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Tariq le chameau

Entretien avec Jean-François Planchet, poète, auteur de l’histoire de Tariq le chameau, ou "un certain regard sur l’institution scolaire"

par Java
20 octobre 2006

Tariq le chameau est un petit être qualifié de "différent". Il n’est pas adapté à une école qui formate, il ne rentre pas dans le moule. A travers cette histoire pour enfants, Jean-François Planchet (les mots) et Loïc Lémonon (les dessins) illustrent par la poésie les difficultés auxquelles sont confrontés les enfants "hors-cadre", ceux qui ne peuvent, ne veulent, par leur héritage culturel ou social, suivre les rails sur lesquels l’institution veut les poser. Qu’ils soient de la troisième génération, qu’ils soient manouches, qu’ils soient en grande difficulté scolaire, les Tariq souffrent par milliers, anonymement, sur les bancs trop lisses de l’institution scolaire. Par cette histoire, Jean-François Planchet et Loïc Lémonon en décrivent en filigrane les violents rouages.

  Tariq le chameau, Tariq le nomade, dont l’école ne veut pas... un enfant manouche ?

En fait, je ne vois pas Tariq comme un « gens du voyage » mais plutôt comme un immigré [1], c’est la psy qui le met dans la même case que celle des enfants du voyage. Il est comme « eux » déclarera-t-elle. C’est plus facile à conclure que d’affirmer qu’il est étrangement étranger. Les « gens du voyage » eux sont forcément incompatibles avec l’école. L’école est un lieu où l’on ne bouge pas pour mieux écouter. L’école, la classe, par son mobilier discipline les corps. Les tables scellées à des bancs sont toujours d’actualité. Elles étaient autrefois en chêne chevillées, elles sont aujourd’hui en tubes et vernies mais elles gardent la même fonction : contenir. Or les « enfants du voyage » ne se fixent pas. C’est la définition de leurs Parents : ils passent et sont donc inadaptés au moule. Oh ! Mais... on ne leur en veut pas : c’est comme ça. D’ailleurs qu’ils passent encore plus vite pour aller frapper à la grille d’une autre école. C’eut été plus difficile, pour la psy, de conclure que Tariq était inadapté en tant qu’étranger. Maintenant la proximité entre un « gens du voyage » et un immigré est évidente : tous deux sont nés ailleurs, viennent d’ailleurs. Il est vrai aussi qu’en 2006, il reste plus facile de rejeter le premier (sale et voleur) que le second, pas plus populaire, mais qui risquerait de faire traiter les « rejeteurs » de racistes.

  Ca ne semble pas être le cas du directeur de l’école de Tariq : "Monsieurledirecteur"... Pourquoi en un seul mot ? Qui est-il ?

Monsieurledirecteur : à prononcer d’une seule traite. Ce qui empêche d’y joindre son nom de famille. Il a une fonction donc il fonctionne comme un fonctionnaire. Il n’est pas Monsieur X. Il est responsable d’une école et des élèves mal informés pensent même quelquefois encore que l’école lui appartient. Il a souvent la responsabilité (déléguée par le Maire) d’inscrire les élèves. Il faut savoir aussi que l’Ecole Publique accueille tous les élèves d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur langue et le statut de leurs parents. De plus en plus, elle accueille même les enfants souffrant d’un handicap : elle intègre. Monsieurledirecteur qui n’est plus tout jeune n’est pas un Monsieur dur. Il ne souhaite pas d’histoires avec les Parents ou l’Institution, il inscrira Tariq, sans difficulté mais n’osera pas avouer ce qu’il a vu d’emblée : il va y avoir problème pour le faire « asseoir ».
Monsieurledirecteur n’a pas beaucoup, pourrait-on dire, d’imagination professionnelle. Alors on verra bien.

  Il s’en remet à la psychologue scolaire...

