Régulièrement quelques hommes de gauche prennent leur plume pour donner leur avis (non sollicité) sur le féminisme. Ils n’y connaissent pas grand-chose. Et de fait pourquoi s’y intéresser ? Dans les traités de bienséance à destination des femmes rebelles (comme le dit très sérieusement Badiou : « je traiterai dans ce chapitre du féminisme »), quelques thèmes, toujours les mêmes, permettent de se hisser rapidement au-dessus de la mêlée. J’en distingue cinq.
1) Les anciennes féministes (c’était mieux avant).
Il y a le vrai féminisme, celui qui plait aux hommes et celui qui ne leur plait pas, souvent qualifié de « néo-féminisme ». Le premier, Badiou le célèbre, grand prince, à travers « ses héroïques ancêtres » – nouvelles entrantes, la chance, dans le Panthéon du maître.
Qui sont-elles ?
« De Virginia Woolf à Simone de Beauvoir, voire de Jeanne d’Arc à Joséphine Baker ».
Notez le « voire ». On se réserve quand même le droit de contrôler la short list.
Notez aussi la soigneuse absence des féministes de la seconde vague, sans doute déjà coupables à l’époque, de « féminisme contemporain ».
2) La délation (c’est pas bien).
Une fois fait ce salutaire rappel historique, venons-en au coeur du sujet : dénoncer les hommes sexistes et violents, c’est mal, c’est de la DELATION (genre collabo de la Seconde Guerre Mondiale). Dans la version gauchiste – pardon communiste – de Badiou, ce serait aussi une abjecte compromission avec les forces de l’ordre : les féministes alliées objectives des flics et des juges, on a déjà vu ça.
Preuve ultime que les femmes qui recherchent sans doute tout simplement de l’aide et un peu de justice sont dans l’erreur, Badiou exhume ces fameuses « femmes de sa connaissance » qui, jamais ô grand jamais, ne tomberaient dans cette « infamie ». J’ai des amies femmes…
Silence radio, donc. Assez de cette « suspicion permanente » !
3) Les réseaux sociaux (pas bien non plus).
Et si, arrêtant de se complaire dans ces « chicanes identitaires » (sic), les féministes, tout simplement, lisaient Platon (sic) ? Pour enfin faire « la différence entre une opinion et une connaissance vraie de l’autre » au lieu de passer leur temps sur Facebook et Twitter ?
4) Et Margaret Thatcher alors ?
Au cas où subsisterait l’idée que la parole des femmes (et pas seulement celle des amies de Badiou) n’est pas complètement dénuée de valeur, on dégaine l’inusable argument :
« Qu’une dame anglaise puisse, comme Margaret Thatcher, lancer la contre-révolution des années 80 doit-il être d’abord analysé comme une victoire féministe ? »
Féministes : alliées objectives des flics, des juges et du capitalisme.
Variante possible avec Angela Merkel.
5) « L’amour, l’amour seul »
Une fois évacuée la « fausse piste » que constitue la « question du genre », Badiou ouvre le seul, le vrai horizon : celui de l’amour. Sur lequel, dit-il, « le féminisme ne dit très exactement rien [et] se contente d’affecter une indifférence soupçonneuse concernant ce rapport ».
On ne perdra pas son temps à conseiller à Alain Badiou de lire Mona Chollet (qui risque de beaucoup l’énerver lui aussi [1]).
Pour rigoler un coup, citons juste ce dernier élan du cœur, qui clôt la section :
« L’amour, l’amour seul, inscrit la différence identitaire, au-delà de la séparation, à travers la construction d’un monde commun quoiqu’expérimenté dans la différence elle-même. L’amour est le devenir différencié du commun ».
Mmmhh : différencié, commun, séparé, ensemble, je m’y perds.
Nous, on fera tout simplement : entre égaux-les.