Marie NDiaye, 18 août 2009 :
Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous ayons [moi et ma famille] choisi de vivre à Berlin depuis deux ans est loin d’être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux.
Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : « La droite, c’est la mort ». Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible. Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n’a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n’a plus.
[1]
Eric Raoult, 10 novembre 2009 :
Monsieur Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt. En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. A ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays.
Les prises de position de Marie NDiaye, Prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve « cette France [de Sarkozy] monstrueuse », et d’ajouter « Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux », sont inacceptables. Ces propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du Chef de l’État. Il me semble que le droit d’expression, ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de compte personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, plus de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi, il me parait utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière ? » [2]
Marie NDiaye, 11 novembre 2009 :
Au vu de ce qui se passe aujourd’hui avec cette histoire Raoult, je réitère et maintiens mes propos absolument. Quand j’ai fait cette interview pour Europe 1 lundi matin [3], je souhaitais affiner mes propos. Je ne voulais pas donner l’impression que Jean-Yves [4] et moi-même nous présentions comme des écrivains des années 30 qui auraient fui le fascisme, car cela aurait été disproportionné. Si l’entretien avait eu lieu après que j’ai eu connaissance de ce que me reproche Eric Raoult, je n’aurais pas pris ce soin, cela aurait été très différent. Au contraire : je persiste et signe !
(…)
[Lorsque j’ai pris connaissance de la lettre d’Éric Raoult] je me suis demandé si c’était réel, si c’était une blague, cela me semblait si ridicule… Mais en fait, connaissant un peu le personnage, ce n’est pas si étonnant. Il n’empêche qu’hélas, le ridicule ne tue pas.
(…)
J’aimerais beaucoup que Frédéric Mitterrand intervienne dans cette histoire puisque c’est à lui que M. Raoult s’est adressé, et nous donne son avis sur le devoir de réserve des Prix Goncourt et même tout simplement des écrivains. [5]
Frédéric Mitterrand, 12 novembre 2009 :
Je n’ai pas à arbitrer entre une personne privée qui dit ce qu’elle veut dire et un parlementaire qui dit ce qu’il a sur le coeur. Ce qui me regarde en tant que citoyen, ça ne me concerne pas en tant que ministre. [6]
Marie NDiaye, 28 mars 1998 :
En août 1996, dans un article du Nouvel Observateur, chacun pouvait lire ceci : « Marie NDiaye est noire, comme son nom l’indique, mais elle écrit blanc. » La sottise malsaine de ce propos m’apparut si grande que, par répugnance, je renonçai à y répliquer ainsi : « Madame NDiaye, ma mère, est blanche, comme son nom l’indique sans doute... »
Ce fut là, dans cet article, l’unique fois où mon écriture a été qualifiée de « blanche », qualification ne s’appuyant évidemment sur rien, justifiée par la seule joie d’un « bon mot ». Mais en ces temps de ciel brun, viendra-t-on un jour me reprocher de ne pas écrire blond ? Ecorchera-t-on mon nom à plaisir ? Sera-t-il moqué comme, dans un récent « Masque et la plume », celui d’Andreï Makine : « S’il s’appelait André Machin, on n’en parlerait même pas ! » Et les rires de fuser ! La preuve était une nouvelle fois faite que certains de nos intellectuels et critiques roses n’étaient en rien gauches, et savaient être au moins aussi drôles que les plaisantins du Front.
L’abjection transpire, et macule le langage, aujourd’hui comme aux heures les plus sales de l’histoire nationale. Alors, alors soyons quelques-uns, quelques millions à dire que, cela, on ne l’endurera pas. [7]