L’énumération qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive – hélas, elle peut être aisément complétée par de trop nombreux exemples
– 5 juin 2007. Une camerounaise de 9 ans est maintenue au centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avec son père en voie d’expulsion.
– 19 juin. Mme Thérèse Kopia, centrafricaine de 68 ans, mère de six filles résidant en France de façon régulière, certaines y ont acquis la nationalité, d’autres disposent de titre de séjour, grand-mère de dix-neuf petits enfants français, est arrêtée au domicile de l’une d’elle, alors qu’elle prend un bain, et immédiatement placée en rétention. Le lendemain, elle est emmenée à Roissy à des fins d’expulsion. Gardée à vue pendant 2 jours, en raison de son refus d’embarquer, elle comparait libre le 19 juillet devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Le parquet requiert une peine de quatre mois de prison avec sursis et une interdiction de résider sur le territoire français.
– 21 septembre. Pour échapper à un contrôle de police, Chulan Zhang Lui, chinoise sans papiers résidant boulevard de la Villette à Paris, décède après s’être défenestrée ; c’est le cinquième cas en deux mois. 29 septembre.
– Deux enfants de 5 et 3 ans scolarisés dans une école maternelle de Digoin, en Saône-et-Loire, sont privés de cantine au motif que leur mère, ressortissante de la République Démocratique du Congo en situation irrégulière, a été placée en centre de rétention pour être renvoyée dans son pays alors qu’elle est enceinte de huit mois. Pour se justifier, le maire UMP affirme : « contrairement à la scolarisation, l’accueil à la cantine n’est pas une obligation. »
Nouvelle politique justifiant des pratiques inédites ? Non, continuité des orientations mises en œuvre par l’ancien ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui, élu président de la République, délègue à d’autres le soin de les appliquer et d’accroître leur sévérité si besoin est.
Ces quelques exemples révèlent plusieurs éléments essentiels. Systématiquement rabattu sur la figure plus inquiétante encore du « clandestin », l’étranger est désormais devenu de façon officielle l’incarnation de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par la réunion de moyens matériels, financiers et policiers exceptionnels.
En dépit d’évolutions inscrites dans la longue durée, comment qualifier cette situation marquée par une inflexion substantielle qui fait du renvoi forcé des étrangers en situation irrégulière l’une des priorités nationales, assumée et exécutée par un ministère ad hoc dont la fonction est aussi de défendre une identité nationale « menacée », entre autres, par ces « flux migratoires », dit-on ? A quel type de pratiques et de discours ressortissent celles et ceux qui viennent de retenir notre attention ? De quoi sommes-nous aujourd’hui les témoins ? De l’avènement d’une xénophobie d’Etat qui ne cesse de mettre en scène, et en discours, la peur de l’étranger contre lequel des dispositions exorbitantes du droit commun doivent être arrêtées, puis mis en œuvre par des pouvoirs publics mobilisés comme jamais pour combattre les dangers annoncés.
Politique de la peur et de la stigmatisation donc qui ne peut que valider, encourager et contribuer à l’induration des sentiments xénophobes déjà présents chez une partie de la population. Et au terme de ce processus, sans terme véritable, ceux-là mêmes qui spéculent ainsi sur le rejet de l’Autre prétendront agir conformément aux craintes de l’opinion publique et pour défendre les Français dont ils se disent à l’écoute. Triomphe de la démagogie érigée en principe pour mieux conquérir le pouvoir et le conserver. Double politique de la peur, en fait, puisqu’il sagit :
– non seulement de la susciter et de l’entretenir chez les nationaux
– mais aussi de s’en prendre aux étrangers à qui il faut faire peur et rendre la vie aussi pénible et précaire que possible pour mieux « endiguer les flux migratoires. »
De là la multiplication des contrôles policiers effectués en des lieux et à des heures choisis, des visites domiciliaires et des expulsions auxquels s’ajoutent des réformes incessantes et toujours plus restrictives qui créent une instabilité juridique structurelle pour les personnes concernées. De là aussi la violation grave et répétée d’une Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant et de dispositions législatives qui précisent que « l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière » (Article L. 511-4, Ceseda).
