Comment la présenter ? Animatrice de la revue et du site Prochoix et auteure de livres politiques, Soeur Caroline est une « super-héroïne » - disons : la Wonder-Woman de « l’universalisme à la française » et du combat contre « l’obscurantisme musulman ». C’est aussi - et surtout - une Super-Menteuse [1], dont quelques-unes des meilleures performances en la matière furent en leur temps recensées sur ce site...
Opus 1 : Tirs croisés
Il y eut d’abord Tirs croisés, un livre publié en octobre 2003 par Sœur Caroline, dont Sadri Khiari critiqua fort bien le caractère approximatif et le parti-pris anti-musulman, et dont Sylvie Tissot souligna la malveillance et la malhonnêteté intellectuelle.
Opus 2 : « Pieux mensonges »
Il y eut ensuite l’étonnant épisode des « Pieux mensonges », mettant en scène d’un côté Caroline et sa collaboratrice Fiammetta Venner dans le rôle des Croisées de la laïcité, de l’autre Pierre Tevanian dans le rôle du méchant islamo-gauchiste, et quelques seconds rôles comme Daniel Borrillo, Françoise Gaspard et Eric Fassin, trois universitaires que les méthodes particulières de Caroline et Fiammetta conduisirent à quitter le comité de rédaction de la revue Prochoix.
Opus 3 : Soeur Caroline contre la gauche pro-voile
Le troisième épisode de la saga « Prochoix contre Lmsi » prit la forme d’un remarquable pamphlet intitulé « Pierre Tevanian ou la gauche provoile », dans lequel Caroline et Fiammetta réussissaient ce tour de force de placer une trentaine de contre-vérités en à peine deux pages. Nous sommes en décembre 2003.
Opus 4 : Soeur Caroline et Frère Papaz
L’Opus 4 de la même saga fut nettement moins épique : en janvier 2004, Caroline, sa collaboratrice Liliane Kandel et leur avocat Gaëtan Papazian tentèrent un très hasardeux coup de bluff judiciaire, en exigeant par courrier recommandé, et sous peine de poursuites en justice, le retrait de tous les textes figurant sur le site lmsi.net et les concernant de près ou de loin. Comme ces textes n’avaient bien entendu rien d’injurieux ni de diffamatoire, mais qu’ils se contentaient de critiquer des opinions ou de rectifier des allégations mensongères, l’affaire tourna court. Aucun texte ne fut retiré, et aucune poursuite ne vint. Salué comme il se doit par quelques happy few (cf. « Après la calomnie, l’intimidation »), cet Opus 4 est pourtant, de l’avis général, le moins réussi de la série.
Opus 5 : Soeur Caroline contre Frère Tariq
La saison suivante est en revanche l’une des plus riches : consacré à la vie et à l’œuvre de Tariq Ramadan, le second roman de Caroline, intitulé Frère Tariq, réalise une formidable alchimie entre le vrai, le faux et l’approximatif - sans oublier les citations tronquées [2] - et se recentre sur une dramaturgie plus simple et efficace : le duel, le face à face entre la valeureuse Caroline et le beau ténébreux mais fourbe Tariq. Notons qu’au détour des pages 366 et 367, un épisode cocasse met en scène, cette fois-ci dans un second rôle, le personnage tellement haut en couleur de Pierre Tevanian. Cette courte séquence, d’une grande densité, renouvelle presque l’exploit de décembre 2003 : en deux pages consacrées à ce sinistre personnage, neuf contre-vérités !
Avant de poursuivre plus avant ce parcours dans son œuvre, il est temps de rappeler que c’est à ce formidable Frère Tariq que la romancière doit son surnom le plus usuel, celui qui a éclipsé son véritable patronyme : désormais, pour ses véritables fans, elle n’est plus Caroline Fourest, mais Sœur Caroline !
Opus 6 : Sœur Caroline contre le Hezbollah
Si Sœur Caroline contre Frère Tariq est désormais un classique, reconnu à sa juste valeur par tous les amateurs d’aventures, d’exotisme et d’épouvante, son chef-d’œuvre demeure le méconnu Sœur Caroline contre le Hezbollah. Parue en avril 2004, l’œuvre se présente sous la forme d’un tryptique diffusé essentiellement sur internet, et réalisé par Jean-François Chalot, Tewfik Allal et Fiammetta Venner [3]. À partir d’un épisode réel (une conférence-débat qui eut lieu le 31 mars 2004 au « Café littéraire » de l’Institut du Monde Arabe, et au cours de laquelle Caro et Fiam furent poliment mais sévèrement critiquées), les auteurs ont imaginé une intrigue palpitante : l’histoire d’un « get-apens » [4] tendu à Sœur Caroline et Sœur Fiammetta par le perfide Badr-Eddine Arodaky (Directeur commercial et responsable du café littéraire de l’Institut) et ses complices du Hezbollah (venus infiltrer le public). Après moultes « injures » et « menaces », Caro et Fiam se sortent saines et sauves de cette véritable séance de « lapidation », pour reprendre les termes évocateurs [5] de Tewfik Allal.
