1ère idée reçue : Il n’y a pas de perdants à la réforme
Le système est tout à fait soutenable à moyen terme
Dans le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de novembre 2019 [1], on peut lire que : « Le besoin de financement du système de retraite varierait en 2025 entre 0,3 % et 0,7 % du PIB selon les scénarios et la convention retenue, soit entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros constants » (p. 50). D’après le gouvernement, cela signifie que le système de retraites actuel ne serait pas viable.
Néanmoins, il oublie de mentionner que les réserves de l’ensemble des régimes de retraite actuels s’élèvent à 127 milliards d’euros (p. 54) [2] 11. Cela signifie concrètement que le système de retraite pourrait être en déficit à partir de 2025 (date de l’entrée en vigueur prévue de la réforme), mais qu’il possède des réserves de l’ordre de 127 milliards d’euros en parallèle.
Or, ces réserves sont justement supposées servir à financer d’éventuels déséquilibres... ce qui rend le système tout à fait soutenable à moyen terme.
Si déficit annoncé il y a, c’est à cause de la baisse des ressources et non à cause de la hausse incontrôlée des dépenses
Le chiffre de déficit indiqué par le COR provient surtout de la baisse des ressources affectées au système [3] dans les prévisions du rapport COR. Il ne provient pas d’une hausse des dépenses de retraites.
Comment expliquer cette baisse des ressources qui conduit mécaniquement à une hausse du déficit ?
Le COR retient plusieurs hypothèses :
• Les exonérations de cotisations sociales non compensées, qui diminuent les ressources de l’assurance retraite (tout comme la baisse non compensée de la CSG). En effet, depuis la loi Veil du 25 juillet 1994, l’État doit compenser intégralement les allègements et exonérations de cotisations sociales aux caisses de la Sécurité sociale. Mais en 2018, le gouvernement est revenu sur ce principe (notamment pour financer les mesures d’urgence destinées aux « gilets jaunes ») et cette absence de compensation pèse lourd sur le budget de la protection sociale (et donc aussi de l’assurance retraites) [4].
• L’austérité salariale dans la fonction publique : le COR prévoit que l’État va recruter moins de fonctionnaires titulaires ; or, l’employeur public cotise plus que les employeurs privés et cette baisse a un effet direct sur les ressources de l’assurance retraite. En effet, les cotisations sociales salariales pour le système de retraite sont inférieures pour le personnel de la fonction publique (7,85 % contre 10,65 % pour les salariés du privé), mais l’employeur public cotise beaucoup plus (62,14 % pour la fonction publique d’État, 108,63 % pour les militaires, 27,3 % pour les hospitaliers... contre 15,6 % dans le secteur privé) [5].
• D’autres éléments plus marginaux comme la baisse des transferts de l’Unédic ou de la CAF (qui contribuent à l’assurance retraite pour les périodes de chômage ou de congé parental).
Donc finalement, le déficit se creuse non pas parce que les dépenses sont « hors de contrôle », mais parce que les recettes diminuent. On peut dire que ce déficit est créé de toute pièce... pour inciter à la réforme !
Le gouvernement joue le jeu de la « politique des caisses vides »
De façon plus générale, on assiste en fait avec cette diminution des recettes à la mise en oeuvre de la « politique des caisses vides » (starving the beast en anglais) : cette stratégie politique consiste à générer d’abord un déficit pour ensuite justifier politiquement une réforme impopulaire, au nom de la « bonne gestion ».
Cette stratégie a été mise en place pour réformer de nombreux services publics : la Sécurité sociale dans son ensemble, mais aussi les hôpitaux ou la SNCF par exemple [6].
C’est une politique de « chantage à la dette » qui permet de faire passer des réformes difficiles, comme l’explique clairement une note publiée en 2010 par le FMI (Fonds Monétaire International) :
« Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en oeuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne. » [[Cité notamment dans un débat à l’Assemblée Nationale ou par François Chesnais dans son ouvrage Les dettes illégitimes. Quand les banques font main basse sur les politiques publiques, 2011.]
D’autres solutions sont envisageables pour combler un éventuel déficit
De toute façon, même si le système connaît un déficit, il n’est pas évident qu’il faille faire des mesures d’économie en baissant le niveau des pensions et en reculant l’âge de départ en retraite. On pourrait envisager d’autres solutions !
C’est d’ailleurs ce qu’indique aussi le rapport du COR : « le fait que le système de retraite présente un déficit à cet horizon [2025] n’implique pas nécessairement pour tous les membres du COR que celui-ci doive être résorbé par des mesures d’économies » (p. 61).
3ème idée reçue : L’espérance de vie augmente et il faut en profiter