.................................................................1
Liberté +
..................................................... 2......................3
Liberté -
..........................................4........................................ 5
Pour comprendre ce schéma, il faut considérer l’axe vertical comme un axe indiquant l’importance attachée à la liberté individuelle :
– la position la plus élevée (la position 1) est celle qui accorde à la liberté individuelle la plus grande importance ;
– les positions les plus basses sont celles qui lui en accordent le moins (les positions 4 et 5) ;
– les positions intermédiaires accordent une certaine place à la liberté : la liberté de pensée, de choix, de la jeune fille n’est pas ce qui prime sur tout, mais en revanche sa liberté d’action est considérée comme sacrée : on peut lui expliquer ce qu’elle doit faire, essayer de l’influencer, l’amener par des paroles à faire ce qu’on veut qu’elle fasse (ou ce qu’on estime qu’elle doit faire), mais en aucun cas on ne doit la forcer à le faire tant qu’elle n’a pas elle-même envie de le faire.
Quant à l’axe horizontal , il indique le positionnement face au port du voile :
Plus on va vers la gauche, et plus l’attachement au port du voile est fort :
– à la position 4, il est tellement fort qu’il légitime le fait de forcer le consentement des individu(e)s ;
– en revanche, en position 2, il n’est pas assez fort pour justifier cette violence) ;
Inversement, plus on va vers la droite, plus l’hostilité est grande, et plus est grande l’envie de voir les jeunes femmes musulmanes aller tête nue ;
– cette envie est tellement forte en position 5 qu’elle légitime de forcer le consentement des individu(e)s pour y parvenir ;
– en position 3, elle n’est pas assez forte pour justifier cette violence.
Enfin, la position 1, occupant une position centrale sur cet axe horizontal, est une position d’indifférence non pas au voile en tant que tel, ni aux discours de justification qui l’accompagnent, ni aux personnes qui le portent, mais au simple fait qu’une jeune fille le porte.
Reprenons donc les cinq positions :
.................................................................1
Liberté +
..................................................... 2......................3
Liberté -
..........................................4........................................ 5
Ces cinq positions peuvent être caractérisées ainsi :
1. "Démocrates radicaux" ou "libertaires"
Position non-dogmatique sur la question du port du voile
Cette position est non-dogmatique au sens où, sur la question de ce que doit porter une jeune fille musulmane, elle s’abstient de prendre position, elle n’affirme donc aucun dogme : elle renvoie totalement la question au libre-arbitre de la jeune fille.
Cette position peut être dite libertaire [1] : son seul dogme est la liberté individuelle et l’égalité de traitement.
Cette position, qui est la mienne, est aussi celle qu’ a exprimée l’avocate iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la Paix. C’est aussi cette position qui a été soutenue par le Collectif Une école pour tou-te-s / Contre les lois d’exclusion - même si les positions 2 et 3 peuvent aussi être présentes chez certains membres du collectif. En fait, la plupart des groupes non-musulmans opposés à la loi l’ont été soit de cette position 1 ("libertaire"), soit de la position 3 ("anti-voile modérée"). Certains individus musulmans peuvent être eux-mêmes partagés entre les points de vue 1 et 2 ; et certains individus "non-musulmans" peuvent être partagés entre les points de vue 1 et 3.
Il convient enfin de préciser que cette position non-dogmatique sur le port du voile ne signifie pas un relativisme absolu sur toutes les questions annexes ou connexes ; elle n’exclut pas, notamment, une position d’hostilité sur les discours qui justifient l’obligation de porter le voile par le devoir pour les femmes d’être pudiques. Tout dépend donc du discours et des actes qui accompagnent le geste de porter le voile. Mais sur le simple fait pour une femme de porter un voile, il y a suspension du jugement.
2. "Pro-voile modérés"
Position dogmatique non-violente pro-voile
Cette position est dogmatique au sens où, sur la question de ce que doit porter une jeune fille musulmane, elle ne renvoie pas totalement au libre-arbitre de la jeune fille ; elle prend position, elle affirme donc un dogme : une jeune femme musulmane doit porter le foulard.
Cette position est toutefois non-violente au sens où ce positionnement sur ce que doit faire la jeune fille ne va pas jusqu’à légitimer l’usage de la contrainte, le non-respect du consentement)
La position peut se résumer de la manière suivante : la femme musulmane doit – pour être en conformité avec sa religion – porter le voile, mais cet objectif n’est pas en soi un absolu : il ne vaut que si la personne a elle même fait le chemin qui la mène jusqu’au port du voile ; elle doit porter un jour le voile, mais elle doit comprendre pourquoi elle le fait, elle doit y venir par elle même. En d’autres termes, le principe "Nulle contrainte en Islam" prime sur l’obligation de porter le voile. L’individu(e) doit trouver elle-même le chemin qui mène au voile, selon sa propre temporalité. On ne doit pas forcer son consentement par la loi ou par la menace. Ce qui implique condamnation des régimes comme l’Iran qui rendent le port du voile obligatoire.