Selon les services de la CIMADE, environ 400 enfants auraient été placés en centre de rétention au cours de l’année 2005. En ces matières, les forces de police, couvertes parce qu’encouragées par leur autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent ainsi, depuis longtemps déjà, un Traité international, pourtant ratifié par la France, et des dispositions juridiques nationales votées par le Parlement comme le constatait M. Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l’Homme, dans son rapport officiel publié en janvier 2006.
Ces différents faits et pratiques révèlent ceci : les principes républicains, invoqués de façon solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation légitimée par les impératifs de la sécurité et de la mise en scène démagogique des résultats, lesquels permettent au président de la République et à Brice Hortefeux de faire croire qu’ils disent ce qu’ils font et qu’ils font ce qu’ils disent alors qu’ils sont à l’origine de pratiques illégales dont certaines ont été jugées telles par le Conseil d’Etat et par le commissaire européen !
Une politique de la peur
Pour qui s’intéresse aux activités du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, la lecture des documents placés sur le site Internet de cette administration est instructive. En effet, contrairement aux missions officielles et nombreuses confiées à B. Hortefeux, et qui nous valent cette appellation abracadabrantesque, on découvre que les services qu’il dirige mettent en avant une activité principale en fait : l’expulsion des étrangers en situation irrégulière. Quant aux autres tâches, elles sont sinon laissées en déshérence, du moins reléguées au second plan ce qui confirme, pour l’intégration et le co-développement notamment, qu’elles ne sont là que pour enjoliver la mise en œuvre d’orientations toujours plus restrictives :
« Grâce à la politique pragmatique menée par le gouvernement précédent, sous la conduite du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, les reconduites effectives à la frontière ont augmenté de 140% entre 2002 et 2006 ».
Après cet hommage servile rendu à celui qui est réputé avoir rompu avec la pusillanimité des gouvernements antérieurs, les communicants affairés de cette administration ajoutent :
« Nous resterons très fermes : pour 2007, l’objectif est de 25 000 éloignements. »
Par cette affirmation, les rédacteurs de ce passage entendent apporter la preuve que leur ministre est fidèle aux orientations décidées par l’Elysée et relayées par le « collaborateur » du président à Matignon, François Fillon lequel a fixé un quota légèrement supérieur pour l’année 2008 cependant qu’en 2010 le nombre d’expulsions est d’ores et déjà établi à 28 000. Grandioses et très républicaines perspectives !
Quand en haut lieu, un président de la République, un chef de gouvernement et un ministre font de l’arrestation et de l’expulsion des étrangers dépourvus de papiers une priorité nationale crânement revendiquée, il ne faut pas s’étonner que d’autres, sur le terrain comme on dit, prennent de grandes libertés avec la loi et les libertés. C’est ainsi qu’à Limoges, par exemple, la préfète de département, Evelyne Ratte, a été condamnée le 1er août 2007 à une amende de 1500 euros pour « recours à la justice manifestement abusif » et « particulièrement inacceptable » en raison du maintien en rétention d’un ressortissant togolais alors qu’après une tentative de suicide, un médecin avait estimé que son état était incompatible avec cette situation.
Qu’une représentante de l’Etat soit ainsi sanctionnée en dit long sur la conjoncture politique d’aujourd’hui, d’autant plus que, selon la journaliste du Monde qui rapportait ce jugement peu courant, c’était la troisième fois que cette administration et sa responsable étaient prises en défaut [1]. Autre conséquence de la politique du chiffre tant vantée, le développement annoncé, dans une note du 10 octobre 2007 rédigée par les services de la préfecture de Haute-Garonne, de « groupes de référents » dans les administrations et les différents organismes susceptibles d’accueillir des étrangers, comme la DDASS ou les ASSEDIC, afin que les fonctionnaires concernés puissent prévenir au plus vite les services de gendarmerie ou de police en cas de doute sur l’authenticité des documents d’identité et les titres de séjour produits. Des pratiques similaires ont été dénoncées dans certaines ANPE de la région lyonnaise par une inter-syndicale regroupant de nombreuses organisations.
