Nous ne sommes pas de « première, deuxième, troisième génération ».
De ces catégories qu’elle bâtit pour qu’on lui rende des comptes. Des comptes, sur les pas forcés, tâtonnants ou hasardeux de nos mères et pères. Sur les bonnes manières qu’il faudrait adopter. Sur la reconnaissance et l’amour qu’il faudrait lui porter.
On se façonne d’une histoire, d’une époque, et d’impacts.
Pas de génération spontanée, ni d’étapes laborieuses pour s’oublier dans le moule naissances après naissances et morts après morts.
Pas de progrès ni de perfectionnement, mais le refus d’être raffiné, d’affiner ses traits, de se laisser dépouiller.
Pas d’oubli ni de ratures, mais des traces et des failles au fond desquelles on s’engouffrera, sans le regret de s’être perdu parmi eux.
Eux. Synonyme Ils.
Les agents de l’occupant. Ceux qui veulent et ceux qui font que la machine tourne. La force de Ils est d’être difficilement identifiable, d’être partout et nulle part à la fois, de se propager jusqu’en nous.
Elle nous demande d’être comme eux. Nous le refusons. Nous demeurons avec nos ancrages, vrais ou faux, avec ou sans mères/ pères. Et des repères que l’on se choisit dans l’amour et la haine.
S’intégrer. Accepter l’existence d’une norme et se condamner à l’anormal. Scier les barreaux d’un pedigree qui demeurera une prison. S’abaisser au mimétisme qui n’effacera pas le dissemblable.
Intégration. Synonyme Assimilation. Puisent leurs racines dans le républicanisme et le colonialisme négateurs : assimiler, intégrer des territoires, par les flics et les postes ; intégrer, assimiler des individus, par les armes et les profs.
Il y a eu l’acculturation à marche forcée des marges de l’hexagone par l’imposition des normes administratives, linguistiques, scolaires et militaires. Toutes fondues dans le centre. À intégrer ses caprices, ses assignations, ses conquêtes et ses guerres. Jusqu’à faire don de sa personne à la France : s’enorgueillir de mourir pour elle lorsque l’on meurt par elle.
Il y a eu les faux bruits légitimants du colonialisme, les promesses d’égalité jetées aux visages de colonisés pour mieux écraser leurs révoltes – alors qu’ils n’ont jamais voulu être français, si ce n’est une poignée de ceux que les colons nommaient « les évolués », qui grattaient à la porte qu’on leur claquait au nez, portaient des masques blancs et s’humiliaient.
Il y a toujours les injonctions à rester poli quand on n’est pas d’ici. Et les ordres reçus à l’occasion de l’entretien d’assimilation en préfecture, face immergée des milles entretiens quotidiens, en tête-à-tête avec les flics, les profs, les voisins et la télé.
À en intérioriser les aboiements, jusqu’à cramer sa propre langue.
Jusqu’à honter les siens. Jusqu’à renier ses couleurs.
S’intégrer à la matrice-France, qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, où que l’on aille : homogénéiser, incorporer, au plus près des membres, des réflexes, et jusqu’aux sentiments qui soulèvent.
Enserré dans les règles, au contact des bords tranchants de la frontière délimitant ce qu’il faudra : voter, abandonner ses mots cacher sa foi avoir ses papiers, trouver un travail valider son titre de transport ne pas brûler de voitures, se sentir concerné se préoccuper des débats se faire représenter déléguer, entretenir l’absence à soi-même pour faire acte de présence permanent, et lever le doigt à l’appel.
Il faudra. Être un Français. Qu’on soit né juridiquement français ou qu’on ait passé l’épreuve de la naturalisation, en fournir les preuves jusqu’à sa mort. Et en tant que métèque, des preuves ostensibles, pour dissiper les soupçons. En vain.
Nous n’avons à fournir de preuves à personne.
Nous n’avons pas de comptes à rendre, ni d’efforts à faire : nous sommes ici.