Cette position est celle de Tariq Ramadan, telle qu’il la développe dans ses écrits.
3. "Anti-voile modérés"
Position exactement symétrique de la position précédente : position dogmatique non-violente anti-voile
Cette position est dogmatique au sens où, sur la question de ce que doit porter une jeune fille musulmane, elle ne renvoie pas totalement la question au libre-arbitre de la jeune fille ; elle prend position, elle affirme donc un dogme : la jeune femme musulmane ne doit pas porter le voile - et si elle le porte, il est souhaitable qu’elle l’enlève un jour.
Cette position est toutefois une position non-violente au sens où le positionnement sur ce que doit faire la jeune fille ne va pas jusqu’à légitimer l’usage de la contrainte, le non-respect du consentement.
La position peut se résumer de la manière suivante : la jeune fille voilée doit – pour devenir une femme émancipée – enlever son voile, mais cet objectif n’est pas en soi un absolu ; il ne vaut que si la personne a elle même fait le chemin qui la mène jusqu’au dévoilement ; elle doit enlever un jour son voile, mais elle doit comprendre pourquoi elle le fait, elle doit y venir par elle même ; le respect du libre-arbitre prime sur la nécessité d’enlever son voile pour s’émanciper. L’individu(e) doit trouver le chemin elle-même, selon sa propre temporalité. On ne doit pas forcer son consentement par la loi ou par la menace. Ce qui implique la condamnation des régimes comme la Turquie, la Tunisie, ou la France de 2004, qui interdisent le port du voile dans certains espaces.
Cette position, qui est manifestement celle de la "majorité silencieuse" en France (d’après le croisement de deux sondages parus fin 28 avril 2003) [2], est par exemple celle que Martine Aubry a exprimé depuis plusieurs années - même si elle est restée plutôt muette lors des débats de l’année 2003. C’est aussi la position que défend Bernard Defrance dans son texte "Contre le voile, donc contre l’exclusion de celles qui le portent" (en ligne sur www.lmsi.net). C’est aussi la position majoritaire dans des groupes comme Alternative Libertaire. Cette position a été peu entendue, car les groupes qui la portaient ont refusé de s’engager contre la loi interdisant le voile à l’école, de peur d’apparaître publiquement aux côtés d’associations musulmanes ou de sembler défendre "la religion".
4. Extrémistes ou intégristes islamistes
Position dogmatique violente pro-voile
Cette position est dogmatique au sens où, sur la question de ce que doit porter une jeune fille musulmane, elle ne renvoie pas la question au libre-arbitre de la jeune fille ; elle prend position, elle affirme donc un dogme : la jeune femme musulmane doit porter le voile.
Cette position est en outre une position violente au sens où ce positionnement sur ce que doit faire la jeune fille légitime l’usage de la contrainte, le non-respect du consentement.
Cette position peut se résumer de la manière suivante : la jeune femme musulmane doit – pour être en conformité avec sa religion – porter le voile, et cet objectif est en soi un absolu ; il vaut, que la personne ait elle-même fait le chemin qui la mène jusqu’au port du voile, ou pas. La femme musulmane doit porter le voile sans délais, de gré ou de force , même si elle ne comprend pas pourquoi elle le fait. En d’autres termes, le principe "Nulle contrainte en Islam" passe après l’obligation de porter le voile. On ne laisse donc pas à l’individu(e) la possibilité de trouver le chemin elle-même, selon sa propre temporalité. Au regard de l’impératif catégorique de porter le voile, il est légitime de forcer le consentement par la loi ou par la menace. Par conséquent, les régimes, comme l’Iran, qui rendent le port du voile obligatoire, ne sont pas condamnés.
Cette position existe sans doute en France, mais elle est très minoritaire, et aucun groupe ne la porte publiquement.
5. Extrémistes ou intégristes laïcistes
Position exactement symétrique de la position précédente : position dogmatique violente anti-voile
Cette position est dogmatique au sens où sur la question de ce que doit porter une jeune fille musulmane, elle ne renvoie pas au libre-arbitre de la jeune fille ; elle prend position, elle affirme donc un dogme : la jeune femme musulmane ne doit pas porter le voile - et si elle le porte, elle doit l’enlever.
