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Qui veut sauver la virilité ?

À propos d’une rengaine à la mode : le féminisme, ça va trop loin !

par Sylvie Tissot
20 octobre 2024

Ah le simplisme des sociologues, leur obsession de la déconstruction, leur insensibilité à la complexité et à la beauté de la vie, leur incapacité à voir plus loin que la domination... Commentant, du haut de sa hauteur philosophique, l’affaire des viols de Mazan, Sylviane Agacinski nous invite à de nous méfier de la « fragilité du concept sociologique de genre » et à ne pas jeter les jolis bébés virils avec l’eau du bain patriarcal.

« La virilité est autre chose qu’un genre », nous explique-t-elle dans une tribune parue dans Le Monde, dont l’objectif, en faisant classiquement le tri entre les bonnes indignations et les trop radicales [1], est de sauver l’idée de virilité.

Curieuse croisade, et mystérieuse formule.

Derrière lesquelles se cache un refus obstiné de voir dans les normes viriles la traduction d’un rapport hiérarchique, qui divise l’humanité en deux groupes censément dotés de qualités différentes.

C’est ce que les sociologues féministesnous ont appris : la virilité s’incarne dans des manières d’être et de faire qui, en s’opposant à celles des femmes, posent l’infériorité de celles-ci. Les petits garçons deviennent des petits garçons en apprenant qu’il ne faut pas se comporter comme des petites filles.

Il y a bien-sûr de multiples manières d’investir la masculinité et les masculinités ne sont pas toutes hégémoniques. Mais on doute que Sylviane Agacinski, ennemie de « l’homoparentalité », puise dans les masculinités marginales, celle des hommes gais ou trans par exemple, pour repenser la virilité.

Cela apparaît d’autant moins probable quand on lit, dans la même tribune, cette définition assez sidérante de la virilité comme « puissance physique et sexuelle ». Alors qu’elle reproche aux féministes de faire de la masculinité quelque chose de « naturellement » dominateur, c’est bien plutôt dans son argumentation à elle que la nature revient au galop, au nom d’on ne sait quel invariant anthropologique, d’on ne sait quel principe philosophique, d’on ne sait quelle réalité biologique, physiologique, ou peut-être astronomique...

Et ce retour à la nature est, en outre, bien peu charitable pour les hommes que Sylviane Agackinski prétend défendre comme les méchantes féministes, puisque la « possibilité du viol » réside, elle le dit en toutes lettres !, dans ladite puissance.

Curieusement, il n’est pas envisagé d’en finir avec cette « puissance » délétère, mais bien plutôt de la contenir, en apprenant aux hommes à « se retenir » et à « maîtriser leurs pulsions » (non Dominique Pelicot, calme-toi, pas plus d’un violeur par semaine). Tout un programme...

Les hommes pourraient ainsi devenir « décents » (promis-juré, on arrête les blagues de cul et les mains au fesses) et « civilisés » (on n’est pas des ploucs, ni des jeunes-des-banlieues).

On n’ose dire à Sylviane Agacinski que beaucoup de féministes risquent d’être peu attirées par cet idéal très socialement situé. Beaucoup, par ailleurs, s’intéressent, en vrai, bien plus à leur propre empouvoirement qu’à cette étrange « puissance ».

Le backlash contre les « féministes morales », que dénonce Bégaudeau, tout vexé qu’on l’ait traité de sexiste, ou encore, comme l’écrit Sylviane Agacinski avec plein de guillemets et d’italiques genre beurk-beurk, contre les « théoriciennes de la « domination » et du « patriarcat » », est à la mode. Mais même Caroline Fourest [2] n’empêchera pas qu’elles aillent... encore plus loin.

Notes

[1Pour d’autres exemples, lire legrand(c** ?) ou encore réinventer l’amour, oui, avec badiou, non.

[2Ceci est d’ailleurs un appel officiel aux bonnes âmes qui auraient le courage de lire ce livre et d’en proposer un compte-rendu critique pour Les mots sont importants.