Méconnu, ce chef d’œuvre est aussi incompris : nombreux sont ceux qui, ayant assisté au « Café littéraire » qui sert de prétexte à ce thriller (ou ayant entendu l’enregistrement qui en a été fait), ont cru bon de rappeler qu’il n’y avait eu en réalité ni guet-apens ni agression ni injures ni menaces ni Hezbollah, et ont bêtement reproché aux auteurs de Soeur Caroline contre le Hezbollah de prendre des libertés avec la vérité historique : cf. par exemple le démenti publié par l’Institut du Monde Arabe et le témoignage intitulé « Une campagne honteuse »). À ces esprits chagrins et étroits, à ces donneurs de leçons professionnels, nous répondons que c’est ne rien comprendre à la littérature que de formuler de tels griefs : les plus grands écrivains sont justement ceux qui ne se cantonnent pas dans la reproduction servile du réel, mais savent le transcender, le sublimer, l’arranger, le dramatiser, le métamorphoser !
Opus 7 : Sœur Caroline et Frère Bernard-Henri contre l’Axe du mal
Après Sœur Caroline contre les intégristes, Sœur Caroline contre la gauche pro-voile, Sœur Caroline contre Frère Tariq et Sœur Caroline contre le Hezbollah, les aventures de Sœur Caroline ont rencontré un engouement certain dans une partie croissante de la bourgeoisie cultivée [6]. Parmi les épisodes les plus célèbres, on peut citer Sœur Caroline et Frère Charlie [7], Sœur Caroline au FSE, Les caricatures du Prophète et Sœur Caroline et Frère Charlie contre le Cousin Mouloud - sans oublier, au printemps 2006, un efficace opuscule d’héroic fantasy intitulé : L’Appel des Douze, mais plus connu sous son sous-titre : Sœur Caroline et Frère Bernard-Henri contre l’Axe du Mal. Violemment attaqué par les trois derniers présidents de la Ligue des Droits de l’Homme (Henri Leclerc, Michel Tubiana et Jean-Pierre Dubois [8]), cet opuscule rencontre malgré tout un certain succès, aussi bien chez les nostalgiques de Jules Ferry et Edgar Quinet que chez ceux de Joseph Mac Carthy [9]
Opus 8 : Sœur Caroline et la Tentation obscurantiste
Touche-à-tout de génie, Soeur Caroline s’est essayé avec un bonheur presque égal à tous les genres littéraires, du pamphlet au thriller, et de la comédie loufoque au mélodrame, sans oublier l’épouvante, la politique-fiction, le poème en prose et le roman de capes et d’épées. Mais c’est avec un conte pour enfants que Soeur Caroline rencontre enfin la consécration. Soeur Caroline contre la Tentation obscurantiste propose en effet, sous une forme abrégée et simplifiée accessible aux tout-petits, un condensé des principaux thèmes qui traversent l’œuvre sœur-carolienne [10] : le foulard, le voile, l’Islam, l’islamisme, l’intégrisme, l’obscurantisme musulman, Tariq Ramadan, l’UOIF, le Hezbollah, la gauche provoile, Une école pour tous, les Indigènes de la république, le voile, Xavier Ternisien, Alain Gresh, Tariq Ramadan, les Frères musulmans, l’Islam des frères, Frère Tariq, Tariq Ramadan, le voile, Tariq Ramadan et bien entendu l’incontournable Pierre Tevanian [11].