Cette position est en outre une position violente au sens où le positionnement sur ce que doit faire la jeune fille légitime l’usage de la contrainte, le non-respect du consentement.
La position peut se résumer de la manière suivante : la jeune fille voilée doit enlever son voile, et cet objectif est en soi un absolu ; il vaut, que la personne ait elle même fait le chemin qui la mène jusqu’au dévoilement, ou pas ; elle doit enlever son voile sans délais, même si elle ne comprend pourquoi elle le fait ; elle doit se dévoiler de gré ou de force ; le principe du libre-arbitre passe après l’obligation d’aller tête nue. On ne laisse donc pas à l’individu(e) la possibilité de trouver le chemin elle-même, selon sa propre temporalité. Au regard de cet impératif catégorique de "faire tomber les voiles", il est légitime de forcer le consentement par la loi ou par la menace. Il en résulte que les régimes comme la Turquie, la Tunisie ou la France de 2004, qui interdisent le port du voile dans certains espaces, ne sont pas dénoncés, mais au contraire considérés comme des modèles.
Cette position a été soutenue par l’Union des Familles Laïques, Prochoix, le PS, l’UMP, les Ni putes ni Soumises, Lutte Ouvrière, Pierre-André Taguieff, Alain Finkielkraut, Anne Zelensky, Chahdorrtt Djavann, et elle a été quasi-hégémonique dans les grands médias. Chose curieuse, cette position qui dénie toute liberté de pensée et d’action à certaines catégories de la population, et qui fait appel à l’appareil d’État pour réglementer les tenues vestimentaires et gérer les conflits idéologiques, a été massivement acceptée (et parfois soutenue) par la majorité des militants qui se disent "libertaires". Enfin, cette position a finalement recueilli l’assentiment de la quasi-unanimité des forces politiques représentées au Parlement.
II. Quelques commentaires
II. 1. Ce schéma permet de voir :
– que Tariq Ramadan n’est pas un intégriste ou un extrémiste ; sa position est davantage comparable à celle de Martine Aubry (qui occupe une position symétrique, autrement dit : une position opposée du point de vue du contenu du dogme, mais se situant sur un même plan, dans un même espace mental : celui où l’on se permet de décider à la place des femmes de ce qui est bon pour elles, mais où l’on respecte avant toute chose le principe du nécessaire consentement des personnes).
– que, cela dit, les groupes "non-musulmans" (comme Les mots sont importants, Les Blédardes, le Cedetim, les JCR...) qui se sont alliés au sein d’ "Une École pour tou-te-s avec "la mouvance de Tariq Ramadan" (le Collectif des Musulmans de France, Présence musulmane) pour lutter contre la loi d’interdiction ont une position distincte, spécifique, qui n’est pas superposable à celle de Tariq Ramadan, et qui dénote même une conception du monde (la position 1, "libertaire") radicalement différente de la sienne.
– que les promoteurs de la loi interdisant les signes religieux à l’école peuvent, eux, être effectivement qualifiés d’intégristes ou d’extrémistes, au sens où, s’ils se situent effectivement aux antipodes des intégristes musulmans du point de vue du contenu du dogme, ils se situent en revanche strictement sur le même terrain du point de vue de la pratique politique : dans un espace mental où le consentement des personnes peut être totalement évacué, et la force brute utilisée pour imposer son idée de la " bonne vie ".
II. 2. Ce schéma permet aussi de comprendre la radicalité du différend entre les différentes parties en présence dans ce débat, et donc de comprendre pourquoi la discussion sereine et l’échange d’arguments ont été impossibles :
Voici en effet comment on voit les choses de la positon 1 :
...................................................................1
Liberté +
..................................................... 2......................3
Liberté -
..........................................4 ........................................ 5
On voit donc clairement que du point de vue " libertaire " (1),
– les positions modérées "pro-voile" et "anti-voile" (2 et 3) sont les positions les plus proches, donc les alliés naturels. L’une n’est d’ailleurs pas plus proche que l’autre.
– en revanche, les positions "violentes", "pro-voile" comme "anti-voile" (4 et 5), sont l’une et l’autre trop éloignées et trop "basses" pour qu’un quelconque terrain de discussion soit possible ; étant donné qu’elles tiennent pour rien ce qui est crucial du point de vue "libertaire", à savoir le libre arbitre et le respect du consentement des individus, ils est impossible de discuter avec les tenants de ces positions.
