est désormais acquis. D’autres films, d’autres ouvrages, ou encore l’expertise militante et professionnelle, ont souligné tout ce qui, dans la loi, dans l’accueil médical et dans la prise en charge, limite encore ce droit. L’intérêt propre du film de Susana Arbizu, Henri Belin, Nicolas Drouet et Mickaël Foucault est d’aider à comprendre, de manière tangible, concrète, ce qui a été véritablement accordé aux femmes. L’expérience qui est ainsi donnée à voir et à entendre vient éclairer ce qui a longtemps été occulté, fantasmé, considéré comme une abomination, un meurtre, un crime, ou a minima un calvaire, une souffrance, un traumatisme : l’avortement, donc.
Car justement, nous disent ces femmes, l’avortement n’est pas un traumatisme. Il peut être difficile, douloureux, pénible (parce que l’annonce d’une grossesse laisse entrevoir des possibles aux conséquences considérables, elle soulève des questions), mais la réponse des interviewées est souvent très claire : ces femmes tout simplement ne voulaient pas d’enfant, et n’en ont conçu, en réalité, aucune honte. Un des grandes vertus du film est là : il nous montre des femmes qui ont été confrontées, pour certaines, à la culpabilisation (comment peut-on encore tomber enceinte alors que tous les moyens de contraception sont disponibles ? pourquoi ne pas vouloir un enfant quand on est "en âge de", en couple stable ? etc) mais qui ont su y résister, ou la dépasser, sans qu’elle laisse trop de séquelles.
Certes, le manque d’information est problématique, l’accueil des femmes qui veulent avorter est loin d’être parfait, et dans certains récits la douleur physique et les insatisfactions sont présentes. Mais jamais le regret. Nous voyons des femmes fortes, fortes en tout cas dans leur réflexion. Des femmes qui affirment leurs désirs et leurs envies, et affirment surtout vouloir choisir. L’idée essentielle qui est ainsi transmise à travers le film est à la fois évidente et joyeuse : la maternité n’est pas une nature, elle ne relève pas d’un instinct, et elle ne dessine pas l’horizon obligatoire et obligatoirement désiré des femmes. Elle est une éventualité, que certaines choisissent, d’autres non.
Au-delà d’un propos plus ou moins consensuel sur les différentes manières de vivre l’avortement, Quand je veux, si je veux propose un vrai point de vue féministe. Il le fait aussi en dévoilant un autre aspect, moins positif, de cette expérience. L’avortement est un droit au regard de la loi, mais les femmes sont toujours tenues de rester discrètes, nous disent plusieurs protagonistes du film. Un interdit social continue de planer sur celles qui avortent, en tout cas une injonction au silence ou au quasi-silence : ne pas en parler trop, trop fort, à trop de gens – trop « à la légère ». Comme s’il fallait être reconnaissante et, en ayant recours à la possibilité qui est désormais accordée par la loi d’avorter, admettre tout de même une faute, une erreur, une défaillance.
L’avortement, c’est en somme comme les règles : ça existe mais on n’en parle pas, car c’est un peu sale. En faisant entendre une parole non autorisée, et en le faisant sans pincettes, sans excuses, sans diplomatie, le film de Susana Arbizu, Henri Belin, Nicolas Drouet et Mickaël Foucault contribue à lever le tabou et le stigmate, et à faire reculer cette sempiternelle obligation de discrétion, de réserve ou de tristesse, qui est consubstantielle de la domination masculine. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.