Pendant près d’un an, accompagné d’un chauffeur et d’une traductrice, Bernard-Henri Lévy s’est astreint à des sauts de puce à travers tous les États-Unis. Commandité par une revue chic et un grand éditeur, tous deux américains, il s’est lancé sur les traces d’Alexis de Tocqueville, auteur d’une étude majeure sur « la démocratie en Amérique » en 1831. Ce périple a donné naissance à son nouvel opus, American Vertigo [4], une entreprise de réconciliation entre les Français et l’Amérique censée contribuer à faire reculer dans l’Hexagone l’antiaméricanisme, « la dernière religion en France [5] », selon l’auteur. Surtout l’ouvrage doit permettre à l’écrivain, qui considère la France comme déjà acquise, de se lancer à la conquête de l’Amérique.
« Il y a une sorte d’ambition chez ce gars que Paris ne peut plus satisfaire », observe Tony Judt, professeur d’études européennes à la New York University. « Paris est petit, une ville de province d’une certaine façon. Je pense que quelqu’un comme BHL sent que si vous voulezvraiment atteindre le standing international, alors vous devez être en Amérique. Vous devez être à New York. Il n’est pas suffisant d’être juste très visible à Paris [6] . »
Pour tenter d’exister en Amérique, Bernard-Henri Lévy a donc choisi sa stratégie : essayer d’attirer l’attention en se positionnant comme LE Français qui aime et comprend les États-Unis. Donner des gages donc. Cette offensive de séduction systématique est particulièrement évidente dans les premiers extraits du livre, publiés en avant-première par la revue Atlantic Monthly entre mai et novembre 2005.
Sous la plume de Bernard-Henri Lévy, traduit en anglais par la traductrice américaine de Jean Genet, l’Amérique semble parée de toutes les vertus. L’écrivain s’ingénie à gommer tous les travers traditionnels du pays. Pour lui, par exemple, il n’y a pas plus d’obèses aux États-Unis qu’en France et les Américains sont aussi bien couverts par leur système de protection sociale que les Français ! Même à l’Académie de l’US Air Force de Colorado Springs, les boys ont des « visages poupins, éveillés » et le peuple américain n’est nullement enfiévré, impatient, ou même brutal comme on le dit souvent, mais au contraire calme, discipliné, « un mélange de docilité et de curiosité, de soumission grégaire et de civilisation » (sic !).
Chaque étape de son périple donne à l’écrivain français l’occasion de déclarer sa flamme aux villes qu’il traverse. Detroit (Michigan) ? « Sublime Detroit. » Cleveland (Ohio) ? « Pas si triste, pas si brisée », etc. Parfois, Bernard-Henri Lévy s’enflamme littéralement, comme lors de sa visite de Seattle (Washington). « J’ai absolument tout aimé de Seattle. Si j’avais à choisir une ville américaine pour vivre (...) ce serait ici à Seattle », écrit-il en juin... avant de changer d’avis en octobre ! « Si j’avais à m’installer dans une ville de ce pays (...) ce ne pourrait pas être Seattle mais Savannah, se ravise-t-il (...) en bref, j’aime Savannah. »
Souvent Bernard-Henri Lévy varie... Les Français le savaient. Les Américains commencent à s’en rendre compte.
Mais vont-ils pour autant tenir rigueur à ce drôle d’intellectuel si flatteur, si respectueux avec leur pays, si poli avec ses représentants qu’il ne va jamais jusqu’à les contredire ? À peine l’écrivain s’insurge-t-il par exemple quand un leader de la communauté indienne tient devant lui des propos teintés d’un antisémitisme sans ambiguïté. À croire que Bernard-Henri Lévy, que l’on avait connu plus intransigeant sur les principes, soit soudain devenu philosophe en traversant l’Atlantique... À moins qu’il ne soit simplement ici affaire de tactique et de calcul. Même le refus de John Kerry - alors candidat démocrate à la Maison- Blanche - de le recevoir n’inspire à l’intellectuel français, d’habitude gonflé d’orgueil, aucun ressentiment. Bernard- Henri Lévy serait-il devenu sage au point de pouvoir comprendre qu’un candidat américain en pleine campagne n’a pas forcément de temps à perdre en discussions philosophiques avec un écrivain étranger ? Pas vraiment. Mais « l’ami Bernard » est tout de même prêt à trouver à ce Kerry qui se refuse à lui une excuse flatteuse pour son ego : en pleine vague antifrançaise aux États-Unis, Kerry, selon Bernard-Henri Lévy, ne pouvait simplement pas s’afficher avec un grand intellectuel français sous peine de baisser immédiatement dans les sondages...
