Il fait beau, on est en vacances et y’a rien de plus tentant que d’aller piquer une tête dans la piscine municipale. Allez les filles, on prend le baluchon, la serviette, et les tongs et c’est parti : on sort (sans courir) faire la tatasse en bikini autour du bassin avant de prendre une overdose de chlore et de crème à bronzer.
Ah, qu’est-ce qu’on est bien en France quand on est une femme ! Ressentir le plaisir divin de nager dans le bonheur de la communauté d’intérêts, de plaisirs et de goûts d’une foule de citoyens et citoyennes, consciente et soucieuse qu’à chaque brasse, on nage dans la plénitude de l’égalité et de la fraternité républicaines sur lesquelles veillent Mme Amara et nos « ami-e-s féministes ».
Vive la France et ses piscines municipales mixtes, garantes de nos libertés si chèrement conquises !
Quels que soient votre âge, votre condition, votre orientation sexuelle, la complexité du rapport à votre corps et bien sûr vos croyances ou valeurs, si vous voulez nager en France, à Sarcelles, Garges, Verpillière ou Mons-en-Baroeul [1] : il va falloir vous jeter dans le bain républicain ou rester dans votre baignoire. Car, de gré ou de force vous serez toutes traitées à égalité avec les mecs, ce qui veut dire avec les mecs. Et soyez en assurées : ils surveillent.
Vous n’êtes pas séduites par ces manières de faire ? Alors faites un tour à Londres et plus précisément à Hampstead Heath, un parc immense avec plusieurs lacs où vous serez loin des polémiques et des mâles défenseurs de vos libertés. Il y a là un lac pour les hommes, un pour les femmes, un autre mixte et un autre pour les chiens, et enfin pour les grands et moins grands qui veulent jouer avec leur bateau à moteur modèle réduit.
« Women’s pool », « Women only », « Men only », voilà ce que l’on peut lire, sur les petits panneaux à l’entrée. Et on n’a pas vu de manif de l’UFAL (Union des familles laïques), ni d’article dans le journal local ou national mettant en garde contre les intégristes qui se cachent autour des piscines et que « si on leur donne un doigt, ils nous prendront le bras », qui s’inquiètent que les écoles puis les wagons des trains ne deviennent non mixtes à leur tour, et que, bref, bientôt : les frères ils n’auront plus de sœurs et les sœurs plus de frères, et plus de référent masculin pour les femmes et plus de présence féminine pour les hommes, et... la fin du monde quoi !
Une « women’s pool » c’est juste un endroit (public) où l’on peut nager pénardes et échapper si on veut à certains regards, pour toutes les bonnes raisons qui nous regardent. Car pudiques ou pas, nous savons que ces regards ne sont ni républicains, ni égalitaires ni fraternels, quel que soit notre usage des piscines : qu’il s’agisse de faire du sport, de se retrouver entre copines, de bronzer topless, ils déterminent le degré d’écartement de nos jambes, la taille du tissu dont nous recouvrons notre corps, le temps que nous passons dans ce lieu public auquel certains accèdent sans plus de questionnement, et où d’autres s’exposent.
Judith Butler [2] disait dans un article de Libération (20/10 /2006) que, quand elle venait en France et qu’on l’interrogeait sur son expérience de l’homoparentalité, elle avait l’impression de faire un « voyage ethnologique au pays de l’ordre symbolique ». Franchir la Manche n’est peut-être pas un voyage aux pays des merveilles, mais au moins on y trouve des lieux, des habitudes et des questions politiques posées et expérimentées autrement.
On semble y admettre plus souvent que traiter tout le monde pareillement ne fait pas magiquement disparaître les inégalités. Que la présence dans les mêmes lieux n’est pas forcément gage de tolérance et de respect. Surtout, que, pour faire des égaux, reconnaître les inégalités – et ce que réclament ceux et celles qui les subissent – est plus efficace que décréter de façon incantatoire l’égalité.
Bref qu’on ne traite pas forcément les inégalités en mettant tout le monde dans le même bain.