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Un air de liberté

L’esprit de résistance selon Jacques Julliard

par Sebastien Fontenelle
28 janvier 2018

L’hebdomadaire néorépublicain Marianne s’est trouvé la semaine dernière – et dans le prolongement – de la publication par Le Monde de la lugubre tribune dont les signataires défendaient une « liberté », pour les mecs, « d’importuner » les femmes –une mission à la hauteur de ses ambitions : « Libérons la parole des hommes »...

Pour cette occasion, son éditorialiste en chef – a man called Jacques Julliard – a rédigé une longue diatribe contre le « maccarthysme sexuel qui assimile tous les comportements masculins envers les femmes à (des) viols » [1].

Or : ce personnage n’en est pas, sur de tels sujets, à ses premières extravagances. Tout au rebours – on le sait peu, car jamais elles n’ont été désavouées par ses employeurs : il y a fort longtemps qu’il profère de très substantielles vilenies.

En 1997, par exemple, il comparait – dans Le Nouvel observateur, où cette obscénité n’avait, semble-t-il, choqué personne – le féminisme américain à une « solution finale ». Puis d’ajouter :

«  Les étudiantes américaines sont si bien parvenues à dissimuler leurs caractères sexuels secondaires que perpétrer dans ces conditions les agressions dont elles se prétendent menacées relève non de la transgression mais de l’héroïsme.  »

Six années plus tard, en 2003, il écrivait, dans le même magazine, où sa prose était donc toujours très prisée :

«  Inversez les deux voyelles, et dans voile, vous trouverez viol. En dissimulant ostensiblement le sexe au regard, fût-ce sous la forme symbolique de la chevelure, vous le désignez à l’attention ; en enfermant le corps féminin, vous le condamnez à subir l’effraction. » [2]

Et quinze ans plus tard, il est toujours pris dans les mêmes obsessions – et dans les mêmes nauséeuses comparaisons, puisque ce qu’il appelle « la déferlante “Balance ton porc“ » – référence au hashtag sous lequel des femmes dénoncent des agresseurs sexuels -, lui inspire notamment cette réflexion, où de nouveau il convoque, comme naguère contre les féministes américaines, la mémoire du nazisme :

«  Même pour le bon motif, la délation reste la délation, c’est à dire une des choses les plus viles qui puissent sortir du cœur humain. Il s’est trouvé, au lendemain de la guerre, des résistants pour refuser de donner des officiers allemands en fuite. »

Après quoi, totalement dégondé, il s’emporte, dans un même élan, contre « l’ordre moral » où « réclamer le “droit d’être importunées” tend à devenir un délit », puis contre « le despotisme de l’opinion correcte qui a amené la maison Gallimard à renoncer à la réédition des pamphlets de Céline ».

C’est vrai, quoi : comment ne pas frémir à l’idée que notre cher et vieux pays puisse un jour ne plus être ce merveilleux espace de liberté(s) où des mecs font chier des passantes pendant que d’autres lancent la réimpression de libelles racistes ?

P.-S.

Cet article a été initialement publié dans le journal Politis.

Notes

[1Si, si, je t’assure : le gars écrit vraiment ça.