Paru en octobre 2005, l’ouvrage n’a évidemment pas fait l’unanimité. La radicalité de son parti-pris « anti-islamiste » a naturellement heurté les « belles âmes », les « Tiers-mondistes » et les tenants de la « tolérance ». Son souci de simplification, ses raccourcis pédagogiques et ses innovations léxicales (par exemple, en langue soeur-carolienne, un « islamiste » est un musulman qui n’est pas d’accord avec Caroline Fourest ; ou encore : un « anti-laïque » est un laïque qui récuse sa conception théologique et intégriste de la laïcité et qui s’inquiète de l’exclusion des élèves voilées [12]) ont évidemment déplu aux coupeurs de cheveux (ou de voile) en quatre ; l’ébouissante simplicité de son message, l’exquise légèreté de son argumentation, son formidable sens de l’ellipse et ses inimitables pieds-de-nez aux canons académiques et aux règles du débat intellectuel ont bien entendu irrité les trissotins, les grincheux, les pisse-froids, les rabat-joie, les peine-à-jouir [13], les rats de bibliothèques et autres tâcherons de l’enquête ethnographique, bref : tous ceux qui se soucient davantage de véracité que de beauté et d’émotions fortes, et qui croient bêtement que c’est en collant au réel, en recueillant des données empiriques, en apportant des preuves, en élaborant des concepts, en entrant dans les détails et en cultivant les nuances qu’on écrit de beaux livres. C’est ainsi que, dans une tribune publiée par Le Monde et par Oumma.com, plusieurs sociologues spécialisés dans l’étude du « monde musulman », Bruno Etienne, Franck Fregosi, Vincent Geisser, Raphaël Liogier et Jean Baubérot, n’ont pas hésité à vilipender lâchement Sœur Caroline, en lui reprochant ce qui fait justement son génie : la « haine viscérale de la connaissance scientifique », le registre du « pamphlet », le « trafic des émotions et des peurs », l’usage des « raccourcis » [14] - bref : la maîtrise des effets dramatiques, le sens de l’ellipse, la capacité à jouer avec les archétypes et à s’adresser à l’imaginaire - en d’autres termes : la recherche inconditionnelle du beau et du sublime, par-delà le vrai et le faux, par delà le réel et l’irréel, par-delà le le bien et le mal ! [15]
Soeur Caroline canonisée
Mais heureusement, aux antipodes de cet « intégrisme scientifique » lourd de toutes les menaces contre la liberté de l’artiste, il s’est trouvé d’authentiques esthètes qui ont su rendre au dernier recueil de Sœur Caroline l’hommage qu’il méritait. Des esprits brillants et férus de littérature comme Arlette Chabot, Jean-Pierre Elkabbach, Laurent Joffrin et Jean-Michel Helvig [16] se sont réunis pour décerner à Sœur Caroline le « Prix du livre politique » de l’Assemblée Nationale. L’intellectuel progressiste Jean-Louis Debré s’en est réjoui, et il a chaleureusement félicité l’auteure. D’émouvantes photos immortalisent l’événement : on y voit Sœur Caroline - métamorphosée pour l’occasion en Sœur Sourire - recevant son prix des mains de Frère Jean-Louis, avant d’échanger avec lui une amicale poignée de main. À Cette occasion, d’ailleurs, certains mauvais esprits n’ont pas pu s’empêcher de persifler. Sans doute jaloux de la fulgurante ascension de Sœur Caroline, d’aucuns ont soutenu que Jean-Louis Debré était ce que la droite parlementaire produisait de plus réactionnaire, de plus sexiste et de plus xénophobe. Que c’était lui qui, ministre de l’Intérieur en juillet 1996, avait envoyé les CRS fracasser les portes de l’Eglise Saint Bernard pour rafler les sans-papiers. Que c’est lui qui avait accéléré le rythme des expulsions forcées par charters. Que c’est lui qui, en 1997, avait fait durcir les lois Pasqua. Que c’est lui qui avait déclaré ceci :
« Est-ce que vous acceptez que des étrangers viennent chez vous, s’installent chez vous et se servent dans votre frigidaire ? Non, bien évidemment ! Eh bien c’est pareil pour la France. »
Mais le silence punit l’insolence, et la bave du crapaud tiers-mondiste, angéliste et islamo-gauchiste n’atteint pas la blanche Caro. Notre Sœur à tous et toutes ne s’est pas laissée déstabiliser par ces belles âmes qui ne comprennent rien à l’Art pour l’Art et qui croient sans doute que c’est avec des bons sentiments qu’on fait des bons livres ! Elle a su mettre de côté ses préférences partisanes (car, il faut le souligner, Sœur Caroline est tout de même de gauche) et apprécier à sa juste valeur
« le courage dont le président de l’Assemblée a fait preuve en me décernant ce prix, apportant par là-même publiquement un soutien clair à la laïcité et au combat que je mène, au péril de ma vie, contre la menace islamiste. »
Cette citation est naturellement un pastiche. Elle ne donne qu’une pâle copie de ce que peut produire l’audace et le génie créateur de Sœur Caroline, son penchant romantique pour le burlesque, le grotesque et le pittoresque, son goût pour la dérision et l’absurde... Nul doute que la véritable Sœur Caroline saura trouver des mots encore plus fantaisistes et envoûtants pour nous faire avaler cette formidable, incroyable, inimaginable et injustifiable connivence avec l’un des représentants les plus emblématiques du « racisme républicain ». Vite, Sœur Caroline, nous sommes toutes et tous impatients de lire ton prochain opuscule, Frère Jean-Louis et moi !