Qu’est-ce qui fait qu’on n’en veut pas tellement à cet homme qui, lors de son voyage chez les « Teurs » (c’est-à-dire les « Turcs », englobés dans le même groupe que les Arabes, les Berbères et les Juifs qui peuplaient l’Algérie du dix-neuvième siècle), a fait preuve de tant de racisme ?
Sa bonhommie méridionale, pardi !
Tartarin de Tarascon, le personnage de Daudet si bien incarné par Raimu, est devenu dans notre culture l’archétype du fanfaron et du gros type sympa, au fond pas méchant, bon enfant, exubérant et hâbleur – caractéristiques du « bon géant » du Midi bien de chez nous, qui ne saurait évidemment faire de mal à une mouche.
Est-ce un effet Tartarin qui pousse aujourd’hui la plupart des représentants politiques à euphémiser les propos racistes de feu Georges Frêche, devenus pour Martine Aubry et Benoît Hamon de simples « désaccords », pour Laurent Fabius de simples « propos contestés », pour Ségolène Royal des propos simplement « polémiques » et pour François Hollande « des phrases qui ont pu blesser » – sans parler de Jean-Christophe Cambadélis qui sublime le racisme en « gouaille », et de Jack Lang qui l’élève au rang de « liberté de ton peu commune » [2] ?
Nos dirigeants socialistes préfèrent, disent-ils, se souvenir du « bâtisseur » – c’est le mot qui revient systématiquement pour honorer le défunt. Sans s’interroger sur le fait que cette compétence – faire construire de grands bâtiments – fut tout aussi bien portée par les plus sinistres tyrans, sans nous dire non plus en quoi, pour les bons humanistes universalistes qu’ils sont censés être, ces « grands travaux » peuvent excuser des « dérapages » racistes contrôlés et répétés [3], sans nous dire enfin pourquoi il faudrait à tout prix oublier – c’est l’autre leitmotiv des dirigeants socialistes [4] – lesdits dérapages, ces éloges funèbres quasi-unanimes oublient du même coup la dignité des « tronches pas très catholiques » et des « trop nombreux dans l’équipe de France » [5], qui sont pour leur part tout à fait fondés à ne pas s’attrister de la disparition d’un tel personnage – et à se sentir de nouveau insultés par tant de complaisance et d’amnésie. Comme s’ils étaient, en définitive, une seconde fois traités en « sous-hommes »… [6]
Tartarin pouvait éventuellement, avec beaucoup de bonne volonté, ne pas nous énerver trop, parce que l’auteur en avait fait, en plus d’un raciste, un mythomane inoffensif plein de candeur. Mais qu’en est-il d’un professeur honoraire de l’Université, plusieurs fois député et maire d’une des plus grandes villes de France pendant 17 ans, président de la Communauté d’agglomération de Montpellier et du Conseil régional du Languedoc-Roussillon ?
Et puisqu’il a tellement été question du « bâtisseur », faut-il rappeler que le racisme est une construction sociale, que ses reculs et ses avancées dépendent donc des forces sociales qui le déconstruisent ou le reconstruisent, et qu’il y a donc lieu, si l’on prend vraiment au sérieux le mal et si l’on entend réellement le combattre, de ne rien pardonner, oublier ou euphémiser des « grands travaux » d’un grand bâtisseur de racisme ?