N’en déplaise aux analystes à l’Ouest, beaucoup trop à l’ouest, en Iran une nouvelle séquence s’est ouverte. Depuis des années, des ouvrier.es, des profs, des étudiant.es s’organisent pour lutter. En 2017, plus de 90 villes connaissent des révoltes populaires dont le slogan le plus marquant était « Pain, Travail et Liberté ». Il y a quelques mois, l’annonce du triplement du prix du pétrole donnait lieu à une révolte et une répression d’ampleur historique.
Est-ce ce sur quoi prennent position les intellectuel.l.es décoloniaux – plus proches de Soral que de Fanon sur ce coup-là – et une gauche toujours plus franchouillarde ?
Non, à l’instar de France Télévision et Le Monde, ces organisations se fascinent pour un général aux avant postes de l’impérialisme régional iranien. Certaines idéologues en chambre qui font de la géopolitique comme ils jouent à Risk produisent des analyses sur un axe de la résistance imaginaire. Ces analyses sont caduques et indifférentes ou ignorantes à l’histoire de l’anticolonialisme, de l’anti-impérialisme et de la lutte des classes dans la région.
D’autres s’allient à des lobbies pro République Islamique pour organiser des actions « contre la Guerre ».
Tant pis pour les luttes des peuples de la région, auxquelles elles ne donnent aucun écho. Comme si l’alternative au néolibéralisme était un privilège occidental auquel ne sauraient prétendre les peuples Autres. Comme s’il n’existait d’alternative au trumpisme, à l’impérialisme et l’oppression domestique. Comme si on confondait internationalisme populaire et militarisme. À la suite du catastrophique rassemblement « Contre la guerre de Trump, Journée Internationale » organisé le 25/01/2020, nous, Collectif la Chapelle Debout ! avons souhaité rendre publique une lettre qu’ont également signée la Cantine Syrienne de Montreuil et Support International Uprising. Elle a été adressée au Collectif Ni Guerres ni état de Guerre le 14/02/2020 et est restée sans réponse à ce jour [1].
Si nous avons fait le choix d’écrire c’est d’abord pour là-bas. Pour celles et ceux qui vivent et subissent la guerre dans leurs pays et leur chair. Une guerre que tout ces actes blessent, mutilent ou oppriment une seconde fois. Pour celles et ceux que la guerre a jeté sur les routes, qui se trouvent aujourd’hui à Lesbos, dans la mer Méditerranée ou Porte d’Aubervilliers.
Nous avons écrit également par anti-racisme et anti-impérialisme. Mais aussi pour avertir.
Que nous refusons que les luttes anti-guerre en France ou contre l’islamophobie, dont nous sommes et dont nous serons (car il est toujours urgent de lutter contre l’État Français), soient conditionnées à des discours ou des pratiques culturalistes et ignorantes des situations matérielles concrètes en Iran, en Afghanistan, en Syrie au Liban ou ailleurs.
Parce que nous refusons que la lutte contre la loi de 2004 ici implique de poser avec un imam en carton [2] ou de célébrer à un général meurtrier là bas.
La colonisation est terminée !
Nous rappelons que les positionnements au chaud en France sur nos régions ne sauraient se réduire à des enjeux de stratégies inter-groupusculaires ni à des mots d’ordres ayant pour objectif le buzz – ou la construction d’une niche académique ou politique.
Aussi, nous ne laisserons plus nos Histoires, nos Luttes, nos Révolutions et nos Rêves être l’otage de débats entre le quai d’Orsay et celles ou ceux, français (d’abord par leurs discours) qui font mine de s’opposer à lui (fût-ce de façon radicale).
Nous avons donc écrit, pour et avec « là bas » et à partir d’« ici » pour dire à toutes les personnes et organisations qui se disent soucieuses des Suds ou d’ émancipation que :
Le discours et les pratiques contre « there is no alternative » n’ont jamais été, ne sont pas, et ne seront jamais un privilège ou un luxe que seuls les occidentaux pourraient s’offrir.
Les peuples en luttes comme leurs allié.es véritables dans le monde entier ont une voix, ils et elles s’en serviront tant pour se faire entendre que pour briser vos silences et vos non-dits qui font mal aux oreilles.
