Le sondage ci-dessus cité met en évidence une demande de participation politique à tous les échelons, des municipales aux présidentielles, en passant par les législatives et les européennes. Il s’agit d’une preuve supplémentaire de leur enracinement dans la société française. Nous employons à dessein le terme enracinement plutôt que le terme intégration véhiculant en France un soubassement assimilationniste certain. Si une petite majorité s’exprime pour la prise de nationalité dans le futur, le reste ne voit aucune contradiction à bénéficier du droit de vote, tout échelon confondu, en gardant leur nationalité d’origine. La plupart indiquent leur volonté de rester en France indiquant que leurs projections dans l’avenir sont ici et non au pays d’origine. La nationalité d’origine, montre le sondage est surtout un héritage du passé porteur d’une connotation identitaire liée au caractère postcoloniale de l’immigration :
“ les immigrés manifestent un grand désir d’intégration. Ils s’intéressent plus à la vie politique française qu’à celle de leur pays d’origine. Même s’il y avait du travail pour eux dans leur pays, ils souhaiteraient massivement rester en France. Et une légère majorité aimerait avoir la nationalité française (...). Les Algériens souhaitent conserver leur nationalité, chèrement acquise, mais ne voudraient pas rentrer chez eux. Enfin la majorité de ceux qui sont chômeurs ( 58 % contre 33 %) préféreraient demeurer en France même s’il y avait du travail pour eux dans leur pays ”.
Ces résultats soulignent que les étrangers se sentent appartenir à la nation même pour ceux qui ne souhaitent pas prendre la nationalité française, soit pour des raisons personnelles, soit pour des raisons historiques. C’est la raison pour laquelle la réponse en terme de naturalisation assouplie et débarrassée du soubassement assimilationniste est à la fois nécessaire, urgente et insuffisante. C’est également pour cette raison que l’octroi du droit de vote aux municipales posera immédiatement la question de l’accès aux autres élections. L’exercice d’un droit politique même au niveau municipal entraînera pour certains une accélération de la demande de naturalisation et pour d’autres l’exigence et le combat pour l’accès aux autres échelons. Pourtant la plupart des participants au débat actuel sur le droit de vote aux étrangers sont silencieux sur la question des autres échelons de citoyenneté. L’enjeu est de taille. De la manière dont sera légitimé ou argumenté le droit de vote municipal découlera une situation ouvrant à de nouveaux progrès ultérieurs ou au contraire les bloquant sur une période longue :
“ Sans avoir à déterminer l’avenir, il est clair que le principe qui sera posé devra nécessairement envisager cette situation d’ouverture ou de blocage de l’évolution possible ou souhaitable. Autrement dit, il y a un travail à entreprendre dès maintenant, non seulement pratique ( de préparation des esprits) mais aussi théorique sur les modes d’accès à une citoyenneté qui recouvrirait l’ensemble de l’espace public, celui-ci concernant la sphère politique et la sphère administrative ( locale et nationale ). ”
Que l’exigence tactique mène à concentrer le rapport de forces pour exiger le vote local est une chose, que celui-ci soit présenté comme la “ fin de l’histoire ” de l’élargissement des droits politiques en est une autre. La tactique doit dors et déjà se préoccuper des autres étapes du débat et du combat sous peine de réinscrire une nouvelle “ longue marche ” pour l’immigration. Dès à présent le mouvement associatif et militant ne peut se contenter de l’état du consensus minimum des partis politiques s’affichant pour les droits politiques des migrants. Ce consensus au plus petit commun dénominateur limite les droits politiques envisagés au seul échelon municipal.
Au contraire, il doit construire une cohérence claire avec la demande de participation à tous les échelons que le sondage de 1990 révélait déjà. Pour ce faire ce mouvement doit porter théoriquement, idéologiquement et politiquement le débat sur la pleine et entière citoyenneté à tous les échelons. Sur le plan des revendications immédiates il doit agir dans le sens d’une première étape constituée non pas du seul vote municipal mais incluant l’ensemble des élections territoriales et européennes.
Les arguments utilisés pour s’opposer au droit de vote des étrangers sont fallacieux. Ils ont déjà été utilisés dans le passé sous des formes quasi-identiques à chaque fois qu’il s’est agi d’élargir l’espace politique à des catégories jusque là exclues de la citoyenneté. L’opposition entre la nécessité de faciliter la naturalisation pour ceux qui le désirent tout en éliminant le soubassement assimilationniste et humiliant d’une part, et le combat pour le droit de vote d’autre part est erronée. Les deux actions sont nécessaires et urgentes, complémentaires et convergentes. Toutes deux vont dans le sens d’un même but : l’égalité des droits.
La position des premiers concernés est en avance sur l’état du débat et des revendications du mouvement associatif et militant comme en témoigne le sondage de 1990. Les étrangers dans leur majorité demandent le droit de vote non seulement au niveau local mais également au autres échelons. Cette demande n’est pas perçue comme contradictoire avec le fait de garder une nationalité d’origine référée à des raisons personnelles ou historiques et non à un refus de s’identifier à la société française, à condition que celle-ci ne se conçoive pas de manière culturelle ou ethnique exigeant l’assimilation. Cette posture de l’immigration l’amène à redécouvrir l’apport essentiel de la révolution française : la conception politique de la nation qui ne peut pas se limiter à la simple nationalité.