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Témoignage bouleversant sur le racisme d’une certaine Gauche républicaine

par Collectif Les mots sont importants
16 septembre 2003

Dans une lettre périodique qu’ils éditent sur internet, intitulée Respublica, les militants de la "Gauche républicaine" se laissent aller à d’inquiétantes dérives. Ainsi, dans la livraison de septembre 2003, on peut lire ceci :

" Témoignages bouleversants sur l’oppression des femmes en milieu musulman

La marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l’égalité, "Ni putes ni soumises", a été un succès autant médiatique que populaire (...) Le site macite.net propose des témoignages bouleversants de sévices, insultes et humiliations subies par les femmes, françaises ou étrangères, dont les familles sont originaires de pays musulmans.

Sistafro : "L’an dernier mon père est venu du Mali pour me voir mais en fait il avait décidé de me marier. Quand il me l’a dit ouvertement , il m’a présenté mon futur mari, mais moi j’ai refusé catégoriquement. Mais mon père ne m’a pas écoutée, je pense qu’il s’en foutait que je sois d’accord ou pas. Pour lui une fille de 19 ans devait être mariée, elle n’avait plus besoin de faire d’études. Mais moi je voulais continuer mes études car je veux être prof ou institutrice."

Maïla : "on entend des insultes de la part des mecs du quartier parce que pour eux être habillé en jupe est synonyme de "pute"."

Achka : "Mon frère me surveille je ne peux même pas allée où je veux avec ma meilleure amie"

* : les bien pensants autant lâches que gênés, jugeant qu’il est urgent de ne rien faire, s’abriteront derrière l’attaque facile d’oeuvrer pour l’extrême droite. Nier les problèmes par ce genre d’accusation simpliste et insultante ne facilite pas leur résolution. "

Ce type de discours, hélas déjà lu mille fois, donne envie de vomir.

Empressons nous tout de suite de dire que la situations exposées par Sistafro, Maïla et Achka sont effectivement bouleversantes, et qu’il est nécessaire de les prendre au sérieux, d’en parler et d’agir pour combattre le sexisme ambiant qu’elles ont à affronter.

Cela étant dit, il n’est pas certain que ces trois jeunes filles seraient ravies de voir l’usage qui est fait par la "gauche républicaine" de leur situation. Il n’est pas certain qu’elles seraient ravies de voir la dureté et les préjugés sexistes du père de Sistafro, du frère d’Achka et des "mecs du quartier" de Maïla (qui ne sont pas tous musulmans, qu’on sache) servir à illustrer la thèse selon laquelle le sexisme n’existe qu’en "milieu musulman", ni la thèse selon laquelle toutes "les femmes, françaises ou étrangères, dont les familles sont issues de pays musulmans" sont soumises à des "sévices, insultes et humiliations" du type de ceux que décrivent les trois jeunes filles.

Nous ne savons pas si c’est être "bien-pensant" que de s’opposer à ce type d’amalgames et de stigmatisation massive, mais c’est en tout cas être extrêmement mal-pensant et malveillant que de s’y livrer. Et s’il est vrai qu’il faut manier l’accusation de racisme avec prudence, en la réservant pour les cas de racisme avéré, il faut appeler un chat un chat : le fait d’attribuer le monopole, ou en tout cas une prédisposition particulière pour une forme de tare ou de comportement répréhensible à un groupe humain dans son ensemble, en le considérant comme un bloc homogène d’individus "tous pareils", est le fondement de tous les racismes.

Cette stigmatisation massive "œuvre" bien entendu "pour l’extrême droite", mais ce n’est pas là le seul mal que commettent ces " républicains de gauche". Avant même d’apporter un quelconque profit aux mouvements d’extrême droite, ce discours bête et méchant de stigmatisation de l’Islam produit bien d’autres effets : il alimente un racisme qui déborde largement le cadre de l’extrême droite, et que prennent en pleine figure, sans attendre la prochaine percée électorale du FN, toutes les personnes issues de l’immigration pouvant être assignés à une origine "musulmane".

Ce discours de stigmatisation alimente aussi le repli communautaire et, par l’usage qu’ils fait des témoignages recueillis, expose les jeunes filles qui ont eu le courage de témoigner de leur situation à l’accusation de "traîtrise" vis-à-vis de leur milieu d’origine – ce qui risque de les placer dans une situation encore plus intenable que celle qu’elles vivent déjà.

Ce discours de stigmatisation contribue enfin à diffuser au sein d’une jeunesse effectivement accrochée à des stéréotypes sexistes (mais qui n’est pas la seule frange de la population à l’être, loin de là) le sentiment que c’est leur religion ou leur culture qui est visée à travers la dénonciation du sexisme, et donc qu’ils doivent s’accrocher à leurs pires penchants sexistes sous peine de "trahir" cette religion ou cette culture à l’heure où celles-ci subissent des attaques tous azimuts. Bref, loin d’avancer la moindre proposition pour lutter contre le sexisme et soutenir Sistafro, Maïla et Achka dans leur combat pour la dignité et l’égalité de traitement, nos "républicains de gauche" contribuent à durcir les situations et à livrer en patûre ces filles à des jeunes hommes littéralement encouragés à persévérer dans leur sexisme.

Il faut se rendre à l’évidence : il y a à la Gauche républicaine des gens qui ont des comptes à rendre avec "le monde musulman" et qui pour cela sont prêts à jouer avec la vie de jeunes filles qui ont eu le courage de se révolter. C’est peu de dire que ces républicains de gauche n’ont pas grand chose à faire de la condition des femmes – on dirait même que c’est le cadet de leurs soucis.