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Un chien qui se mord la queue

Quelques remarques sur des accusateurs

par Faysal Riad, Pierre Tevanian
10 octobre 2011

En soutien à Houria Bouteldja, actuellement trainée en justice, à l’initiative d’une association d’extrême-droite, pour avoir simplement qualifié de "souchiens" cette partie des Français que tout un chacun s’autorise à nommer "Français de souche", nous republions le texte qui suit, initialement paru sur le site des Indigènes de la République. Nous renvoyons aussi à ce site pour les différents moments de mobilisation autour de ce procès kafkaïen.

Cela a été dit et répété : "souchien", ce n’est pas "sous-chien". Et même si tel avait été le cas, de toute façon, les "sous-chiens" seraient plutôt ceux qui sont en effet traités comme tels dans ce pays (c’est-à-dire les personnes qui subissent des discriminations racistes - donc pas du tout ceux qui se revendiquent d’une "souche" qui serait authentiquement française).

Et quand bien même un individu tiendrait absolument à insulter ainsi les Blancs, les non-Blancs mériteraient, eux, en filant cette logique, le sobriquet de "sous-sous-chiens" que Charles Mingus s’était appliqué à lui-même - comme l’a rappelé Houria Bouteldja dans un de ses textes.

Car ce ne sont pas des Indigènes qui ont invoqué ces métaphores canines en premier. Ce ne sont pas eux non plus qui ont inventé le concept raciste de "souche" sur la base duquel tant de discriminations se perpétuent de manière systémique dans ce pays.

Qu’est-ce à dire ? Que même en admettant - ce qui, rappelons-le, n’est pas le cas - que le sobriquet "souchien" est une manière d’insulter "les Français de souche" , il faut d’abord se demander qui pourrait donc logiquement être visé concrètement par une telle appellation : qu’est-ce qu’un "Français de souche" exactement ? Ça existe, maintenant, les "souches" dans la République ?

De deux choses l’une en effet : ou bien la souche n’existe pas, comme on nous l’a enseigné en éducation civique, et alors personne n’est visé par le syntagme "souchien" ; ou bien elle existe en dépit de la loi, et alors il convient de se demander qui elle peut qualifier.

Alors, les Souchiens, c’est qui ?

On nous dit que la République ne reconnait pas de différences raciales au sein de sa communauté nationale : il n’y a donc pas d’autres raisons que des raisons racistes pour invoquer ou se revendiquer d’une quelconque souche afin de s’octroyer des privilèges et prétendre à une appartenance plus entière, plus vraie, à la Nation. Il n’y a donc pas d’autres raisons que des raisons racistes de se sentir insulté par un sobriquet ("souchien") qualifiant une catégorie de la population qui, officiellement, n’existe pas et dont l’existence n’est désirée que par des racistes.

Nous reproche-t-on d’avoir remarqué et de vouloir désigner l’existence de ces catégories, certes fictives, mais au nom desquelles des injustices bien réelles sont commises ? De fait, en dépit de la loi devant laquelle nous sommes censés être tous égaux "sans distinction de race, de religion ni de croyance", la nationalité de certains Français est bel et bien perçue comme moins authentique, dégradée et inférieure : il s’agit de Français qui ne sont pas perçus comme "Français de souche" parce qu’ils sont "issus de l’immigration" comme on dit - en d’autres termes : des Indigènes. D’autres individus échappent bel et bien à ces discriminations racistes. Certains d’entre eux critiquent et combattent ce système de domination dont ils profitent. D’autres s’en accommodent parfaitement, ferment les yeux ou au contraire le défendent ardemment en le justifiant même par des arguments biologiques : leur sang serait plus purement français. Ils sont de "souche" française. Ce qui justifie à leurs yeux des privilèges dont nous ne devons visiblement même pas prendre conscience.

Ce sont de tels individus qui sont visés par le sobriquet "souchiens". En toute logique, en se sentant visés et outragés, ils manifestent de nouveau leur volonté de faire exister en silence cette catégorie illégale, anticonstitutionnelle et contraire aux valeurs de la Révolution et des Lumières. En manifestant leur mécontentement de se voir ainsi désignés et démasqués, ils contribuent à faire exister de manière performative cette catégorie. En d’autres termes, en se sentant insultés (et en entendant une insulte là où il n’y a qu’un néologisme ironique), ils s’insultent eux-mêmes, d’où certainement cette volonté d’entendre ce qui n’a jamais été dit... mais qu’ils ne peuvent s’empêcher d’entendre vu que cela existe - et cela n’existe que là - dans leur esprit coupable.

P.-S.

Réunion de soutien le mardi 11 octobre, à la veille du procès, à 19h au Lieu-dit (6, rue Sorbier, Paris. M°Ménilmontant).

Pétition à signer en ligne