Collectif La Chapelle Debout !
Lettre au Collectif « Ni guerre ni État de guerre », par le Collectif La Chapelle Debout !, La Cantine Syrienne et Support International Uprising
Bonjour,
Nous vous écrivons car nous croyons que la période est difficile, grave et qu’il est important pour tout.es les militant.es sincères d’être capable de connaître ses allié.es, afin de se retrouver pour mieux se coordonner et lutter ensemble, à chaque fois que cela est possible ; ou au contraire, prendre acte de désaccords politiques suffisamment graves pour marquer notre opposition à ce que fait et ce qu’est le Collectif Ni Guerres ni état de Guerre.
Nous mettons en accusation le rassemblement que le Collectif Ni Guerres ni état de Guerre a organisé le samedi 25 janvier avec le CAPJPO-EuroPalestine et l’Union Pacifiste selon l’appel Facebook, et, selon la page Démosphère, dans le cadre d’une journée mondiale initiée à l’appel de NIAC (National Iranian American Concil) et de Code Pink, deux lobbies pro République Islamique.
Google, fût-il aux mains de l’hydre impérialiste américaine, est suffisamment clair sur la question [3].
NIAC en particulier est un lobby d’hommes et de femmes d’affaire iranien.ne.s implanté.e.s aux États-Unis défendant le statu quo en Iran pour la santé de leurs affaires ; un lobby qui soutient également la politique d’expansionnisme régional de la République Islamique qui a déjà causé la mort de centaines de milliers de Syrien.ne.s, d’Irakien.ne.s et d’Afghan.ne.s. Cette guerre régionale a pour fonction de stabiliser le régime de la République Islamique et invisibiliser les révoltes populaires.
Vous en conviendrez, tout cela n’est ni anti guerre, ni anti état de guerre.
Il ne s’agit pas de donner des leçons de quoi que ce soit à qui que ce soit, ni de s’opposer au principe d’une action contre la guerre.
Car de notre point de vue, le meurtre de du général Soleimani, de Mehdi al-Mouhandis [4] et des miliciens qui les accompagnaient, en plus de porter un coup supplémentaire à cette fiction qu’est le droit international, constitue avant tout un crime contre les peuples iraniens et irakiens qui se sont levés en novembre, et qui ont été assassinés ou emprisonnés [5]. En effet là-bas comme ailleurs, la guerre, ou, la peur qu’elle advienne, permettent aux gouvernants de faire des choses qui leur seraient impossibles en temps de paix.
Nous affirmons que l’agression américaine est un vecteur de stabilisation du régime.
Si nous vous écrivons ce courrier, c’est parce que nous pensons (et cela nous a été confirmé) que vous n’aviez pas accès à certaines informations au moment du rassemblement, ou en amont de l’initiative : des membres du collectif anti guerre ou d’organisations qui ont participé au rassemblement nous ont dit ne pas savoir qui étaient NIAC ou Codepink.
Ils et elles nous ont dit être venu.es sur la base de l’appel du collectif anti guerre, et nous n’avons aucune raison de ne pas croire ces camarades.
Nous vous écrivons du point de vue de personnes qui, pour certaines, ont été camarades lors d’événements clivants qui nous ont donné une identité politique commune forte : « je suis Charlie » et manifs du 11 janvier (dont nous n’étions pas, tout comme vous) ; conférences contre l’islamophobie (dont nous étions), luttes contre la loi de 2004, manifestations et soutiens aux initiatives contre la présence de la France en Afrique sous quelques formes que ce soit…
Nous comprenons, même si nous les regrettons parfois, les logiques d’urgence qui président à l’organisation d’événements politiques.
Nous comprenons le manque de force collective qui peut exister parfois, beaucoup d’entre nous étant comme vous engagé.e.s sur d’autres fronts ou sur plusieurs fronts à la fois. Et, comme vous, nous pensons qu’il est nécessaire de lutter contre la guerre, a fortiori dans un pays ou elle ne se discute jamais (parce qu’il y a toujours mieux à faire que de critiquer son propre État colonial, et parce que la guerre fait partie du « consensus républicain » qui justifie le pire, au-dedans comme au dehors).
