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Sociologie de la bourgeoisie

Un livre de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

par Sylvie Tissot
29 septembre 2022

Michel Pinçon, décédé ce 26 septembre, est surtout connu à travers ses travaux, pionniers, sur la grande bourgeoisie et les mécanismes spatiaux de sa reproduction sociale. Avec sa compagne de vie et de travail, Monique Pinçon-Charlot, ils n’ont pas seulement défriché un champ de recherche mais, courageusement, obstinément en dépit des critiques, fait le choix de l’engagement politique, mettant leurs travaux au service de la dénonciation d’un système économique et politique de plus en plus inégalitaire, toujours plus favorable aux "ultra riches". En republiant ce court compte-rendu écrit il y a 22 ans, on voudrait rendre hommage à un grand sociologue, un militant infatigable, et un homme généreux, à l’écoute, bienveillant, un souvenir et un exemple à conserver précieusement dans ce monde de la recherche toujours plus sous tensions.

Les discours enthousiastes sur les « starts up » et la démocratisation des placements en bourse tendent à escamoter l’existence et le rôle de la bourgeoisie. Pourtant, estiment Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « aucun groupe social ne présente à ce degré, unité, conscience de soi et mobilisation ». Si depuis vingt ans on se plaît à répéter que le marxisme est mort, il est une classe sociale qui est, elle, bien vivante : la bourgeoisie.

C’est le grand mérite des deux sociologues de s’être penchés depuis une dizaine d’années sur cet objet de recherche, peu étudié par les sociologues français qui se sont davantage intéressés à la classe ouvrière ou aux problèmes sociaux. Ce petit ouvrage de la collection synthétique Repères fait le point de leurs travaux.

Se référant à la sociologie de Pierre Bourdieu, les auteurs s’attachent d’abord à décrire la richesse de la bourgeoisie et son caractère multiforme : le capital économique, pour être légitime, doit s’accompagner de capital social (réseau de relations mobilisables), culturel (intériorisation et familiarité avec la culture légitime) et symbolique (prestige).

Les auteurs ne se contentent pas de décrire les modes de vie de la bourgeoisie qu’ils ont observés lors de longues enquêtes ethnographiques. Ils montrent les stratégies extrêmement élaborées et contrôlées de reproduction qui existent au sein de cette classe sociale. Les différents capitaux qui font la richesse doivent être transmis de génération en génération pour assurer le maintien des familles bourgeoises, ce qui suppose « la maîtrise des conditions de la socialisation des jeunes enfants et des adolescents, un contrôle efficace de l’éducation des futurs héritiers », et donc l’existence d’ « écoles de la bourgeoisie » dont l’accès leur est soigneusement réservé.

Un des aspects intéressant du travail de ces deux sociologues porte sur « les espaces de la bourgeoisie ». Alors que l’on valorise aujourd’hui l’idéal de mixité sociale , on constate que la bourgeoisie la refuse à tout prix, se construisant un « entre-soi » bien contrôlé, qui est également mis au service de la reproduction des positions dominantes. La vie dans les « beaux quartiers », non seulement assure aux enfants l’accès aux meilleures écoles et lycées, mais facilite la sociabilité, à la base du capital social.

Or, à cet entre-soi, on ne trouve généralement rien à redire.

P.-S.

Ce livre est publié aux éditions La Découverte, Collection Repères, 2000.
Compte-rendu paru dans Le bulletin critique du livre en Français, décembre 2000.