On l’a constaté dans la couverture médiatique de la fusillade récente d’un lycéen de 17 ans dans un collège allemand qui a tué en majorité des femmes (onze filles pour un garçon dans l’enceinte du collège). Le meurtrier était un consommateur de pornographie violente, mais c’est surtout sa consommation de « jeux vidéo » que les médias ont mise en valeur.
Meurtres de masse et crise économique
Dans la décennie suivant le krach boursier de 1929, le nombre de meurtriers de masse aux États-Unis a connu un bond spectaculaire (un meurtrier pour 8,5 millions d’habitants) ; la décennie suivante, il est revenu à un ratio d’un meurtrier pour 15,7 millions d’habitants. Depuis la décennie 1970-79, marquée par la première grande récession généralisée (1974-75) après la Seconde Guerre mondiale et le triomphe subséquent des politiques néolibérales, le ratio s’est établi à un pour 4,8 millions, puis en 1980-89, à un pour 3,8 millions et enfin, en 1990-99, à un pour 1,3 million d’habitants.
On assiste actuellement à une multiplication des tueries de masse.
Lorsque les individus constatent que leur situation socioéconomique se détériore ou paraît moins bonne que celle d’autres membres de la société, ils peuvent y déceler une injustice, plus particulièrement pour ceux qui croient que la réussite sociale leur revient de droit. La question se pose alors de savoir qui est le plus susceptible de réagir avec violence lorsque son statut social est menacé.
Hommes et travail
Les difficultés professionnelles et le chômage, qui caractérisent une bonne partie des tueurs de masse, affectent particulièrement les hommes pour qui le travail représente un facteur fondamental de leur identité. Aux États-Unis, ce sont surtout les hommes d’origine caucasienne qui provoquent des massacres, peu des hommes des minorités ethniques et nationales et encore moins des femmes. Ces deux derniers groupes sont plutôt des victimes de tueries.
Les groupes sociaux les plus opprimés développent des mécanismes individuels et collectifs de défense et des stratégies pour lutter contre les inégalités et les discriminations. Ce n’est pas le cas pour les membres du groupe dominant qui sont moins bien préparés à encaisser les échecs. Quand des hommes, pour qui le travail régulier et bien rémunéré va de soi, perdent leur statut et croient que les groupes discriminés réussissent mieux qu’eux, leur amertume peut se transformer en violence. Ce qui fut le cas de Marc Lépine.
Virilité et meurtres de masse
Quand un tueur s’attaque aux personnes qui représentent les institutions politiques, la misogynie sexiste n’est jamais loin : « Vous voulez avoir la libération de la femme, vous l’avez : payez pour ! », a vociféré Denis Lortie à l’une de ses otages à l’Assemblée nationale du Québec, lors de la tuerie du 8 mai 1984.
La violence du meurtrier constitue une mise en valeur de soi-même, une manifestation de sa puissance égotique. Certains tueurs déclarent lutter contre les « fléaux sociaux » qu’ils associent aux prostituées, aux homosexuels, aux féministes (tuerie de l’École polytechnique) ou encore aux groupes ethniques et aux minorités nationales. Ces tueurs s’attaquent à des individus de ces groupes pour les remettre à leur place, pour leur montrer qui doit régner, qui doit se soumettre. Le choix de leurs victimes n’est pas dû au hasard.
Les élèves et les étudiants qui décident de tuer leurs collègues, comme cela fut le cas à Columbine en 1999, ont généralement subi des railleries remettant en cause leurs attributs masculins et leur hétérosexualité. Avec leur fusillade, ils affirment radicalement leur virilité.
Auparavant, les meurtres à caractère sexuel étaient l’apanage des meurtriers en série. Ce n’est plus le cas. Se sont multipliés récemment les meurtres de masse où un assassin sépare les filles des garçons, libère les garçons, puis viole les filles avant de les tuer.
Séparation et divorce
Cependant, la majorité des tueurs de masse s’attaque à des membres de leur propre famille. La séparation et le divorce constituent la toile de fond de ces drames. Aux États-Unis, 74 % des femmes assassinées par leur partenaire le sont après une séparation ou un divorce. Des hommes estiment que leur femme et leurs enfants sont leur propriété. « Vous m’appartenez, donc vous n’appartiendrez à aucun autre », assurent ces hommes qui tuent aussi bien leur partenaire que leurs enfants ou encore que leurs enfants pour punir leur partenaire (comme le cas récent du cardiologue de Piedmont). Certains ciblent même leur belle-famille. C’est ce qui s’est produit à Covina, en Californie, la veille de Noël quand un homme récemment divorcé, vêtu en Père Noël, a tué par balle sept membres de son ex-belle famille.
Alors, les discours qui installent la violence du côté de la seule psychologie des tueurs (« rien ne laissait présager un tel acte de folie », répètent à satiété les médias) et qui, par le fait même, délaissent leurs victimes, se dispensent de s’intéresser aux significations sociales, politiques, sexistes et racistes des violences. Ils refusent de nommer cette violence qui est masculine et, de ce fait, ils l’occultent. Aussi, les meurtres de masse leur apparaissent incompréhensibles.