
Donc, la photo du corps inerte du petit Aylan échoué sur une plage turque aura enfin fait prendre conscience aux gouvernements européens de l’urgence de la question des réfugiés syriens. Sauf que, si on ne peut nier l’émotion ou l’indignation qu’une image est capable de susciter, ce n’est pas rassurant d’imaginer que le « choc des photos » devienne un nouveau paramètre de gouvernance. D’ailleurs, il ne faudrait pas que le réveil émotionnel provoqué par cette image insoutenable phagocyte la compréhension d’une réalité plus large.
Ainsi, le parcours de la famille du petit Aylan Kurdi concentre en soi bien des aspects du calvaire qui a poussé plus de 4 millions de Syriens à s’exiler depuis quatre ans. Abdullah Kurdi, le père d’Aylan, était barbier à Damas où, en 2011, il aurait été arbitrairement emprisonné et torturé durant 5 mois par les services de sécurité, selon le blogueur syrien Kenan Rahmani. Il a dû vendre son commerce pour payer la caution de 5 millions de livres syriennes (environ 24 000 euros) que lui réclamaient les militaires.
La famille part alors à Alep, d’où elle doit fuir les bombardements du régime. Elle se rend à Kobané, sa ville d’origine, mais l’attaque de Daech, en juillet 2014, les oblige à passer la frontière turque. La ville, détruite depuis le départ du groupe État islamique, chassé par les combattants kurdes et l’aviation américaine, est dans un lent processus de reconstruction, aujourd’hui bloqué par l’embargo que lui impose le gouvernement turc.
En juin, la demande d’asile qu’Abdullah a faite au Canada – où sa sœur est résidente et a préparé son accueil – est rejetée. La Turquie, quant à elle, refuse de délivrer des visas de sortie aux réfugiés qui ne disposent pas de passeport, ce qui est le cas de la plupart des Syriens en exil.
La famille Kurdi débourse alors l’équivalent de 5 000 euros pour tenter une traversée en bateau vers l’île grecque de Kos. La suite, on la connaît, le 2 septembre, le canot chavire, les gilets de sauvetage étaient défaillants, Aylan glisse des mains de son père… Depuis, le Canada a offert la citoyenneté à la famille Kurdi qui l’a refusée, le père ayant déclaré vouloir rester à Kobané, où son fils a été enterré.
À l’heure où Bachar al-Assad, le principal responsable de la tragédie syrienne, est remis en selle par l’ensemble de la communauté internationale sur fond de réal-politique, CQFD a souhaité donner la parole aux révolutionnaires civils syriens, qui ont vu leurs espoirs de changement balayés par des jeux géostratégiques et la militarisation du conflit.
Ils nous rappellent que leur lutte continue à travers l’auto-organisation des zones rebelles et le soutien aux populations civiles qui subissent toujours les attaques de l’armée – comme le 16 août, à Douma, où 96 personnes ont trouvé la mort suite au bombardement d’un marché populaire.
Nous sommes également partis à Istanbul à la rencontre d’une diaspora syrienne hétérogène, entre exploitation économique et reconstruction culturelle. Au moment où nous mettons sous presse, l’Union européenne annonçait débloquer plus d’un milliard d’euros pour « fixer » les réfugiés en Turquie, en Jordanie ou au Liban et ainsi endiguer l’afflux vers la forteresse Europe…