Le buzz béachélien
« Le plus beau décolleté de Paris », selon le mot prêté au critique Angelo Rinaldi ne pouvait laisser naître le soupçon qu’il ne comptait pas tant que cela aux États-Unis. Cela aurait été contraire à la vérité officielle qu’il mettant d’énergie à forger. Il n’a donc pas ménagé ses efforts
pour faire savoir à la France entière que sa grande aventure américaine était déjà un triomphe.
Ce qu’il est convenu d’appeler « le réseau BHL » a été mis à contribution très en amont de la sortie du livre. Les leaders d’opinion, dans les médias, ont été minutieusement travaillés. L’opinion doit être préparée à considérer Bernard-Henri Lévy non plus comme un ancien « nouveau philosophe », non plus comme un cinéaste, romancier ou dramaturge, pas plus comme un spécialiste de l’islam radical au Pakistan, mais comme l’homme-clé des relations franco-américaines. À la sortie du livre, en France, il ne doit plus être possible de parler des États-Unis sans en référer à Bernard-Henri Lévy.
Albert Sebag, chef de service à l’hebdomadaire de BHL Le Point [7] , et membre du comité de rédaction de La Règle du jeu, la propre revue littéraire de Bernard-Henri Lévy [8] , est l’un de ses obligés. Il est donc chargé de tirer l’une des premières salves triomphatrices... près d’un an avant la sortie du livre. Ce qui donne cet écho flatteur dans la rubrique culturelle du Point au printemps 2005 :
« Bernard-Henri Lévy est en passe de devenir l’auteur français préféré des Américains. Son Supplément au voyage de Tocqueville publié en sept feuilletons dans le prestigieux Atlantic Monthly a un succès fou. L’écrivain a fait salle comble lors d’une conférence aux allures de concert rock à la New York Library (...) Autant dire qu’American Vertigo - son nouveau livre, rassemblant la totalité du feuilleton paru dans Atlantic Monthly augmentée de l’ensemble de
son périple américain -, qui sera publié en janvier 2006 aux États-Unis, chez Random House, risque de dépasser les ventes du best-seller Qui a tué Daniel Pearl ? [9] .
Ainsi fonctionne « le réseau » chargé de lancer le buzz béachélien. Sa recette est à la fois rustique et efficace : il suffit de trouver dans chaque rédaction des affidés qui lui doivent tous quelque chose (complément de salaire, position sociale, honneur quelconque )... et de les activer au gré de ses besoins promotionnels. Du clientélisme classique appliqué à la gent intellectuelle.
Remarquablement huilé, « le réseau » avance avec la force paisible et implacable d’un bulldozer et explique comment une oeuvre béachélienne n’est plus seulement louée à sa parution. Elle est désormais automatiquement célébrée avant même d’être écrite !
Rédigés par les membres du « réseau », les articles flatteurs se multiplient donc dans à peu près tous les journaux qui comptent. Il s’agit de populariser auprès du public français l’envergure de Bernard-Henri Lévy aux États-Unis.
Paris Match, par exemple, où l’écrivain ne compte que des amis, en fait une idole de la presse américaine [10] . Le Monde, quotidien de référence, n’est pas en reste. Onze mois avant la parution prévue d’American Vertigo, le supplément littéraire du journal consacre ainsi un article éminemment positif au dernier projet béachélien. Un texte d’autant plus élogieux... que seuls les commanditaires du projet ont droit à la parole [11] .