Nous comprenons enfin l’absence d’accès à la langue ou la connaissance parfois lacunaire de la région (de son histoire, de son champ politique et des enjeux qui la traversent), même si nous la regrettons (parce que ces questions et ces problèmes ne se posent que rarement quand il s’agit de pays occidentaux, et parce que cela est souvent le signe de l’homogénéité sociologique de certains groupes politiques qui ont pourtant sincèrement l’internationalisme chevillé au corps).
Nous regrettons que dans votre appel, les luttes des peuples fassent au mieux office d’ornement. En ne parlant pas des révolté.e.s d’Aban Mah [6] sauvagement réprimé.es, en n’incluant pas d’Iranien.ne.s, d’Afghan.ne.s et d’Irakien.ne.s et anti guerre dans cette mobilisation (alors qu’il y en a et qu’ils.elles sont nombreux.ses à Paris et en région parisienne), en inscrivant simplement votre événement dans la temporalité de l’attaque militaire états-unienne et des funérailles nationales et étatiques de la République Islamique, en refusant de vous distancier clairement du régime ou du gouvernement iranien, vous avez offert à l’opposition d’extrême droite iranienne une tribune dont elle n’aurait jamais pu rêver [7].
Dans la scène que vous avez contribué à créer, vous étiez, peut-être à votre corps défendant, les représentante.s de la République Islamique, et eux les opposant.es légitimes. Depuis, ces royalistes ou trumpistes qui se disent « républicain.es », « nationalistes », etc., se répandent dans les médias et les réseaux sociaux iraniens en prétendant avoir été samedi 25 janvier « la voix du peuple iranien ». Si vous pensiez mettre un coup à l’impérialisme occidental, c’est raté.
Si pour nous, l’activité d’un collectif anti guerre loin du théâtre desdites guerres est importante, c’est que la solidarité internationale a pour les peuples en lutte un sens particulièrement puissant, nécessaire, concret, a fortiori dans un contexte où leurs gouvernants coupent régulièrement internet. Ainsi donc, 200 personnes à Paris peuvent donner de l’écho à celles et ceux qui luttent contre l’oppression, et subissent effectivement la répression étatique, les guerres et les agressions impérialistes dans leurs corps.
Dans un contexte où, d’un côté, Trump affiche un soutien de surface aux soulèvements en Iran pour confisquer leur lutte, et de l’autre, le régime iranien accuse toute contestation d’être liée aux États-Unis, le moindre geste anti-impérialiste et internationaliste aurait été de rappeler qu’il y a eu un soulèvement massif et une répression sanglante il y a plus de 2 mois [8].
Et cela ne semblait pas être une affaire très compliquée. Il suffisait de se renseigner auprès de certains syndicats qui font partie du « collectif intersyndical pour l’Iran ». Voici le communiqué qu’ils ont publié peu après les événements du mois de novembre : http://syndicollectif.fr/wp-content/uploads/2019/11/2019-11-26-Collectif-intersyndical-Iran.pdf.
Ainsi que l’indique le mail envoyé par un camarade à un membre de votre comité d’animation qui a préféré ne pas vous le transmettre, le rassemblement parisien a eu un écho jusqu’en Iran. Malheureusement ce n’est pas celui que beaucoup espéraient. Vu de là-bas, pour la gauche, et pour celles ou ceux qui luttent contre l’impérialisme américain, mais sans pour autant soutenir la République Islamique, le rassemblement du Collectif Ni Guerres ni état de Guerre était un rassemblement de la République Islamique.
Nous pensons que les tensions avec les opposant.e.s iranien.ne.s d’extrême droite aux abords de la manifestation [9], qui remerciaient la police française comme ils et elles saluent Trump pour les sanctions contre l’Iran, est une occasion de dissiper un malentendu et d’envoyer un message fort aux Iranien.ne.s et Irakien.ne.s en lutte contre les ingérences, mais aussi la corruption, la dictature et les injustices.
