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Quelle cuisson, pour votre gauche ?

Retour sur le « wokisme »

par Sebastien Fontenelle
20 octobre 2021

Nous sommes beaucoup à nous demander ce que c’est que le « woke », qui en est venu à désigner des choses aussi différentes que des réunions non mixtes, un film de James Bond, ou encore, si l’on en croit Blanquer, une « idéologie qui a amené Donald Trump au pouvoir ». Tombant une nouvelle fois dans le piège classique de l’arme de délégitimation, certains à gauche semblent, eux aussi, avoir entériné l’idée qu’il s’agirait d’une chose identifiable, d’un ensemble clair d’idées et de gens. Sébastien Fontenelle remet un peu d’ordre dans cette grande confusion.

Je n’ai toujours pas bien compris pourquoi - et à quel titre - Olivier Faure, premier secrétaire du PS, se sent autorisé à dire ce que la gauche doit être et faire, mais le fait est que le gars semble être passé en mode coach de vie, et qu’il vient encore de lui distribuer, lors de l’université d’été de son parti, de tranchantes prescriptions. Il a ainsi (et notamment) proclamé que : « La gauche, plutôt que de s’égarer sur les chemins du woke, doit fermement s’ancrer aux valeurs de l’universalisme républicain. »

Et ça, me suis-je d’abord dit en découvrant cette harangue, c’est quand même fort de café, parce qu’attends : c’est pas parce que t’as semble-t-il bloqué sur les cocottes en fonte émaillée que tu peux tout te permettre, hein ? Si j’aime faire sauter mes nouilles au seitan sans les noyer dans l’huile, qui es-tu, sérieusement, pour me priver de mon wok ?

Puis j’ai tout de même réalisé que je m’étais mépris, et que le patron du PS ne parlait pas du tout de nos ustensiles de cuisson, mais bien « du woke  », avec un « e » à la fin.

Fort bien, mais qu’est-ce ?

Il s’agit, d’après Wikipédia, d’un « terme anglo-américain » qui peut se traduire en français par «  éveillé », qui « désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale », et qui «  s’applique à toute personne qui serait consciente des injustices de l’oppression qui pèse sur les minorités  ».

Par conséquent, la directive d’Olivier Faure doit en réalité être comprise comme suit : « La gauche, plutôt que de s’égarer sur les chemins de la prise de conscience des injustices de l’oppression qui pèse sur les minorités, doit fermement s’ancrer aux valeurs de l’universalisme républicain. »

Dès lors : tout s’éclaire - et il faut concéder au boss des socialistes qu’il a du moins le mérite d’une relative sincérité.

Car de fait : la dernière fois que son parti a été aux affaires, il a (encore) procédé (à grands coups de 49.3) à l’imposition de réformes antisociales. La dernière fois que le PS a été aux affaires, son président en exercice - l’inoubliable M. Hollande - a très calmement excrété, dans le cours d’entretiens avec deux journalistes du Monde [1], et à l’unisson de l’extrême droite plurielle [2], qu’il y avait «  trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là ». La dernière fois que le PS a été aux affaires, son Premier ministre en exercice - l’oublié M. Valls - a très posément craché que « les Roms » avaient vocation «  à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ».

De sorte qu’en effet : ce parti s’est régulièrement illustré par son indifférence aux problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale, et par son insensibilité aux afflictions des minorités.

Et du coup, je comprends soudain pourquoi je ne comprenais pourquoi - et à quel titre - Olivier Faure se sent autorisé à dire ce que la gauche doit être et faire : c’est parce que tout ça ressemble quand même beaucoup à la droite.

P.-S.

Cette chronique est parue dans l’hebdomadaire Politis.

Notes

[1Un président ne devrait pas dire ça, par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock, 2016.

[2Copyright Pierre Tevanian.