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Une privatisation des fonds publics

par Laurent Lévy
30 septembre 2008

On n’entend plus que ce mot là : « nationalisations ». Les Belges, nous dit-on, auraient nationalisé une grande banque, à l’imitation de ce qu’aurait fait le gouvernement des États-Unis. Ce mot, sorti par la porte du vocabulaire politique d’une gauche devenue sociale-libérale depuis 1983 revient ainsi par la fenêtre dans celui de la droite néo-libérale. Mais comme il se doit, c’est au prix d’un pervertissement complet de son sens.

Si les nationalisations ont trop souvent pris la forme de simples étatisations, leur vocation dans les politiques de gauche était de restituer à la collectivité nationale les moyens matériels, industriels ou financiers de la production et de l’organisation économique. Il s’agissait d’orienter l’économie dans un sens qui lui permette d’échapper à l’emprise du capital. La nationalisation, autrement dit, était un moyen de socialiser, de collectiviser certains secteurs de l’économie, pour déterminer de nouvelles logiques de production et de distribution.

De substituer à celle du profit, celle de l’intérêt public. De mettre en cause la domination privée de l’économie, le pouvoir de l’argent, le règne d’une jungle où les puissants se nourrissent aux dépens des petits.

Les nationalisations devaient ainsi concerner des secteurs sains, puissants, riches de l’économie, pour que cette richesse, cette puissance, cette santé économique cessent d’être orientées dans l’intérêt des boursicoteurs de tout poil, et puissent servir de levier à d’audacieuses politiques sociales et démocratiques, dans l’intérêt du plus grand nombre.

Il ne s’agit pas ici d’embellir le principe de ces nationalisations, ni de surestimer le potentiel qu’elles pouvaient représenter, non plus que les conceptions politiques générales qui y avaient présidé. La vérité est d’ailleurs qu’un tel programme n’a jamais été vraiment réalisé, faute sans doute d’un courage politique suffisant, faute par le gouvernement de la gauche, de 1981 à 1983 d’avoir su, voulu, cherché à s’appuyer sur un mouvement populaire actif, et sur une démocratisation radicale des secteurs économiques ainsi nationalisés.

Mais cela n’autorise pas à y assimiler la tentative de sauvetage d’un système financier prédateur par le renflouement sur le dos des contribuables – et donc au préjudice de toute politique sociale – des caisses des spéculateurs.

Les opérations en cours dans divers pays capitalistes n’ont rien à voir avec ce que l’on pourrait appeler des nationalisations : non seulement il n’est pas question de remettre à la collectivité les pôles les plus forts de l’économie, mais bien au contraire, on demande à la collectivité de mettre la main au portefeuille pour fournir des béquilles à un système bancaire et financier affaibli par la logique même de leur fonctionnement naturel ; de lui donner, en somme, un souffle nouveau pour pouvoir reprendre le cours de son règne sans partage sur le monde et sur la vie des plus humbles.

Loin de donner à un secteur public développé les moyens sur lesquels le capital assoit sa domination, il s’agit de donner au capital les moyens de la poursuivre. Ce n’est pas à la nationalisation des banques que l’on assiste, mais à la privatisation des fonds publics.