Voici en revanche comment on voit les choses lorsqu’on "renverse" le triangle de manière à adopter le point de vue des partisans de la loi interdisant le voile, c’est-à-dire de la position 5 (la position "anti-voile violente") :
...................................................................5
.
..................................................... 3......................
.
.......................................1 ........................2..................... 4
On voit clairement que, de cette position, seule la position 3 apparaît relativement proche : elle est donc considérée comme une position respectable, mais peu sérieuse, une position de gens fréquentables, mais "angéliques" : ils ont le mérite d’être clairement "contre le port du voile", mais ils manquent de radicalité et de pureté dans leur combat.
Quant aux trois autres positions, elles apparaissent toutes aussi "basses" et éloignées : la différence entre avoir un dogme sur la tenue des jeunes filles musulmanes (position 2, "pro-voile modérée") et ne pas en avoir (position 1, "libertaire") n’a aucune importance, de même que n’a aucune importance la différence entre respecter le choix des femmes musulmanes qui ne se voilent pas (position 2, "pro-voile modérée") et ne pas l’accepter (position 4, "pro-voile violente"). Puisque, précisément, les notions de libre arbitre et de consentement n’ont aucune valeur du point de vue de cette position 5 ("anti-voile violente"), elles ne permettent aucune différenciation entre Les mots sont importants, la Ligue des droits de l’homme, la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (FCPE), Tariq Ramadan, l’UOIF, Mohamed Latrèche et les Talibans. Il est donc logique que le groupe Respublica qualifie Michel Tubiana (de la LDH), Georges Dupon-Lahitte (de la FCPE), moi même ou "Une école pour tous" d’ "islamo-gauchiste", de "chien de garde des garde des islamistes" ou de "collabos des islamo-nazis".
II. 3. Le clivage nouveau créé par cette loi est le suivant :
Jusqu’à un passé récent,
– les tenants des positions 1, 3, et 5 ("libertaires", "anti-voile modérés" et "anti-voile extrémistes") se retrouvaient régulièrement dans des combats communs, et dans les mêmes familles politiques : ce qu’on nomme la gauche et l’extrême gauche ;
– les tenants de la position 2 ("pro-voile modérée") étaient moins nombreux et moins visibles, ils ne prenaient pas part au débat ;
– les tenants de la position 4 ("pro-voile violente") étaient exclus d’office du débat, en tant que tenants d’une position inacceptable.
Les tenants de la position 5 ("anti-voile violente"), en revanche, n’étaient pas exclus de la même manière, car ils n’avaient pas eu l’occasion de manifester pleinement leur violence et leur extrémisme, étant donné que les musulmans demeuraient invisibles, et ne leur posaient donc pas de problème.
La visibilité croissante des musulmans en tant que musulmans, et des femmes voilées plus particulièrement, a amené les tenants de la position 5 ("anti-voile violente") à se révéler, à se constituer en force politique, et à imposer un agenda que peut résumer le mot "purification" – l’enjeu consistant à étendre, au-delà de la position 4 ("pro-voile violente"), le domaine des positions infamantes et de ce fait mises hors-jeu, et d’y inclure les position 1 ("libertaire") et 2 ("pro-voile modérée").
Face à cette offensive, les tenants des positions 1 ("libertaire") et 3 ("anti-voile modérée") se sont retrouvés pour la première fois amenés à s’allier avec les tenants de la position 2 ("pro-voile modérés").
C’est ainsi qu’en 2003-2004, s’est formée la configuration politique suivante :
– une loi portée par les seuls tenants de la position 5 ("anti-voile violents"), mais dotés d’une "force de frappe" considérable (la quasi-totalité des grands médias, et rapidement des partis politiques de gouvernement, ainsi qu’une partie non-négligeable de l’extrême gauche et des groupes féministes).
– une opposition, très peu médiatisée, portée par les tenants des positions 1 et 2 ("libertaires", "modérés" pro-voile) ;
– des tenants de la position 3 (anti-voile "modérés") "embarassés" : hostiles à la loi d’interdiction, mais réticents à s’engager contre ;
– une opposition "provoile violente" (position 4) quasi-inexistante mais sans cesse mise en avant, en guise d’épouvantail, par les tenants de la loi, sous le nom d’ "intégrisme", d’ "islamisme", d’ "islam politique" ou d’ "Islam des Frères".
Et enfin, une conclusion, préoccupante :
Ce qui a été hégémonique médiatiquement, et triomphant au Parlement, ce qui a aujourd’hui force de loi, est une position dont on a vu pour quelles raisons précises elle pouvait être qualifiée de violente, d’extrémiste et d’intégriste .