Le temps passe, et le groupuscule d’extrême droite dirigé par Michel Onfray, le mal nommé Front Populaire, continue, entre deux provocations de son lider maximo (une diffamation caractérisée contre Rokhaya Diallo et un soutien aveugle aux délinquants fascistes de Génération Identitaire), sans oublier une attaque abjecte, à base de fake-news, contre le droit à l’IVG, son entreprise de propagande raciste et xénophobe, sur le dos du peuple arménien, à la faveur de son massacre dans le Haut Karabagh. Un précédent texte, publié il y a quelques mois, évoquait déjà cette OPA cynique et raciste sur un peuple qui n’a vraiment pas besoin de ça. Mais j’ai entretemps visionné le film annoncé par Michel Onfray à l’époque de ses premières prises de positions (en novembre dernier) – un film qui était censé servir la cause arménienne et qui confirme, au-delà de tout ce qu’on pouvait redouter, une manipulation d’extrême droite.
Pour le dire simplement, car je n’ai pas le temps de M. Onfray, voici, sans mise en ordre et sans transitions, dix remarques à propos du film « Arménie : un choc des civilisations », réalisé à la gloire de Michel Onfray, et de la « discussion » qui l’a suivi sur le site du philosophe-activiste. Tous les propos cités, sauf mention contraire, sont issus de ce film ou de cette « discussion ».
1. Dans la discussion qui suit le film, comme dans chacune de ses prises de parole publique, Michel Onfray passe son temps à se plaindre des étiquetages, de plus en plus nombreux, qui le situent, lui et son « Front populaire », à l’extrême droite. Mais outre toutes les sources déjà citées dans mon texte précédent, qui attestent cet ancrage solide à l’extrême droite, il y a cette question embarrassante : comment doit-on qualifier un penseur qui, dans cette discussion sur le Haut Karabagh, encense Le Figaro (qui le lui rend bien) mais aussi Valeurs actuelles, torchon raciste poursuivi par Danièle Obono pour des écrits négrophobes orduriers, et déjà condamné pour incitation à la haine contre les Roms, fondé et animé par des activistes grenouillant entre Les Républicains et le Rassemblement national ? Comment doit-on qualifier un penseur qui, au cours de cette « soirée Arménie », ne tape à peu près que sur la gauche, ne s’en prend qu’une ou deux fois à la droite, pourtant peu avare en soutiens à l’Azerbaïdjan, et ne le fait que pour reprocher à cette droite de s’être elle aussi alignée sur « l’islamo-gauchisme » ?
Rappelons-le donc, car ce n’est pas dans les eaux marécageuses du « Front Populaire » qu’on risque de l’apprendre : le parti de droite au pouvoir, LREM, truste à peu près toutes les places à la tête du principal lobby azerbaïdjanais en France, le « Groupe parlementaire d’amitié France-Azerbaïdjan » : Pierre-Alain Raphan en est le président, Bruno Bonell et Bertrand Sorre les vices-présidents, Thiphanie Degois la secrétaire, enfin Sereine Mauborgne, Jacques Marilossian, Anne Genetet, Céline Calvez, Carole Bureau-Bonnard, Julien Borwoczyk, Barbara Bessot Ballot, Xavier Batut et Aude Amadou en sont membres. Le reste des effectifs du groupe étant quasi-intégralement composé par de la bonne vieille droite (LR, UDI, MODEM) et un unique socialiste (Jérome Lambert). Pas d’écologiste, pas de communiste, pas de France Insoumise, sans même parler du NPA. En matière d’ « islamo-gauchisme », on fait mieux…
Sans idéaliser lesdits « islamo-gauchistes » (plus précisément ceux à qui ce sobriquet raciste s’adresse en général, à savoir les militants de gauche qui luttent contre l’islamophobie), sans taire les griefs légitimes qui existent contre cette gauche qui fut très largement aux abonnés absents quand il fallait sauver les Arméniens, on peut tout de même remarquer qu’il n’y a, dans l’abandon des Arméniens, et plus encore dans la complicité active avec l’Azerbaïdjan (jusqu’aux livraisons d’équipements militaires [1]), pas grand-chose qui soit spécialement islamique, gauchiste, ou islamo-gauchiste – et qu’il y a plutôt, si l’on aime les sobriquets, quelque chose comme un caviardo-droitisme, ou un caviardo-cynisme.
