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Sont-ils capables d’avoir des droits ?

Contre-argumentaire pour un suffrage vraiment universel (Troisième partie)

par Saïd Bouamama
8 février 2013

Tous les arguments possibles et imaginables ont été avancés au cours de ces dernières décennies pour s’opposer au droit de vote des résidents étrangers. En fonction des conjonctures politiques les arguments ont varié. Certains ont été abandonnés, d’autres ont pris de nouveaux visages tout en gardant la même essence, d’autres encore sont apparus alors qu’ils n’étaient pas présents auparavant. Seule l’extrême-droite garde une permanence dans son argumentation indépendamment de la conjoncture historique. La plupart de ces arguments ont déjà été utilisés pour s’opposer aux droits politiques d’autres catégories de la communauté politique des citoyens. Certains de ces mêmes arguments ont d’ailleurs été avancés pour s’opposer à la citoyenneté des femmes et des ouvriers.

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Comme pour les femmes et les ouvriers, l’argument capacitaire a été avancé pour s’opposer au droit de vote des résidents étrangers. Fréquente dans le passé cette logique est de moins en moins avancée tant elles est contredite par la réalité. Il n’est pas inutile de la rappeler pour mettre en évidence l’ampleur du consensus de départ. En effet dans un passé pas si ancien des hommes se revendiquant de la gauche comme de la droite mettait en avant ce type d’explication. Le professeur Michel Mialle parle à cet égard de “ consensus ” :

“ ( cette revendication) “ déstabilise ” le consensus plus ou moins réalisé autour des partis traditionnels, du PC au FN, brouille certaines pistes et remet en cause peut-être des situations acquises électoralement, tant à gauche qu’à droite d’ailleurs. (...). Aussi voit-on se développer des arguments pratiques qui proviennent d’horizons très divers : l’idée d’un électorat mal informé et donc manipulable, la menace de groupes très organisés captant des voix naïves et organisant un Etat dans l’Etat, sans parler de la main ou de l’œil de l’étranger présent dans nos institutions... Autant de plaidoyers pour marquer les limites de la reconnaissance des droits politiques qui viennent curieusement prendre le relais, mot pour mot, des arguments développés au XIXe siècle, à l’encontre des travailleurs revendiquant le suffrage universel ”.

La participation active des résidents étrangers aux luttes sociales et leur prise de responsabilités dans le monde associatif et syndical suffisent pour démentir cette vision capacitaire. Les résidents étrangers ne sont pas plus naïfs que les autres citoyens et le fait de naître français ne garantit en rien contre la naïveté et la manipulation.

Dans la logique de cette vision capacitaire de nombreuses expériences de “ conseils consultatifs ” ou de “ commissions extra-municipales ” ont été mises en place. Ces conseils auraient le double avantage selon leurs promoteurs d’associer la population étrangère tout en la préparant à l’octroi futur du droit de vote. Sans remettre en cause la bonne foi de certains des maires ayant mis en place ces conseils, ceux-ci ont contribués, à affaiblir la nécessaire action pour arracher le droit de vote en donnant un ersatz de citoyenneté. Ces commissions et conseils ont été mis en place selon des modalités diverses : avec des représentants d’associations, par l’invitation de migrants à titre personnels, par la cooptation, par l’élection de représentants par nationalité. Dans les cas les plus audacieux, l’élection s’est réalisée par nationalité enfermant chaque migrant dans sa propre nationalité. Paradoxalement cela permet une ingérence des consulats des pays d’origines dans la vie politique des citoyens étrangers. Voici ce que souligne François Rigaux à ce propos :

“ en enfermant chaque électeur dans son groupe de nationalité, on encourage indirectement une reproduction, dans le pays d’accueil, des clivages politiques du pays d’origine et on risque de faciliter l’ingérence de certains agents diplomatiques ou consulaires dans la confection des listes de candidats et peut-être dans le déroulement des élections ”.

Le droit de vote est ainsi refusé par crainte d’éviter les atteintes à la souveraineté nationale mais en revanche l’ont met en place des conseils consultatifs sur la base de la nationalité permettant une ingérence des consulats. Dans les deux cas de figures le résident étranger n’est pas considéré comme citoyen de France mais comme représentant d’un Etat, d’une communauté ou d’une nationalité.

Un des principes de base de la démocratie est le libre arbitre individuel de chaque citoyen à partir de la logique “ un homme-une voix ”. Maintenir des formes de représentation par nationalité, que ce soit sur le mode de la désignation, de la cooptation ou de l’élection revient à nier ce principe. L’accès aux droits politiques doit en conséquence prendre une forme unique, celle déjà en œuvre pour les citoyens français, c’est à dire le droit de vote et d’éligibilité. Toute représentation par nationalité fait apparaître l’immigration comme partie de la population à part, n’ayant pas les mêmes préoccupations que les autres. Par ailleurs la représentation par nationalité aboutit à propulser des soi-disant porte-parole c’est à dire des “ immigrés de service ” utilisables selon les besoins de la conjoncture. L’immigré est alors un sujet représenté et non un citoyen souverain.

Partie suivante, en ligne bientôt.

P.-S.

Ce texte est extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur. Nous le republions avec l’amicale autorisation de l’auteur.