Ah ! la Psychologue scolaire ! D’abord, elle est psychologue avant d’être scolaire. Elle a fait des études. Elle est en mesure de répondre aux appels des maîtres d’école. Elle va examiner l’élève « signalé », repérer ses difficultés, mesurer ses capacités intellectuelles et suggérer des bonnes raisons. Des « raisons » qui ne seront ni des réponses, ni des solutions. Dans le cas « Tariq » qui nous intéresse, elle va vite en besogne : ce n’est pas un mauvais bougre, il a même des émotions (il déprime) mais on ne peut rien faire avec ce type « d’élèves »... comme avec ceux du voyage d’ailleurs. Comme un diagnostic qui tomberait de l’ordonnance d’une spécialiste spécialisée, je le répète : « on ne peut rien faire ». Monsieurledirecteur est sauvé ! Il n’y est pour rien. Quant à la Maîtresse, elle peut continuer d’apprendre à lire. Sa méthode est vivement recommandée par le Ministère et ce n’est pas Tariq, éliminé, qui va lui faire se poser des questions.

  Tariq ne pourra donc pas suivre le règlement... un règlement qui frise le ridicule... que signifie-t-il ?

Le règlement est seulement une caricature donc force simplement le trait de ce qui peut être lisible dans certaines classes. Dans le cadre d’une éducation à la citoyenneté, la « mode » est à l’affichage de règles établies par les élèves eux-mêmes. « Mode » quand l’éducation se limite à ces « tables de la loi » collées au mur. On a déjà pu lire (en vrai) sur celles-ci : « on a le droit de répondre aux questions », « on a le droit de faire ses devoirs », « on a le droit d’écouter le maître » « on a le droit d’écrire » ou encore, conduite du bon élève : « travailler en silence, obéir, lever le doigt » ! Oui, oui, oui (vu certifié authentique). Alors le règlement remis aux Parents de Tariq est-il si loin de certaines réalités ?

  A propos des parents : ils sont graphiquement représentés à "l’occidental"... n’est-ce pas à la société de ne pas rejeter plutôt qu’aux gens à renoncer à leur richesse pour "s’intégrer" ? N’y a t il pas renoncement de l’identité dans ces personnages ?

Il faut absolument comprendre les Parents de Tariq. « S’intégrer » est une des premières obligations de l’étranger. S’intégrer signifie s’effacer, se fondre, disparaître donc affirmer sa volonté de se soumettre. Le premier reproche adressé à l’étranger c’est son « étrangeté ». Alors, autant qu’ils vont le pouvoir, les Parents de « Tariq » vont montrer leur bonne volonté, leur bonne éducation, leur qualité de bons parents : vouloir dispenser une instruction à leur enfant. Ce sera finalement raté ! Leur origine, la famille de « Tariq » la porte en eux et sur eux. Impossible d’entrer dans le cadre.
Les autres élèves ne voient absolument pas l’inconvénient de ces différences mais au contraire « la richesse ».
Alors, finalement, les Parents sont-ils prêts à renier leur identité, renégats ?
Certainement pas. Ils sont pleins d’honneur, ils reprennent leur « Tariq », c’est vrai, sans colère. Une colère qui aurait été légitime peut-être même utile. Mais ils choisissent de repartir, encore plus unis par la déception mais.... non sans détermination.

  Cela signifie que l’école, malgré une institutrice sympa, un directeur pas méchant, et une psychologue qui ne fait que son boulot, devient, dans son fonctionnement global, une institution discriminatoire voire raciste ?

Ce qui caractérise et rassemble ces trois fonctionnaires est qu’ils « fonctionnent ». L’école remplit plutôt qu’une fonction d’endoctrinement, une fonction idéologique de légitimation de l’ordre établi, une fonction de "maintien de l’ordre" ce que Bourdieu appelle « violence symbolique ». De l’idéologie dominante, celle qui participe à la reproduction du système, les fonctionnaires en sont les « soldats ». Ils obéissent à une pensée qu’ils croient être la leur si toutefois ils se donnent l’autorisation d’en avoir une. C’est la pensée libérale : « il n’y a de place que pour les meilleurs au sortir du moule, un peu de charité pour les recalés (voire de la discrimination positive ?!) et élimination pour les rebelles ».
Les fonctionnaires, comme les élèves, comme leurs parents, comme les magistrats et... les épiciers se répartissent en trois catégories : les soldats, les faux-culs et les rebelles. Les premiers vivent simplement, ordinairement du système qu’ils reproduisent servilement sans se poser de questions, les faux-culs se donnent et donnent l’illusion de penser, d’analyser de comprendre mais restent de fidèles serviteurs, les troisièmes sont dans la résistance, la dénonciation : ils sont les seuls à penser d’autres solutions. Tariq est un rebelle ! Il ne comprend pas ce que le système attend de lui, lui qui en a pourtant des connaissances ! Il ira même jusqu’à déprimer ! Mais il va le quitter, le système, sans baisser les bras ou les pattes, il va choisir d’entretenir l’« éveil » chez ses (à présent) lointains petits copains.