Revenons donc à notre « ami des Arméniens », et posons la question : se dire « ni de droite ni de gauche », mais « souverainiste », et reprocher à la droite d’être d’extrême-gauche, n’est-ce pas la meilleure définition de l’extrême-droite ?
2. Enchaînons avec une autre question : affirmer comme le fait Michel Onfray, droit dans ses bottes, sérieux comme un pape, et à rebours de toute la production scientifique en histoire, et même en paléontologie, que « la France commence bien avant 1789 », « bien avant » le sacre de Clovis, « dans les grottes de Lascault, à la préhistoire », comment appeler cela, sinon un délire identitaire d’extrême droite ?
3. Autre question : affirmer comme Michel Onfray que « les médias dominants ont une politique extérieure islamo-gauchiste », et que ce n’est donc « pas un hasard » s’ils touchent des aides de l’État, n’est-ce pas ce que l’on nomme du complotisme, basé sur des « fake news » ? Surtout lorsqu’on considère que, dans les faits, lesdites aides étatiques sont accordées, largement autant, aux médias de droite dure islamophobe qu’encense notre philosophe (Le Figaro, Le Point, Valeurs actuelles) ?
4. Que valent par ailleurs toutes ces allégations, à base de néologismes foireux (« islamogauchisme »), quel crédit leur accorder, quel sérieux, a fortiori lorsqu’on sait que quelques années auparavant, la politique extérieure de la France, aujourd’hui dénoncée comme « islamo-gauchiste », était qualifiée, par le même philosophe qui se targue de rigueur et de nuances, de politique extérieure « islamophobe » ? Comprenne qui pourra.
Sans oublier, il y a peu, la publication d’un livre sur le Covid 19, tellement bien informé qu’on a pu entendre son auteur expliquer, avec le même sérieux papal, que ledit Covid 19 était la dix-neuvième mutation d’un même virus. Prodiges et vertiges de la rigueur philosophique et de l’esprit cartésien, dont se réclame notre sauveur...
5. La pire abjection de la « soirée Arménie » du « Front Populaire » est sans doute cette sortie du philosophe :
« Vous avez aujourd’hui des Tchétchènes qui arrivent en France pour égorger un professeur français, qui s’inscrivent toujours dans la logique des Croisades ».
On aura reconnu l’allusion à l’assassinat de Samuel Paty par Abdoullakh Abouyedovich Anzorov, individu russe d’origine tchétchène, arrivé en France, dans les bras de ses parents, à l’âge de six ans. Faut-il, là encore, rappeler les faits ? Toutes les enquêtes, journalistiques autant que judiciaires, attestent que le tueur a agi seul, et qu’aucune complicité individuelle ou collective n’est « tchétchène ». Nous sommes là encore dans le registre le plus pur du complotisme et des « fake news », et bien évidemment de la généralisation délirante et malveillante, dont le nom le plus courant est « incitation à la haine raciste ».
Tout y est : d’abord l’amalgame entre des problématiques radicalement différentes et sans rapport l’une avec l’autre : on est censé parler d’Artsakh, d’Arménie et d’Azerbaïdjan, et l’on dérive sur la France et son immigration tchétchène… Le glissement étant opéré, naturellement, par le biais d’un élixir magique : l’Islam, religion majoritaire parmi les Tchétchènes comme parmi les Azerbaïdjanais.
Ensuite la polarisation sur l’origine, puisqu’un résident français de longue date (plus de dix ans), de nationalité russe, et simplement d’origine tchétchène, devient par magie « tchétchène », et seulement « tchétchène ».
Ensuite le passage au pluriel, l’individu d’origine tchétchène se métamorphosant en une entité collective autrement plus menaçante : « des Tchétchènes ».
