M. Hortefeux ment de façon tranquille, avec suffisamment de calme et d’assurance pour convaincre une bonne partie des auditeurs qu’il dit la vérité. Après tout, la Cimade se « plaint » des conditions de rétention et évoque souvent ses difficultés à réaliser correctement les missions qui lui sont confiées, alors pourquoi ne pas croire ce qui est dit. Les propos du ministre sont d’autant plus convaincants que, certes, rien ne justifie qu’une seule organisation intervienne. Rien ne justifie davantage, appel d’offres et marché public obligent, que ce soit forcément la Cimade qui soit choisie. Tout cela est revêtu de cette logique implacable qu’on appelle le « bon sens » dont le présent gouvernement use et abuse.
En vérité, le ministre n’aime pas qu’on le contrarie et qu’on re mette en question ni même qu’on s’interroge sur la politique qu’il entend afficher et mener. Et la Cimade, avec ses rapports d’activité critiques sur les lieux de rétention et ses prises de position dénonçant les pratiques et l’évolution de la réglementation dans le domaine du droit des étrangers est devenue à ses yeux un élève bien trop remuant. Le ministre y était déjà allé de son petit mensonge avant l’été : faisant croire à la Cimade que peu de choses changeraient et qu’elle pouvait déjà rassurer ses salariés. Or il s’avère que le décret du 22 août 2008 sur la rétention et le nouvel appel d’offres rendu public début septembre sont en contradiction complète avec les « promesses » de M. Hortefeux.
Sans aller dans le détail de ce qui a été courageusement décidé en pleine trêve estivale, donnons les principaux éléments du débat et points sujets à critiques. Selon l’appel d’offres « relatif au marché pour l’information, en vue de l’exercice de leurs droits, des étrangers maintenus dans les centres de rétention administrative », le marché est découpé en huit « lots », proposés à toute personne morale intéressée et définis en fonction d’un critère géographique. Les associations qui souhaitent postuler ne peuvent pas se concerter pour constituer un groupement informel. On veut faire jouer la concurrence, comme dans n’importe quel marché public. Mais on veut surtout empêcher qu’un seul opérateur ait une vision d’ensemble de la rétention en France. Il est clair qu’une association présente dans seulement quelques lieux de rétention aura moins de légitimité pour dénoncer les conditions générales de privation de liberté que ne l’a à l’heure actuelle la Cimade.
Mais la vraie question tient dans le choix des heureux élus : comment un ministre qui n’aime pas être contrarié ne serait-il pas tenté de sélectionner ceux qui sont parmi les plus dociles et taisants les moins critiques ? à l’égard de la politique d’asile et d’immigration conduite par la France ? Ce risque existe. Comment en douter eu égard aux propos entendus cet été sur les associations de défense des étrangers : certaines ont été accusées d’avoir « mis le feu » à Vincennes et au centre de rétention du Mesnil-Amelot [1] ; d’autres sont soupçonnées de gaspiller l’argent de l’État via les subventions, sans, paraît-il, aucun contrôle sur l’utilisation desdits fonds… [2] L’appel d’offres, lui-même, donne d’ailleurs le tempo et définit explicitement les qualités que l’État attend des candidats : « en tant que prestataire de l’État, le titulaire s’engage à respecter une stricte neutralité au regard de situations individuelles rencontrées, que ce soit dans ses publications, ses communications publiques ou dans le cadre de l’exercice de sa profession ». La sanction suit dans la disposition suivante : la convention sera résiliée sans indemnité en cas de non respect de l’obligation de neutralité.
L’objectif à terme est, à l’évidence, de museler les personnes mora les qui vont obtenir le marché, de rendre opaques ces espaces de nondroit que sont les centres rétention, comme le sont les zones d’attente et tous les lieux d’enfermement d’étrangers dont l’Europe est en train de faire la pièce maîtresse de sa politique migratoire. Contre cette évolution, symbolisée par la directive « retour » adoptée en juin dernier par le Parlement européen, qui valide des durées de rétention démesurées, il faut revendiquer haut et fort que soit préservé le « droit de regard » [3] de la société sur ce qu’on veut nous cacher. Tant qu’il y aura des centres de rétention, il faut que ces lieux puissent être visités par des personnes habilitées par des associations ou réclamées par les retenus, en dehors de tout dispositif conventionnel.