Outre que ces deux exemples confirment, au niveau local désormais, l’institutionnalisation de la xénophobie et des pratiques qu’elle favorise, à quoi assistons-nous ? À la mise en place progressive et décentralisée de réseaux destinés à favoriser la traque et la délation des étrangers en situation irrégulière afin de relayer l’action des services de police au sein de structures spécialisées échappant jusque-là à leur pouvoir. Plus encore, ces exemples prouvent que des dispositions en marge de la légalité sont prises par ceux-là même qui sont supposés veiller à son respect cependant que s’impose peu à peu l’idée que pour lutter contre l’immigration clandestine presque tous les moyens sont bons.
À preuve aussi, l’enquête conduite par des policiers au sujet d’un mariage mixte, comme on dit, entre un Algérien et une française que le tribunal administratif de Montpellier a estimé « contraire aux obligations déontologiques d’impartialité et de respect des personnes » qui pèsent sur les « agents de la police nationale. » Le même jugement constatait que la décision du préfet de ne pas renouveler le titre de séjour du mari étranger reposait sur des « éléments inexacts et recueillis dans des conditions irrégulières. » Il est fort probable que ces quelques exemples ne représentent qu’une infime partie de pratiques beaucoup plus répandues. Pour quelques cas connus, et qui ont fait l’objet de procédures conduites jusqu’à leur terme, combien d’autres existent ? Impossible de le savoir, sans doute.
Enfin, cette politique de la peur, qu’il faut susciter et entretenir chez les nationaux susceptibles d’approuver les orientations de l’actuelle majorité, de même chez les candidats à l’exil pour les dissuader de venir en France, est aussi un instrument tourné contre tous ceux qui s’élèvent contre la situation faite aux étrangers. Conséquence : la multiplication des poursuites engagées contre des militants ou des particuliers accusés d’entrave à l’application d’une décision de justice voire, dans certains cas, de rébellion pour avoir protester contre les conditions d’expulsion à bord d’avions d’Air France, par exemple. Sont ici en jeu des libertés démocratiques élémentaires – le droit de manifestation et d’expression notamment – puisqu’il s’agit, à travers ces poursuites toujours plus fréquentes, de faire peur pour faire taire celles et ceux qui, par des moyens pacifiques et légaux, faut-il le rappeler, s’opposent aux expulsions. Ou comment la mise en œuvre d’orientations xénophobes, qui prospèrent dans les marges de l’Etat de droit, affecte la situation des étrangers visés et celle des citoyens dont certaines prérogatives fondamentales sont désormais attaquées :
« Casser de l’immigré est un moyen efficace de gagner des suffrages. Malheureusement, cela conduit à de mauvaises lois, à une mauvaise politique et à des souffrances inutiles pour les personnes et leurs familles que cette stratégie vise et instrumentalise. M. Sarkozy veut être considéré comme un homme d’Etat. Qu’il agisse en homme d’Etat. »
Où ces lignes ont-elles été publiées ? Dans un journal d’extrême-gauche ? Non. Il s’agit d’une citation extraite de l’éditorial du New-York Times du 21 octobre 2007.
De cette situation, le chef de l’Etat et tous les membres du conseil des ministres sont responsables et coupables, de même les personnalités dites de gauche qui, par leur seule présence au gouvernement, cautionnent cette politique. À défaut d’avoir pu empêcher l’adoption des nouvelles mesures scélérates contenues dans la loi relative à « la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » votée le 23 octobre 2007, tous ceux qui les condamnent doivent refuser de les appliquer et rendre public leurs effets dramatiques.