Le rédacteur en chef de la revue Atlantic Monthly, la revue haut de gamme qui publie les carnets de voyage de l’écrivain français en feuilleton, estime ainsi que « ce projet a créé un enthousiasme [qu’il] n’avait jamais vu, ici, pour un écrivain étranger ». Tandis qu’un des patrons de Random House, l’éditeur américain de l’ouvrage, expose combien « Bernard-Henri Lévy lui a semblé être celui qu’il fallait pour, dans le sillage du 11 septembre, nous tendre ce regard étranger ». Quant à l’auteur lui-même, il conclut l’article en faisant part de son émerveillement : « C’est curieux, je ne m’attendais pas à ce que ce pays m’accueille de cette façon. Mais à vrai dire, l’aventure ne fait que commencer... »
Pour les lecteurs du Monde, qui par définition accordent foi à leur journal préféré, le pari américain de Bernard- Henri Lévy est donc bel et bien gagné, avant même d’être engagé. Ils réviseraient peut-être néanmoins leur jugement s’ils savaient que l’article publié dans les colonnes de leur journal n’était pas signé par une journaliste habituelle du quotidien... mais par une collaboratrice occasionnelle, Lila Azam Zanganeh, dont la principale occupation est d’être, à ce moment-là, la correspondante à New York de La Règle du jeu, la propre revue littéraire de Bernard- Henri Lévy !
Faire écrire ses louanges dans la grande presse par une jeune employée forcément dévouée ? Un fantasme pour n’importe quel écrivain. Une pratique habituelle pour Bernard-Henri Lévy, qui éprouve semble-t-il une certaine difficulté à admettre la distinction entre critique et réclame littéraire.
« Un visiteur excentrique »
Reste la vraie question : American Vertigo, le dernier livre de Bernard-Henri Lévy, est-il l’ouvrage que l’Amérique haletante attend en 2006 ?
Un début de réponse peut être apporté par la vraie correspondante permanente du Monde aux États-Unis. Dès le printemps 2005, Corine Lesnes a lu le premier épisode du carnet de voyage de Bernard-Henri Lévy. La journaliste s’est fait une idée assez précise de l’impact des nouvelles réflexions béachéliennes sur le public américain... et a jugé que le peu d’intérêt de l’ensemble ne justifiait pas un article dans le quotidien de référence à Paris, mais simplement quelques notations sur son blog, son journal personnel sur Internet. Ce qui donne :
« Côté américain, il n’est pas sûr que les lecteurs apprennent grand-chose sur eux-mêmes. Ceux qui attendaient un effet miroir à la Tocqueville sont un peu étonnés. Voilà un écrivain qui vient leur raconter des banalités et leur expliquer en anglais que, dans les Mall, il y a des Mall walkers (il y a des gens qui font de l’exercice en marchant dans les galeries marchandes) [12] ... »
Mauvaise manière d’une journaliste peu sensible au style BHL ? Pas forcément. La communauté intellectuelle américaine semble aussi très réservée sur la postérité de la dernière oeuvre béachélienne. « Ce que j’ai lu de son carnet de route m’a surpris par la vacuité du propos et la faiblesse du style, estime par exemple Dick Howard, pourtant très francophile professeur de philosophie à la Stony Brook University. « Je ne vois pas comment il pourrait, avec ce genre de texte, se tailler une place dans la vie intellectuelle américaine. Bien sûr, son pouvoir de séduction et son culot lui permettent d’être invité dans certaines émissions de télé. Mais s’il peut jouer le rôle de la personnalité exotique dans le petit milieu médiatique et branché new-yorkais, il est loin d’être devenu une référence intellectuelle dans le pays. Bernard-Henri Lévy existe dans quelques cercles gravitant autour des revues branchées comme Atlantic Monthly ou même Vanity Fair. Mais pour le New York Times, qui reste la référence en termes intellectuels ici, il n’est rien [13] . »
Au-delà de l’avis de quelques spécialistes, il est possible de se faire sa propre idée sur la nouvelle oeuvre américaine de l’« ami Bernard ». Il suffit de se reporter aux extraits déjà publiés en avant-première par la revue Atlantic Monthly. Bernard-Henri Lévy y enfile avec emphase les lieux communs comme lorsqu’il date l’attachement des Américains à leur drapeau à l’après 11 septembre 2001. Nul doute que les voyageurs ayant eu l’occasion de visiter les États-Unis avant 2001 - et donc de voir dans à peu près tous les jardins de l’Amérique profonde une bannière étoilée flottant en haut d’un mât, tradition patriotique séculaire - trouveront là matière à s’étonner... de l’explication emphatique de l’écrivain qui découvre une lune que tout le monde a vue avant lui [14] .
