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Retraites : 12 idées reçues à combattre

01 : Il n’y a pas de perdants à la réforme

par Anaïs Henneguelle
19 janvier 2020

En soutien à la grève, et pour étendre les prochaines mobilisations, le Collectif Les mots sont importants republie une réfutation en douze points de la propagande gouvernementale sur la "réforme" des retraites. Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

Toutes les pensions vont baisser, dans le public comme dans le privé, car l’ensemble de la carrière sera désormais prise en compte

Avec le nouveau système universel à points, la référence aux 25 meilleures années (pour les salariés du privé) et aux 6 derniers mois (pour les fonctionnaires) disparaît. Seuls comptent les points accumulés durant la vie active. On voit mal comment le niveau des pensions pourraient ne pas baisser si on intègre dans leur calcul les 17 années les moins bonnes qui ne sont pas prises en compte actuellement pour les salariés du privé, et tous les autres trimestres des fonctionnaires (qui sont mieux payés en fin de carrière).

Concrètement, cela signifie des baisses de pension importantes puisqu’on prendra aussi en compte les mauvaises années, les années où on a été mal payé (donc où on n’a pas accumulé beaucoup de points), les années au chômage, etc [1].

Les infographies du collectif « nos retraites » établies à partir des chiffres du rapport Delevoye, sont ici très éclairantes [2] (voir l’image ci-dessus) :

Tout le monde va donc y perdre : il est absurde de prétendre qu’une réforme qui fait perdre des droits à tous en nivelant par le bas est « plus juste » comme le fait le gouvernement... De la même manière, il est faux de dire que la réforme touche uniquement les fonctionnaires ou les « privilégiés des régimes spéciaux » : elle concerne l’ensemble des travailleurs.

Le système à points permet de faire baisser discrètement le niveau des pensions

Que des perdants : c’est ce qu’affirmait déjà François Fillon en 2016 devant le patronal : « Le système par points, ça permet une chose, qu’aucun politique n’avoue, ça permet de baisser chaque année, le montant des points, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions » [3]. C’est justement l’objectif d’un système à points que de pouvoir faire baisser les pensions plus discrètement !

Tout le monde est perdant car tout le monde devra travailler plus longtemps

Avec l’introduction d’un âge pivot à 64 ans, les salariés du public comme du privé y perdent car tous vont devoir travailler plus longtemps pour ne pas subir une décote de leur pension.

Les fonctionnaires à faible niveau de primes vont particulièrement perdre dans cette réforme

Dans la fonction publique, la retraite est actuellement de 75% du dernier traitement indiciaire, mais ne tient pas compte des primes. Un calcul sur l’ensemble de la carrière, prime comprise [4].

Sur ce point, le gouvernement (et Édouard Philippe en premier chef) a promis des « revalorisations » des salaires des fonctionnaires à faible niveau de primes, sans que l’on sache exactement quelle(s) forme(s) elles vont prendre : s’agira t-il des primes ? Si oui, seront-elles ponctuelles ou durables ? S’agira-t-il plutôt de hausses de salaire ?

Ou bien de la fin durable du gel du point d’indice [5], qui conduit chaque année à une perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires compte tenu de l’inflation, de l’ordre de 18% depuis 2000 ? Le fait est que les sommes évoquées (400 millions d’euros par an) ne sont pas à la mesure de l’enjeu (de l’ordre de 20 milliards d’euros par an).

La Suède, pays de retraites par points, ne semble pas être un exemple à suivre

On parle souvent de la Suède, qui a mis en place un système de retraites par points. L’évaluation du système suédois menée par trois économistes de la Commission européenne 7 pointe les inégalités engendrées par un tel système (p.2). Les retraités suédois ont un niveau de vie plus bas de 25% que les Suédois d’âge actif, alors que les retraités français ont le même niveau de vie que les Français d’âge actif.

On peut également évoquer le taux de pauvreté des retraités suédois, deux fois plus élevé qu’en France (14,7% contre 7,5% pour la tranche d’âge des 65-74 ans) [6], ou encore la part non négligeable de retraités suédois qui travaillent à côté de leur pension pour maintenir un niveau de vie correct[[Comme on peut le lire ici.].

2ème idée reçue : Le système n’est pas viable financièrement : il faut réformer.

P.-S.

Ce texte a été rédigé par Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés. Nous le reproduisions avec l’amicale autorisation de l’auteure. La liste des arguments décodés ici s’inspire de l’allocation d’Édouard Philippe du 11 décembre dernier.

Notes

[1Pour se convaincre que (presque ?) tout le monde sortira perdant, on peut aller lire la BD de la dessinatrice Emma. La note de l’économiste Henri Sterdyniak intitulée « Rapport Delevoye, organiser et garantir la baisse des retraites » fournit
à ce sujet des éléments très précis dès juillet 2019.

[2On peut les retrouver dans cette petite vidéo d’Attac et du collectif « Nos retraites ».

[4L’intégration des primes est annoncée p. 34 du Rapport Delevoye],
aura obligatoirement un effet négatif très fort sur les fonctionnaires avec peu de primes, en particulier les enseignants (9% en moyenne contre 40 à 50% pour les cadres dirigeants), les infirmières, les
aides-soignantes[[Pour connaître les montants des différentes primes en proportion des traitements, voir le « Rapport annuel sur l’état
de la fonction publique
, Faits et Chiffres, édition 2017, p. 134,

[5Qui a été gelé entre 2010 et 2016, puis à nouveau depuis 2018

[6Comme le rappelle cet article.