Enfin l’imputation tout aussi imaginaire et délirante d’une intentionnalité : des Tchétchènes qui seraient arrivés en France « pour » égorger un professeur. Une fois de plus nous sommes dans des « faits alternatifs », que toutes les enquêtes démentent : la réalité, c’est qu’Abdoullakh Abouyedovich Anzorov n’avait que six ans lorsqu’il est entré en France, et que sa « radicalisation », puis la préméditation de son passage à l’acte, n’ont eu lieu que quelques semaines – au maximum quelques mois – avant les faits, après douze années de vie française.
Au-delà des parents de l’assassin, suffisamment accablés par leur sort pour qu’on leur fasse porter ce chapeau-là, c’est toute la diaspora tchétchène qui se trouve diffamée et livrée à la vindicte vengeresse, de manière absolument irresponsable, et même criminelle.
7. Dans le même registre, il y a cette évocation, toujours par Michel Onfray, d’un « génocide » qui « nous menace », « nous » Français non-musulmans. Je l’avais déjà noté : Onfray ne cesse de dire que ce qui menace les Arméniens dans le Haut Karabagh et ce qui « nous » menace en France, nous les « Judéo-chrétiens » (ce sont ses catégories de pensée), c’est « exactement la même chose ». L’assassinat de Samuel Paty est pourtant assez abject en lui-même, sans qu’il soit nécessaire de le qualifier en ce qu’il n’est pas. Nous sommes en fait, là encore, dans un niveau d’outrance tout à fait classique à l’extrême droite, qui relève, précisément, de la négation du réel. C’est l’une des particularités des négationnistes que de déréaliser les génocides en employant le mot « génocide » pour toutes sortes de réalités qui n’en relèvent pas.
Michel Onfray reste dans le même registre lorsqu’il qualifie de « négationnisme » l’idée que « le christianisme ne fait pas partie de notre civilisation » – une idée, par ailleurs, qu’absolument personne ne défend (ce qui est controversé n’étant aucunement le fait que le christianisme « appartienne » à « notre civilisation », mais le fait que ladite civilisation puisse être réduite à cette dimension, ou que les autres apports, religieux ou séculiers, soient minorés et marginalisés).
8. Venons-en maintenant à ce qui, dans toute cette construction, relève non plus seulement du fantasme ou du sophisme, mais du pur et simple mensonge. Je dénonçais dans mon texte précédent la manière dont Michel Onfray instrumentalisait la rage légitime d’un prêtre arménien au lendemain d’une razzia par les troupes de la coalition turque et azérie, pour monter en généralité et conclure à l’inéluctabilité de la « guerre des civilisations ». Je soulignais, en partant du récit que donnait Michel Onfray lui-même, que c’était le philosophe qui avait amené la notion de « guerre des civilisations » dans la discussion, en ne demandant au prêtre que d’opiner, pour confirmer l’hypothèse. Je concluais qu’il s’agissait d’une instrumentalisation malhonnête, la colère « à chaud » d’une victime contre « des musulmans » ne pouvant décemment pas servir à valider une analyse « à froid » qui incrimine « l’Islam » et « les musulmans » en général – et qu’on va s’empresser d’importer en France. Ce que j’ignorais, et que j’ai compris en visionnant le film, qui n’était pas encore sorti au moment de ma première réaction, c’est que la contrefaçon est bien pire que cela.
Le film donne en effet à voir la discussion qu’évoquait Michel Onfray, et ce qu’on y voit, c’est qu’à aucun moment le prêtre ne parle de « musulmans », ni des musulmans dans leur ensemble, ni d’une partie d’entre eux. Il n’emploie tout simplement pas le mot, et pas davantage le mot Islam. Onfray demande à ce prêtre de valider l’appellation de « guerre de civilisation », et le prêtre répond par la négative, en disant que ses agresseurs ne méritent pas le nom de civilisation, étant donné les atrocités qu’ils commettent. Il le fait en évoquant uniquement « les Arméniens » et ceux qui « en face » veulent leur destruction, et en développant un long argumentaire n’insistant que sur une chose : la présence ancestrale des Arméniens sur cette terre, et leur volonté d’y vivre pacifiquement. Sans jamais incriminer ni l’Islam, je le répète, ni « les musulmans », ni « des musulmans ». Et c’est de cette « discussion » que notre philosophe vient ensuite s’autoriser pour donner une validation « de terrain » à sa thèse opposant (je le cite) « la barbarie musulmane » à « la civilisation chrétienne ». En prétendant que c’est ce que lui a dit le prêtre. Nous sommes donc dans de la manipulation pure et simple, à des fins d’incitation à la haine. Et sans le moindre souci de ce que cette fausse citation (« l’Islam est une barbarie ») pourrait coûter au prêtre à qui, publiquement, il l’attribue, en ventriloque cynique et irresponsable.
