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Zemmour à Erevan : qui est-il, et que vient-il faire ?

Des Arméniens s’élèvent contre une récupération

par Collectif
13 décembre 2021

Les lignes qui suivent, parues hier en arménien dans Aravot, et en français dans Le Monde, et signées de par une vingtaine de résidents en Arménie, Franco-Arméniens et Arméniens francophones, s’élèvent contre l’opération de communication politique à laquelle se livre Éric Zemmour en s’invitant, suivi par ses caméras, dans la capitale arménienne.

Du samedi 11 au mardi 14 décembre, un candidat à l’élection présidentielle française sera en Arménie. Qui est-il et pourquoi vient-il ? Éric Zemmour est un journaliste français d’extrême-droite. Il s’est fait connaitre à la télévision en tant que polémiste, dans les années 2000. Il est l’auteur du Premier sexe->https://www.franceinter.fr/politique/articles-livres-discours-nous-avons-exhume-25-ans-de-sorties-sexistes-d-eric-zemmour], sur la dévirilisation de la société, du Suicide français, dans lequel il cherche notamment à réhabiliter le maréchal Pétain, ou encore du Destin français, où il défend la thèse de l’invasion de la France par les immigrés. Pour justifier son racisme et sa xénophobie, Éric Zemmour n’hésite pas à déformer l’histoire, insinuant que les nazis n’ont jamais été aussi intolérants que les musulmans ; il défend l’héritage du maréchal Pétain qui aurait "sauvé des juifs français" - omettant le fait que de nombreux juifs ont été déchus de leur nationalité française avant d’être envoyés dans les camps.

Sa théorie des "races" crée une hiérarchisation entre les "bons" et les "mauvais" immigrés. Les Arméniens semblent trouver grâce à ses yeux : deux Arméniens, Aznavour et Verneuil, sont cités dans son discours annonçant sa candidature, des Arméniens sont proches de son équipe de campagne, et il a, pendant la guerre, pris publiquement parti pour l’Arménie... Mais qu’en est-il vraiment ? Lors de l’adoption en France de la loi pénalisant la négation des génocides, dont le génocide des Arméniens, à cause de laquelle Erdoğan avait menacé la France de représailles diplomatiques, Zemmour avait adopté une position résolument pro-turque, en résumant la pénalisation à une "obsession mémorielle". N’a-t-il pas dénoncé les "communautés qui défendent leurs souffrances, leur mémoire", et comparé cette loi mémorielle à une "logique de l’inquisition" faisant des victimes du génocide, les bourreaux de leurs propres bourreaux ? Selon lui, la lutte contre le négationnisme serait purement "électoraliste" et "dangereuse pour la liberté d’expression".

Alors pourquoi Éric Zemmour, hostile à la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, des Grecs pontiques et des Assyriens, fait-il son premier déplacement en tant que candidat à Yerevan ? Pour obtenir, sans doute, les voix des Arméniens de France, comme cherchera bientôt à le faire d’ailleurs une autre candidate de la droite, Valérie Pécresse, qui prévoit elle aussi un premier déplacement très prochain en Arménie.

Éric Zemmour ne vient pas en Arménie pour parler aux Arméniens. Il vient dans le but de recueillir les bulletins de votes de certains Arméniens de France qui, après la guerre, doivent faire face à leurs propres haines, et entendent dans le discours du candidat une réponse qui pourrait paraître réconfortante, à un appel à l’aide formulé à maintes reprises auprès d’une communauté internationale qui n’est jamais intervenue. Ce faisant, il instrumentalise les Chrétiens d’Orient qui sont devenus chasse gardée de l’extrême droite, alors même que cette extrême-droite ne voit en ces Chrétiens qu’un moyen de justifier son islamophobie.

Et quels seraient les bénéfices pour les Arméniens d’une présidence de Zemmour ? En Arménie, ils n’obtiendront plus de visas pour la France ; en France, ils seront interdits d’appeler leurs enfants du prénom de leurs ancêtres, et réduits à leur statut d’immigrés.

Zemmour espère peut-être trouver en Arménie une certaine sympathie pour ses idées. Mais l’Arménie a été en guerre avec l’Azerbaïdjan, pas avec les musulmans. L’Azerbaïdjan a été soutenue, d’un point de vue diplomatique et militaire, par plusieurs États. Tous n’étaient pas turcs, et tous n’étaient pas musulmans. L’Artsakh est un territoire, et à ce titre, le conflit est politique, pas religieux.

L’Arménie n’obtiendra pas le soutien nécessaire à sa survie, de la part d’une France dont le président est un ami de l’avocat de l’Azerbaïdjan à Paris. Nous nous étonnons que deux candidats de la droite à la présidentielle française, par ailleurs hostiles aux politiques d’accueil, viennent faire leur première visite de campagne à l’étranger en Arménie, alors même que les Arméniens sont des milliers chaque année à demander des visas pour la France.

Éric Zemmour a été condamné deux fois pour provocation à la discrimination raciale et provocation à la haine religieuse envers les musulmans, et est actuellement jugé dans deux autres procès similaires.

Pour toutes ces raisons, nous, Français résidant en Arménie, Franco-Arméniens et Arméniens francophones, refusons de voir Zemmour s’approprier les douleurs que nous avons traversées l’année dernière, dans ce pays, l’Arménie, qui est notre terre d’origine ou notre terre d’accueil, pour servir ses ambitions personnelles.

P.-S.

Signataires :

Elodie Gavrilof, doctorante à l’EHESS, enseignante ; Etiennette Perrotin, enseignante ; Morgan Charveys, informaticien ; Marianna Yeghiazaryan, juriste ; Ines Djerroud, enseignante ; Chirine Eurdekian, chargée de communication ; Gabriel Ouzounian, rédacteur freelance ; Hanna Mauvieux, ancienne attachée culturelle de l’ambassade de France ; Antoine Hagopian, chirurgien-dentiste ; Ellen Matteo, enseignante ; Mathieu Tourbillon, enseignant ; Meri Kalashyan, enseignante ; Zadig Tisserand, chercheur en sciences politiques ; Anna Hovhannisyan, enseignante ; Valentin Mahou-Hekinian, humanitaire ; Paty Tanielyan, photographe ; Elodie Mariani, responsable communication ; Agnès Ohanian, enseignante ; Kevork Georges, vigneron ; Gohar Zorikian, pianiste et enseignante ; Maïda Chavak, artiste ; Sévane Kalamazian, juriste ; Adamski Lucie, volontaire internationale ; Nicole Chevrier, artiste.

Ce texte est paru initialement en arménien dans Aravot. Nous le reproduisons avec l’amicale autorisation de ses initiateurs.