  Comment l’institution scolaire doit-elle évoluer pour accepter Tariq ?

En acceptant les différences donc en pensant l’acte « de faire classe » autrement. « Faire la classe autrement » c’est considérer chaque élève en tant que membre d’un groupe. Un groupe constitué d’élèves qui vont, non pas travailler les uns contre les autres mais les uns avec les autres, qui vont apprendre ensemble, coopérativement, dans l’entraide ! « Faire la classe autrement », c’est donner du sens à ce qui s’apprend. « Tariq » a tout de suite jugé une méthode de lecture qui nie le sens des mots et de la lecture elle-même : une pe-ou-le = poule... ? Pas de sens pour tout enfant mais encore moins pour ceux qui vivent en direct sur la vie (V. les gens du voyage : ces hommes aux semelles de vent).

  On rejoint le débat sur l’opposition « méthode syllabique / méthode globale... »

Un débat qui masque les recherches et tout ce qui a été démontré, depuis des décennies
cette opposition de deux méthodes. L’Ecole ne fonctionne pas très bien puisqu’il s’agit d’une « entreprise » (comme ils disent) qui produit de l’échec. L’échec coûte cher mais surtout est dangereux. Le ministère a donc décidé de s’en mêler en pointant du doigt. Sauf qu’il montre en raccourcissant et en trompant. La méthode globale n’existe pas ! Il accuse sans savoir. Ce Ministre va aller jusqu’à « dicter » une méthode : ce qui ne s’était jamais vu non plus, la méthode syllabique. Cette méthode s’adresse par son appellation même au « bon sens » du citoyen- parent ou non puisqu’ apprendre serait tout simplement connaître un code et le mettre en œuvre. Sauf que si il est difficile d’empêcher la majorité des enfants d’apprendre, on ne leur a jamais donné de code pour apprendre à faire du vélo, parler, nager, dessiner, etc... et pourtant ils font du vélo, ils parlent, ils nagent... Tariq qui est d’une autre culture (ce qui n’est pas une « tar-e » au contraire), qui a une autre histoire en sait autant sur la poule et le chat que n’importe qui (peut-être même plus). Sauf que lui « met déjà du sens » derrière un mot avant de connaître les boulons qui le constituent. Or la méthode « ministérielle-ment » préconisée veut ignorer le sens. Elle donne des boulons et un mode d’emploi !
Alors Tariq qui ne comprend pas, lui qui a le « vrai bon sens » (pas le bon sens populaire), est en échec.
Et l’école ... (ça na se dit pas mais c’est ainsi), l’école, on la « suit » ou on la quitte !

  Tariq semble partir vers d’autres rêves à la fin de l’histoire. Peut-il y parvenir sans "table d’école adaptée" ?

Tariq, rejeté par l’école va faire la nique au système. Il ne va pas rester dans ce pays de non-accueil. Il ne va pas entrer en apprentissage et finir par transporter des seaux dans une entreprise du bâtiment. NON. On ne lui a jamais demandé ce qu’il voudrait, penserait, aimerait faire. Aujourd’hui, il a trouvé. Il va inventer un métier. Oh, NON, il ne va pas créer « son » entreprise comme ils disent. Il va rester en contact avec les petits enfants d’Europe par le sable en leur rappelant au moment sacré de l’endormissement que ce qui les a séparés a un nom, on l’appelle « injustice », les grands disent « discrimination ».

Et, Tariq, celui qui va les protéger, qui va veiller sur leur sommeil... est un étranger !


« Tariq le Chameau » est illustré par Loïc Lémonon et édité par une toute jeune maison d’édition alternative, à Troyes : les éditions à même le monde

Notes

[1Le terme est volontairement utilisé ici dans le sens commun qui lui est le plus souvent donné : avec haine ou mépris