Notre philosophe est d’ailleurs coutumier de ce genre de manipulation puisque, rien que ces dernières semaines, il vient d’être pris en flagrant délit de mensonge à propos du droit à l’IVG et à propos de Rokhaya Diallo, à qui il attribue des positions sexistes et racistes, diamétralement opposées à celles qu’elles a tenues. Il n’est pas certain qu’associer la défense de la cause arménienne à un tel serial-menteur soit, à long terme, une bonne chose pour le crédit et la popularité de cette cause.
9. Pour finir, au cours de la même « discussion », Michel Onfray déclare ceci, qui se passe de commentaire :
« Moi j’ai été de ceux qui ont défendu le fait que Sainte-Sophie redevienne une mosquée. Je suis un souverainiste, nous sommes des souverainistes, c’est-à-dire que : il fait ce qu’il veut chez lui, Erdogan, en Turquie, simplement il ne fait pas ce qu’il veut partout sur la planète. Le souverainisme, ça consiste à dire : il fait ce qu’il veut en Turquie, simplement la Turquie ne fait pas ce qu’elle veut en Libye, en Syrie, en Arménie, etc. »
Je laisse chacun.e apprécier la hauteur de vue, et le cas que fait M. Onfray des Arménien.ne.s de Turquie, des minorités en général, des démocrates, et de leurs droits fondamentaux.
10. Je reste sans voix devant la nullité, la bassesse, la malhonnêteté, et enfin le racisme viscéral qui anime cet homme, et plus encore devant la complaisance que tout cela rencontre du côté des grands médias, mais aussi des institutions arméniennes de France, qui viennent de le co-opter comme « ami » de la cause [2], Je préfère pour conclure rappeler que si « conflit de civilisation » il y a, il n’oppose pas l’Occident à l’Orient, ni l’Islam au christianisme, mais la démocratie à l’autoritarisme, les droits humains au crime contre l’humanité, l’universalisme à l’ultra-nationalisme, au suprémacisme et à ses conséquences tristement connues : la discrimination raciste, l’épuration ethnique, le pogrom, le génocide. Et que, de ce point de vue, la vision du monde de Michel Onfray n’est pas si opposée que cela à celle d’Aliev ou d’Erdogan.
Je préfère aussi, et surtout, interpeller à nouveau la gauche anti-impérialiste qui, par ses silences et sa passivité, facilite grandement ces noces contre-nature entre un idéologue suprémaciste et une communauté qui devrait être, de par son histoire, vaccinée contre tous les suprémacismes. Je parle de silences, mais il y a eu aussi des paroles pires que le silence, incriminant « les nationalismes des deux camps » à l’heure où Erdogan et Aliev rendent hommage aux génocidaires de 1915, annoncent de nouvelles guerres et citent Erevan comme territoire azerbaïdjanais ; d’autres comparant aux colons sionistes des Arméniens qui vivent sur les terres d’Artsakh depuis plusieurs siècles, et aux Palestiniens la tutelle azerbaïdjanaise cooptée par Staline en 1918 ; d’autres encore osant comparer le Haut Karabagh et l’Alsace, avec les Arméniens dans le rôle du Reich allemand. Entre une droite française cynique et gangrenée par le racisme, qui fait son beurre islamophobe sur leur dos, tout en continuant de commercer avec Bakou et Ankara, et une gauche incapable de solidarité, les Arméniens sont, une fois de plus, bien seuls.