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Retraites : 12 idées reçues à combattre

08 – La réforme permet de protéger les droits des plus faibles

par Anaïs Henneguelle
26 janvier 2020

En soutien à la grève, et pour étendre les prochaines mobilisations, le Collectif Les mots sont importants republie une réfutation en douze points de la propagande gouvernementale sur la "réforme" des retraites. Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

7ème idée reçue : Il faut en finir avec les régimes spéciaux

Arguments similaires/liés souvent entendus :
— « La réforme est une réponse à la crise des gilets jaunes » [1]
— « La pension minimale à 1 000 euros pour une carrière complète est une conquête sociale »
— « Le nouveau système est plus juste car chaque euro cotisé ouvrira les mêmes droits »

La pension minimale annoncée se trouve en-dessous du seuil de pauvreté

En France, en 2017, le seuil de pauvreté pour une personne seule était de 1 041 euros nets par mois [2]. « La conquête sociale » promise par le gouvernement revient donc à instaurer une retraite minimale inférieure au taux de pauvreté actuel : les retraités qui en bénéficieront seront sous le seuil de pauvreté...

La pension minimale annoncée sera réservée aux carrières complètes

Certes, avec le système actuel, plus d’un tiers des retraités touchent moins de 1 000 euros par mois et ce n’est pas normal (cette situation concerne plus les femmes que les hommes).

Néanmoins, le gouvernement précise bien que sa « conquête sociale » des 1 000 euros nets par mois sera réservée aux carrières complètes de 43 années, à l’âge de 64 ans... Or, parmi celles et ceux qui touchent moins de 1 000 euros par mois aujourd’hui, la moitié environ n’a pas eu une carrière complète [3] et n’est donc pas concernée par l’annonce d’Édouard Philippe. En particulier, beaucoup de femmes ou d’agriculteurs, qui ont eu des revenus faibles et variables au cours de leur carrière, seront exclus de la mesure.

La pension minimale annoncée... avait déjà été votée dès 2003 !

Le gouvernement présente les agriculteurs, les artisans et les commerçants comme les grands gagnants de sa réforme. Par exemple, la FNSEA, gros syndicat d’agriculteurs, a déjà plusieurs fois été dans son sens [4]. Dans le secteur agricole, les pensions moyennes sont en effet très faibles : elles oscillent aux alentours de 730 euros pour une carrière complète.

Néanmoins, Jean-Paul Delevoye n’a fait que reprendre une promesse non tenue inscrite dans la loi du 21 août 2003, votée alors qu’il était lui-même ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire [5]. En effet, l’article 4 de cette loi [6] indique que « la Nation se fixe pour objectif d’assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net ». Cet article devait donc, en particulier, concerner les salariés agricoles et leurs petites retraites.

Cette promesse, pourtant inscrite dans la loi, n’a cependant jamais été respectée... Et le gouvernement, sous les conseils de l’ex-Haut Commissaire à la Réforme des Retraites Jean-Paul Delevoye, la reprend donc 16 ans plus tard !

La réforme annoncée n’est pas du tout équitable

En parlant au sujet du système par points de « justice », Édouard Philippe semble en fait confondre les notions d’égalité stricte et d’équité [7]. Ce nouveau système serait effectivement égalitaire : tout le monde serait logé à la même enseigne : pour chacune et chacun, un euro de revenu donnerait lieu au même nombre de points.

Mais cette réforme n’a rien d’équitable, et on ne peut pas la qualifier de juste ! En effet, tout le monde n’a pas les mêmes chances d’accéder aux métiers les plus rémunérateurs et donc de cotiser plus. Les personnes aux hauts revenus seraient dans ce système gagnantes deux fois [8] : la première fois durant leur vie active, car elles gagneraient beaucoup, et la deuxième fois lors de leur retraite, car elles auraient engrangé beaucoup de points et toucheraient donc une bonne pension. Ce serait le contraire pour les plus bas salaires...

Le système est donc très inégalitaire pour beaucoup de travailleurs : les femmes, les ouvriers, les précaires, les chômeurs... toutes les personnes qui cotiseront peu pour différentes raisons et toucheront une pension moindre in fine [9].

9ème idée reçue : Le nouveau système bénéficiera aux femmes et aux familles

P.-S.

Ce texte a été rédigé par Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés. Nous le reproduisions avec l’amicale autorisation de l’auteure. La liste des arguments décodés ici s’inspire de l’allocution d’Édouard Philippe du 11 décembre dernier.

Notes

[1Comme l’a affirmé la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, sur France Info en novembre dernier.

[2Ce seuil correspond à 60 % du revenu médian en France. On trouve les chiffres correspondants sur le site de l’Observatoire des inégalités.

[3Tous ces chiffres sont à retrouver dans la publication de la Drees, « Les retraités et les retraites », édition 2019 (p. 64).

[4Comme l’explique ce site destiné aux professionnels du monde agricole.

[5Comme le raconte cet article.

[6Que l’on peut lire ici en intégralité.

[7Comme l’explique Thomas Piketty dans cette matinale de France Inter.

[8Notons que le système actuel fonctionne déjà sur ce principe : plus ses revenus sont importants lors de sa vie active et plus on cotise, donc plus sa future pension sera élevée. Néanmoins, le système par points exacerbe encore plus cette logique puisque désormais le montant de la pension sera directement indexé sur son nombre de points personnel, accentuant par là la logique individualiste : je constitue ma « cagnotte » de points pour augmenter ma future retraite (alors qu’aujourd’hui la retraite est calculée sur la base d’un taux de remplacement des salaires précédents).

[9Comme l’explique l’économiste Christophe Ramaux ici.