S’il est certain qu’il était impératif d’organiser rapidement une initiative à Paris, il nous semble tout aussi important de choisir clairement son camp. De se tenir ici comme là-bas aux côtés des peuples en luttes et non aux côtés de leurs gouvernants qui habillent leurs politiques de discours anti-impérialistes comme d’autres pays, la France ou les États-Unis, invoquent les droits humains ou les crises humanitaires pour justifier leurs guerres et leurs pillages du Sud global.
C’est d’ailleurs cela qui est écrit dans plusieurs textes du collectif Collectif Ni Guerres ni état de Guerre :
« La guerre devient désormais un moyen de gouverner – et de gouverner par la peur. L’état de guerre proclamé justifie la privation croissante des libertés et des mesures directement inspirées de l’extrême droite » ou encore « la lutte de notre collectif passe par le combat contre tous les racismes, et notamment le racisme antimusulman, contre les inégalités et les discriminations, le soutien aux migrants et aux sans-papiers, l’opposition aux mesures d’exception et au contrôle généralisé des populations qui ciblent en priorité les personnes musulmanes ou supposées telles, les quartiers populaires et les mouvements sociaux. ».
Et c’est d’ailleurs cela qui avait justifié la participation de certain.es d’entre nous au lancement du collectif et à l’écriture, la traduction et la diffusion de l’appel initial de février 2016.
Il est encore temps de lever l’ambiguïté sur votre position : êtes vous aux côtés du pseudo « axe de la résistance » qu’incarnerait la République Islamique, ou de l’anti-impérialisme, fait de solidarité socialiste avec les peuples en lutte ?
Aujourd’hui donc, trois solutions s’offrent à vous, et elles déterminent les alliances possibles ou interdites, et à nos yeux votre volonté de s’opposer aux impérialismes et la sincérité de votre démarche décoloniale qu’a priori nous partageons :
1) Être indifférent.es à tout cela, et par conséquent, ne pas se dissocier du cadre imposé par NIAC et Codepink, que le Collectif Ni Guerres ni état de Guerre soutient objectivement en reprenant leur appel et en organisant une initiative le même jour. Mais à ce moment-là, une question se posera immanquablement : si par exemple, vous vous étiez retrouvés accidentellement dans une initiative du Crif (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) ou de l’Aipac (The American Israel Public Affairs Committee) qui sont des officines pourtant indirectes du gouvernement israélien, n’auriez vous pas officiellement pris vos distances ? Faire exister un débat sur l’ impérialisme occidental au sein de la gauche ou de l’extrême gauche blanche française ou de ce qu’il en reste, est-ce le plus important pour vous ? Cela empêche-t-il de se faire l’écho de la vie et des rêves des peuples iraniens et irakiens, eux.elles qui sont les premières victimes et trop souvent otages des guerres, des intérêts et des agressions impérialistes ? Répondre oui est votre droit mais ce serait adopter un positionnement politique ethnocentré et raciste. Dont acte.
2) Se dissocier de ces organisations via un communiqué, une déclaration, un article ou un événement, aux motifs de ce qui est écrit dans l’appel initial et dans divers textes, à savoir le soutien aux mouvement populaires, à la lutte des peuples et à leur droit de choisir leur destin.
3) Soutenir ces associations de malfaiteurs en les reconnaissant de façon plus ou moins tacite et pourquoi pas être invité.es en grande pompe par un président ou ministre de la République Islamique, comme ont pu l’être Alain Soral ou ces « activistes de la paix » de Code Pink.
Nous aimerions faire avec vous le bilan de cette action, et rencontrer le comité d’animation du collectif ou certain.es de ses représentants.
Nous sommes prêt.e.s à intervenir en AG pour évoquer la situation de l’Iran et participer à la réflexion autour d’une question simple mais sensible : l’Etat iranien est-il ou non une puissance impérialiste ? Et pourquoi pas une rencontre (nous sommes prêt.es à traduire) avec des Afghans à Paris, anciens conscrits dans les brigades Fatemyouns en Syrie (avec la menace d’expulsion et la promesse d’argent et de documents administratifs) [10], qui aujourd‘hui meurent de froid à Porte d’Aubervilliers, entre deux gazages et rafles de flics.
Nous espérons que nous vous aurons convaincu.e.s par nos explications. Dans l’attente d’une réponse rapide, nous vous saluons.