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Tartuferie en bande organisée

Présentation du livre Editocrates sous perfusion

par Sebastien Fontenelle
29 septembre 2014

Les journaux et magazines « de référence » publient régulièrement de longues exhortations à « réduire la dépense publique », et des anathèmes contre « la France des assistés ». Mais depuis trente ans, ces mêmes publications sont littéralement gavées de millions d’euros d’aides publiques – qui ne servent à rien, puisque la presse écrite continue de s’enfoncer dans une crise structurelle. Mais qui représentent jusqu’à 12 % de leur chiffre d’affaires. C’est à cette contradiction, qui serait embarrassante si les éditocrates connaissaient l’embarras, honteuse s’ils connaissaient la honte, qu’est consacré un petit livre percutant, drôle, précis, de Sébastien Fontenelle, dont voici l’introduction.

On trouvera, dans ce livre, des éléments relatifs à ce qui ressemble d’assez près à une tartuferie en bande organisée. Signe distinctif : elle dure depuis de longues décennies.

Depuis des dizaines d’années, en effet – depuis qu’elle s’est massivement ralliée au roboratif point de vue de feue Margaret Thatcher selon lequel il n’y avait aucune alternative possible au néolibéralisme, la presse française dominante va répétant, jour après jour, du matin au soir et du soir au matin, qu’il convient de réduire la dépense publique lorsqu’elle finance des sécurités sociales, et d’« adapter l’État aux nécessités des entreprises » – comme l’a très joliment théorisé, dans un irrépressible élan, l’un des plus éminents représentants de la caste des éditocrates : Christophe Barbier, directeur de l’hebdomadaire L’Express.

Or, cette presse, prétendument pluraliste, mais qui, en vérité, communie donc dans une seule et même allégeance aux marchés, et dans une fustigation obsessive de ce qu’elle appelle « l’assistanat », n’a cessé de s’employer, jusqu’aux jours, tout récents, où cela lui est devenu moins facile, à l’occultation de la réalité, discrètement dérangeante, que, dans le même temps qu’elle ensevelit l’État sous une avalanche d’exhortations à mieux maîtriser ses dépenses, elle se gave subventions étatiques.

Par lui-même, ce constat accable, pour ce qu’il révèle – ou confirme – de la gigantesque hypocrisie des fabricants du consentement. Et de l’immensité de l’affront fait à leurs lecteurs, dont l’impôt finance donc, pour des montants qui se chiffrent, nous le verrons, en milliards (de francs, puis d’euros), la confection d’une propagande journalistique dédiée à la stigmatisation maniaque d’une mauvaise gestion de l’impôt.

Mais cet accablement n’est rien, au regard de la consternation où plonge inévitablement le lecteur des pièces qui détaillent ce gavage. Car elles montrent que le dispositif des « aides publiques à la presse », où l’intention première du législateur était de garantir un accès facile « à l’écrit » pour mieux contribuer à l’information du public, a été sciemment dévoyé. Et que la distribution de ces subsides, décidée puis reconduite sans la moindre consultation des contribuables, garantit surtout la survie de publications dont l’équilibre financier serait, sans cela, très directement menacé.

Surtout : ces documents établissent que l’efficacité de ces aides n’a jamais été vraiment prouvée – pour la simple et bonne raison que personne n’a souhaité qu’elle le soit. Et que tous ceux – magistrats de la Cour des comptes et élus – qui les ont examinées de près doutent, au regard des conditions qui président à leur attribution, de leur utilité.

Il y a là, on l’aura compris, quelque chose comme une gabegie – de celles, justement, que la presse, en règle générale, ne manque jamais de dénoncer, lorsque cela lui permet de lancer vers les pouvoirs publics des appels à diminuer la dépense publique, et à rogner les « privilèges » des bénéficiaires de certaines assistances sociales. Mais celle-ci, curieusement, ne suscite aucune alarme – et quand l’éditocratie, confrontée depuis peu à l’évidence qu’il n’est plus possible de l’occulter complètement, consent désormais à l’évoquer, elle le fait avec une mesure où n’entre nulle offuscation, comme pour mieux signifier qu’elle n’y voit rien qui soit le moins du monde répréhensible. Puis elle retourne à sa véritable préoccupation, qui est de s’alarmer de ce que tant d’« assistés » - et autres allocataires – restent pendus aux mamelles d’un État dépensier : parfois même elle demande que ces misérables « rendent l’argent »…

P.-S.

Le livre de Sébastien Fontenelle, Editocrates sous perfusion, est publié aux éditions Libertalia. Nous reproduisons cet extrait avec l’amicale autorisation de l’auteur et des éditeurs.

Table des matières

1. Serge Dassault « coupe toutes les aides ». (Introduction.)

2. Aux origines des aides publiques à la presse : le pluralisme, sinon rien.

3. Le pluralisme fin de siècle : une chorale reaganienne contre « l’État-mamma ».

4. Le Monde contre la « dépense publique ».

5. Le Figaro contre « l’assistanat ».

6. Le Point contre les « tire-au-flanc ».

7. Économies et « transparence » : la presse tout contre la Cour des comptes.

8. La Cour des comptes vend la mèche.

9. Cachez ce rapport que nous ne saurions voir…

10. L’éditocratie contre-attaque : « C’est pas moi, c’est La Poste ! »

11. Le bal des tartuffes

12. « Rendez l’argent ! » (Conclusion.)