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Résister ensemble à l’offensive néo-libérale

par Raisons d’agir
1er octobre 2003

Pendant que le Président de la République bravait l’empire américain en se faisant le défenseur de la légalité internationale, le gouvernement, chargé de l’intendance, s’affairait à la préparation de la fameuse " réforme " qui comblerait enfin le retard pris sur une société américaine depuis longtemps affranchie des contraintes archaïques de l’État social. Non sans rouerie : comme le Premier ministre diminue les impôts au nom de " la France d’en bas " qui n’en paie pas, comme le ministre de l’Intérieur multiplie les effectifs policiers pour protéger les biens de ceux qui n’ont rien, le ministre des Affaires sociales prétend sauver l’État social - en l’occurrence, le système de retraites par répartition - en lui portant un coup fatal. La remise en cause des droits acquis est, disent-ils, indispensable pour " sauver l’emploi " : il faut aligner d’urgence le sort des fonctionnaires sur celui des salariés du privé et celui des salariés français sur celui des salariés polonais. Pour sauver les emplois de " la France d’en bas ", l’alignement ne saurait se faire que vers le bas. Qu’à cela ne tienne, " la réforme " a bonne presse : ceux qui s’y opposent sont inlassablement dénoncés comme " conservateurs " et " rétrogrades ". Ainsi joue-t-on à fronts renversés et voit-on les petits marquis dénoncer les privilèges des sans-culottes.
Il faut beaucoup d’aveuglement ou de complaisance pour faire crédit à des pompiers incendiaires qui prétendent " sauver les meubles ", alors qu’ils profitent d’une majorité parlementaire inespérée et de la cote miraculeuse du Président de la République dans les sondages, pour accélérer et amplifier des " réformes " inscrites dans un programme de remise en cause systématique des conquêtes sociales du XXe siècle et de liquidation méthodique des services publics. Véritable guerre engagée contre les droits sociaux, elle invoque les nécessités inéluctables de la démographie et de l’économie et les Tables de la Loi des directives européennes, pour tenter de justifier une révolution conservatrice qui dépasse, il est vrai, le cadre français.
Ce fatalisme que conforte l’unanimité sans faille des gouvernements et des médias, qu’ils soient " de droite " ou " de gauche ", dissimule mal un activisme néo-libéral fébrile. La réforme des retraites vise l’allongement de la durée de la vie active (par ailleurs de plus en plus précaire), la réduction du montant des pensions, l’uniformisation vers le bas des différents régimes et le développement des fonds de pension et de l’épargne salariale. Cette prétendue solution " technique " à un problème " objectif " n’est que le prolongement logique des thèses de doctrinaires dogmatiques qui étendent leur emprise à l’ensemble de l’économie - secteurs public et privé confondus - et détruisent, une à une, toutes les protections conquises par les salariés contre les conséquences dévastatrices de l’économie de marché.
S’efforçant de flatter le " bon sens " d’une " France d’en bas " - supposée ancrée dans les " terroirs " et hostile à la " bureaucratie " - le Premier ministre, présent sur tous les fronts, s’en prend aussi aux services publics. Avec la décentralisation autoritaire engagée dans l’Éducation nationale, s’amorce une véritable destruction de l’égalité républicaine des droits : droits à l’éducation aujourd’hui, droits à la santé demain. La baisse dramatique des budgets publics dans l’éducation et la recherche, le non-renouvellement massif des emplois de fonctionnaires et les restrictions tous azimuts dans les autres administrations et ce qui reste des services publics, promettent un désengagement généralisé de l’État à l’exception du monopole de la violence légitime.
Sous la pression du patronat, de la Commission européenne et de l’Organisation Mondiale du Commerce, le gouvernement, qui a renoncé à toute intervention face aux licenciements, continue de déréguler et de privatiser les services publics, contribuant activement à la montée du chômage et de la précarité de l’emploi qu’il prétend combattre. Depuis un quart de siècle, l’État néo-libéral allège les charges et les contraintes des privilégiés, des entreprises et du secteur financier, et pèse de tout son poids sur des salariés précarisés, des chômeurs culpabilisés et des fonctionnaires montrés du doigt pour qu’ils se soumettent, de gré ou de force, au nouvel ordre économique, " horizon indépassable de notre temps " : à l’écran, " les grands communicateurs " s’efforcent de convaincre ; sur le terrain, les ministres de l’Intérieur et de la Justice durcissent chaque jour le traitement pénal de la petite délinquance, de l’immigration et de la misère.
Face à cette nouvelle offensive, d’un cynisme et d’une cohérence inégalés, le temps n’est plus aux luttes défensives et désordonnées qui, d’aménagements partiels en concessions anticipées, ne conduisent qu’à la démobilisation et au renoncement. Certes, le mouvement alter-mondialiste gagne du terrain et affirme ses exigences démocratiques de contre-sommet en contre-sommet, mais l’heure est à une contre-offensive générale. Un peu partout en Europe - en France, en Allemagne, en Italie, en Autriche - on entend déjà la révolte qui gronde. La résistance peut s’amplifier, pour peu que l’on travaille à unifier et élargir les revendications, à étendre le combat et à construire un utopisme raisonné : " Un autre monde est possible ! ". Aujourd’hui, il faut montrer l’exemple en opposant un veto résolu aux politiques néo-libérales.
Nous, chercheurs, enseignants, écrivains, artistes, appelons l’ensemble de nos concitoyens, salariés du secteur privé et du secteur public, chômeurs, jeunes et retraités, femmes et hommes, à résister par tous les moyens à cette offensive qui annonce un changement de civilisation : par la grève générale et par toutes les formes d’action symboliques et pratiques que nous saurons inventer.

Association "Raisons d’Agir"

P.-S.

La liste des signataires est disponible sur le site de l’association.