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Retraites : 12 idées reçues à combattre

11 – Le nouveau système sera plus lisible

par Anaïs Henneguelle
29 janvier 2020

En soutien à la grève, et pour étendre les prochaines mobilisations, le Collectif Les mots sont importants republie une réfutation en douze points de la propagande gouvernementale sur la "réforme" des retraites. Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

10ème idée reçue : Les hauts salaires contribuent plus dans le nouveau système.

Dans son allocution, Édouard Philippe a distingué trois catégories de travailleurs :

• Ceux nés à partir de 2004, qui auront 18 ans en 2022, intégreront directement le nouveau système.

• Ceux qui sont nés avant 1975, qui auront donc plus de 50 ans en 2025, ne sont théoriquement pas affectés par cette nouvelle réforme (hormis avec l’instauration rapide de l’âge pivot).

• Ceux qui sont nés après 1975 mais avant 2004 : toute la partie de carrière effectuée jusqu’en 2025 donnera lieu à une retraite calculée selon les anciennes règles. Seule la partie de carrière effectuée après 2025 sera concernée par les nouvelles règles.

La réforme annoncée n’est ni lisible, ni compréhensible

La transition pose question tant on manque de réponses sur des points précis [1] ! Par exemple, comment calculera-t-on la retraite de celles et ceux du « milieu », nés entre 1975 et 2004 ? Pour la première partie de carrière, celle effectuée avant 2025, comment calculera-t-on la pension de retraite ? Pour les fonctionnaires, prendra-t-on en compte leurs 6 derniers mois de salaire avant 2025 (puisque cela correspond aux anciennes règles) ?

Pour les agents du privé, prendra-t-on en compte leurs 25 meilleures années avant 2025 ? Ou bien prendra-t-on en compte ces 6 derniers mois / 25 meilleures années sur l’ensemble de leurs carrières ? Ceux nés avant 1975 sont-ils concernés par l’âge pivot et donc par la décote avant 64 ans ? Bref, il manque beaucoup d’éléments...

Aucun simulateur gouvernemental ne permet de calculer le montant des pensions futures

Aucun simulateur gouvernemental n’est en place à ce jour. Des annonces feraient état d’un simulateur mis en place « trois à six mois » après le vote de la réforme [2].

À l’inverse, les membres du gouvernement ne cessent de fustiger la « désinformation » induite par les simulateurs existants [3], sans proposer de solution alternative.

La réforme annoncée fait dépendre les pensions futures de trois paramètres différents et les rend donc incalculables

Cet argument de la « lisibilité » du nouveau système doit se comprendre en opposition à l’illisibilité supposée du système actuel, avec ses « 42 caisses de retraite existantes ».

Dans le nouveau système, chacun pourra, à tout moment, connaître le nombre de points qu’il a accumulés et avoir accès à ses « perspectives » en matière de retraite : ce sera « facile comme un coup de fil » [4] ! Mais aucun membre du gouvernement n’ose dire que l’on pourra connaître précisément le montant de sa pension... Et pour cause !

Dans l’ancien système, à prestations définies, on peut avoir assez facilement une bonne estimation du montant de sa pension. Ce n’est plus le cas avec un système par points ! En effet, ce système est à cotisations définies et non à prestations définies. Le nombre de points chaque mois est calculé à partir de la part cotisée du salaire mensuel brut (28,31 % de celui-ci), qui doit être divisée par la valeur d’acquisition du point (estimée pour le moment à 1 point = 10 euros de cotisations passées) [5].

Au moment du départ à la retraite, le montant de la pension annuelle dépendra de la somme des points acquis sur la carrière, mais aussi de la valeur de restitution du point(estimée pour le moment à 1 point = 0,55 euros [6]) et de l’âge pivot (en-deça duquel on subira une décote).

Finalement, le montant des futures pensions pourra évoluer dans le temps en fonction de trois paramètres :

• La valeur d’acquisition (ou d’achat) du point.
• La valeur de restitution (ou de service) du point.
• L’âge pivot.

Ces trois paramètres pourront servir de variables d’ajustement en cas de conjoncture défavorable pour maintenir un système équilibré : il n’y a donc aucun moyen de connaître à l’avance avec certitude le montant de sa future pension...

La règle d’or annoncée ne garantit aucunement le montant futur des pensions

Édouard Philippe promet qu’une « règle d’or » garantira la « valeur [de restitution] du point ». D’accord, mais qu’en est-il de la va- leur d’acquisition du point ? Pour garantir la valeur des pensions futures, il faudrait donc que la valeur d’achat du point soit revalorisée comme les salaires, pour garantir que les cotisations passées soient bien pris en compte dans le calcul de la retraite. Or, rien ne dit que ce sera le cas !

De plus, même si les valeurs de restitution et d’acquisition du point sont stables, l’âge pivot, lui, peut toujours reculer... Or, un recul d’un an de l’âge pivot, c’est 5% de retraite en moins par le jeu de la décote...

La règle d’or dont parle Édouard Philippe ne garantit donc aucunement le montant futur des pensions !

Conclusion

P.-S.

Ce texte a été rédigé par Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés. Nous le reproduisions avec l’amicale autorisation de l’auteure. La liste des arguments décodés ici s’inspire de l’allocution d’Édouard Philippe du 11 décembre dernier.

Notes

[1Comme le confirme en creux l’embarras de Sibeth Ndiaye à répondre à des questions précises sur France Inter dans la matinale du 12 décembre. On peut également lire à ce sujet l’article très précis de l’économie Henri Sterdyniak.

[2Comme l’indique cet article.

[3Par exemple .

[4Pour reprendre l’expression utilisée par Gilles Le Gendre dans la matinale de France Inter du 11 décembre.

[5Comme l’explique l’économiste Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart.

[6D’après le texte du rapport Delevoye, (p. 7)