« Notre stratégie de conquête du pouvoir passe par une bataille du vocabulaire (...) Lorsqu’ils parlent d’ “identité”, de “libanisation”, de “classe politico-médiatique”, lorsqu’ils utilisent des termes comme “l’établissement“, “le cosmopolitisme”, “le peuple”, “le totalitarisme larvé”, hommes de la rue, journalistes et politiciens entrent dans notre champ lexical ».
Bruno Mégret (Front National), 1990 [1]
On pourrait s’amuser de voir les critiques de Nicolas Sarkozy faites par diverses personnalités, émanant de divers courants politiques, qui n’ont jamais hésité à mettre ensemble les mots « immigration et insécurité » (comme si l’insécurité, réelle ou supposée, résultait de l’immigration), ou encore les mots « immigration et laïcité » (comme si l’immigration faisait courir un risque particulier au principe de l’indépendance de l’État vis à vis des églises).
S’agissant de la proposition du Ministre de la chasse à l’enfant, on pourrait également ironiser, en se demandant quelles administrations dépendraient d’un ministère de « l’identité nationale ».
Mais le plus surprenant à vrai dire, est que les critiques - qui n’ont généralement pas contesté l’idée d’un « ministère de l’immigration » aient semblé tenir pour acquis qu’était légitime de vouloir préserver cette fameuse, et semble-t-il sacro-sainte « identité nationale ». C’est plus, donc, l’association de ces deux thèmes, que chacun d’eux pris à part, qui est apparue scandaleuse.
Et pourtant...
S’agissant de l’immigration, l’idée de lui conférer son propre « ministère », quand même le nom de ce ministère ne ferait aucune référence à « l’identité nationale » ne va pas sans interroger : elle présume en effet que « l’immigration » est un tel problème qu’il faille rassembler entre les mains d’un seul ministre l’ensemble des compétences qui la concernent de près ou de loin ; telle est l’explication que Nicolas Sarkozy en a expressément donnée. Or, ce dont les populations immigrées, toutes générations confondues, on besoin, ce n’est pas qu’on s’occupe spécifiquement d’elles : c’est que la société change - y compris dans les rapports qu’elle entretient avec elles.
Quant à « l’identité nationale »... « Ce n’est quand même pas un gros mot », proteste Nicolas Sarkozy ! Si. Car de quoi parle-t-on ? De quel projet ethnique ? Même la Serbie de Milosevic n’a pas connu de « Ministère de l’identité nationale ». L’affirmation qu’il existerait une telle « identité », susceptible de faire l’objet de politiques publiques, est en elle-même scandaleuse. L’identité nationale, toujours et partout, se définit par rapport à ses ennemis. Elle se construit autour des marches militaires. Elle en est le corollaire. La haine est la face cachée de la nation. Et vice versa.
Il arrive, dira-t-on, que les nationalismes portent des combats émancipateurs. On rappellera par exemple les nationalismes des colonisés, des dominés. Voire. Même dans ces cas là, l’idée nationale, singée sur celle du dominant ou du colonisateur, apprise dans ses écoles, par la lecture de ses grands auteurs, reprise de son folklore d’évidences intimes, pourrait bien être mise en question, comme le dernier cadeau, empoisonné tout à loisir de la puissance que l’on entend mettre à bas.
Mais ce n’est de toutes façons pas ce dont il s’agit avec le « ministère de l’identité nationale » proposé par Nicolas Sarkozy. Il s’agit au contraire de flatter le narcissisme de tous les amoureux de « grandeur nationale », de ceux dont la bouche dégouline de « rôle de la France », de ceux qui sont « fiers d’être français », comme s’il s’agissait d’une noblesse, corollaire sans doute de la « honte d’être étranger ».