Dimanche 12 octobre 2003, sur la chaîne de télévision LCI, le ministre des écoles Xavier Darcos, questionné sur le port du string à l’école, et sur sa possible interdiction, a estimé " normal que l’on demande aux jeunes filles, lorsqu’elles commencent à être désirables, de faire en sorte qu’elles ne provoquent personne ".
Cette position a été également soutenue par Ségolène Royal, qui a dénoncé le port du string et conclu en ironisant sur ceux qui " s’étonnent que les adolescentes soient victimes d’attouchements ou de violences sexuelles... "
Ces propos n’ont suscité pratiquement aucune réaction dans la classe politique. Être ou avoir été ministre des écoles autorise-t-il cette inversion qui consiste à faire porter sur les filles, et leurs choix vestimentaires, la responsabilité du harcèlement et des violences " sexuelles " qu’elles ont à affronter ?
Cette vision, qui suscite une réprobation unanime - et justifiée - lorsque c’est un gamin de douze ans qui la véhicule (par exemple en traitant les filles en jupe courte de " salopes "), devient-elle acceptable lorsque c’est un ministre de la République qui parle ?
Samedi 22 novembre 2003, dans l’émission " 93, Faubourg Saint-Honoré ", diffusée sur la chaîne privée Paris Première, Julien Dray, député PS de l’Essonne a déclaré : " Moi, à Tariq Ramadan, si je le croise je lui mets mon poing dans la gueule ! ". Ces propos posent un problème du même type : l’éthique viriliste et machiste qu’ils véhiculent est-elle légitime dans les studios confortables d’une émission branchée, et illégitime dans les halls d’immeuble, de l’autre côté du périphérique ? Ce machisme est-il inacceptable de la part des classes populaires, mais acceptable chez les élites politiques ?
S’il est nécessaire de critiquer Tariq Ramadan, notamment sur sa conception conservatrice de la " différence des sexes " et de leur " complémentarité ", il est désolant, et irresponsable, de s’en prendre à lui sur un mode qui véhicule un imaginaire machiste, en légitimant les manifestations les plus brutales de la " virilité ". A-t-on oublié si vite les enseignements de " l’affaire Cantat-Trintignant ", à savoir : qu’un " poing dans la gueule " peut avoir pour conséquences la mort d’une personne ?
Ces exemples ne sont que les plus récents. Nous nous souvenons aussi que le 5 février 2003, sur Europe 1, le ministre de la Justice Dominique Perben s’était publiquement inquiété de la présence désormais majoritaire des femmes dans la magistrature, en déplorant " les problèmes d’organisation " que cette féminisation risquait de provoquer dans les tribunaux, et en s’interrogeant sur " la partialité des femmes magistrats jugeant des hommes ".
Ces propos, comme les précédents, ont été tenus dans une indifférence quasi-générale, en tout cas dans le monde politique. Un monde dans lequel les femmes sont d’ailleurs très minoritaires (12% des femmes à l’Assemblée, pas tellement plus au gouvernement Raffarin), et fortement reléguées à des postes subordonnés.
Nous, militant-e-s engagées contre la violence et la discrimination sexiste, d’où qu’elle vienne, invitons la classe politique à balayer devant sa porte, au lieu de stigmatiser de manière outrancière et exclusive le sexisme de la jeunesse issue des classes populaires et de l’immigration post-coloniale.
Nous nous interrogeons sur le silence de l’organisation " Ni putes ni soumises " face aux propos de Ségolène Royal et Julien Dray, alors même que cette organisation déclare placer au centre de ses préoccupations la liberté de s’habiller comme on veut et le refus de la violence physique. Les accointances politiques passent-elles avant le combat anti-sexiste ?
Nous refusons ce féminisme à temps partiel et à géométrie variable, auquel toute la classe politique semble s’être convertie. Pour notre part, c’est contre toutes les formes de sexisme que nous luttons, quel que soit le milieu social où il s’exprime. .
8 mars 2003