Comme à son habitude, dans sa description des faits, l’écrivain français multiplie les contresens voire les contrevérités. Ce qui ne l’empêche pas de les assener avec la force de l’évidence. « Los Angeles n’a pas de centre », écrit-il par exemple. Peut-être « l’ami Bernard », accaparé par ses rendez-vous mondains à Beverly Hills ou Venice, n’a t-il pas eu le temps de visiter « Downtown LA », le centre historique de la ville californienne, un quartier au charme très mexicain, partie intégrante de la cité des Anges, qui y a d’ailleurs installé son imposant palais de justice [15] ?
Ces faiblesses n’ont semble-t-il pas échappé aux lecteurs des premiers extraits du nouvel opus béachélien publiés par The Atlantic Monthly. Ils l’ont fait savoir sur Internet.
Voilà ce que l’on peut lire par exemple sur le site de discussion littéraire 3quarksdaily :
Peter B, le 7 mai 2005 : J’ai trouvé le premier extrait en mai vraiment bizarre.
Oj, le 8 mai 2005 : La barre ne peut pas être fixée plus bas.
Bart, le même jour : Cela se lit comme il l’a écrit, à l’hôtel, en réalisant qu’il avait environ trois heures pour jeter quelques remarques sur le papier. Ces choix de sujets d’interviews et de destinations sont des non-sens. Peut-être que lorsqu’il mettra tout cela ensemble, cela fera sens. Selon les critères français, Lévy est habituellement un écrivain et conférencier remarquablement clair.
Robin, le 14 juillet 2005 : Tocqueville, comme observateur de la politique et de la société était très brillant et, comme analyste de la société, un génie. BHL est un égocentrique éhonté et n’a, la plupart du temps, rien d’intéressant à dire.
Dan lui répond le même jour : Bien dit, Robin. Et la série de BHL est ponctuée d’inexactitudes (ou plus généreusement, de mauvaises interprétations) et est terriblement mal écrite.
Sur le site Left in the West.com, géré par Matt Singer, un collaborateur du sénateur démocrate du Montana John Tester, Bernard-Henri Lévy ne fait pas non plus un tabac :
Matt Singer : Suis-je le seul déçu de la résurrection de Tocqueville par Lévy dans l’Atlantic de ce mois ? Ça commence par des observations intéressantes et dérive vite vers une série d’histoires qui, il me semble, ne captent rien de spécialement original.
John Clayton, un essayiste, collaborateur du National Geographic et des éditions de la Harvard Business School, lui répond le même jour : Tu n’es pas le seul. Je suis content que tu aies parlé de ça. Le fait qu’il compare certains lieux à des églises est intrigant. Mais sa propre visite dans une église apparaît comme une corvée commandée par un rédacteur en chef qui essaie de créer l’événement, ce qui est exactement l’opposé de ce qui fait durer l’oeuvre de Tocqueville.
Charles Reesink : D’accord sur la non-représentativité de BHL comme le Français qui devrait refaire l’itinéraire de Tocqueville ; et aussi outré que personne n’ait jamais fait mention du travail de Jean Boissel sur Gobineau, l’assistant de Tocqueville.
Les quelques rares journalistes américains ayant suivi le périple de Bernard-Henri Lévy semblent eux aussi assez réservés sur la réelle stature aux États-Unis de l’intellectuel français.
Un reporter du Detroit Free Press par exemple, que l’on ne peut soupçonner ni de sympathie, ni d’antipathie envers « l’ami Bernard » qu’il n’a jamais rencontré jusqu’alors, a assisté à l’une des étapes du « BHL circus » à Detroit (Michigan), un peu moins d’un an plus tôt.
L’article, titré « Un visiteur excentrique échappe à l’attention », relate sans trop d’égards cette visite du maître dans la capitale de l’automobile américaine [16] :
« Bernard-Henri Lévy est un tel VIP dans son pays la France que la plupart des gens le connaissent simplement sous ses initiales BHL. Mais il n’est juste qu’un Français parmi d’autres de ce côté de l’Atlantique. Il n’a pas causé beaucoup d’agitation dans le centre de Detroit pendant son séjour tourbillonnant de trois jours qui s’est terminé samedi matin. Personne n’y a prêté attention vendredi après-midi quand BHL, en costume noir avec une chemise blanche ouverte sur l’estomac, ses longs cheveux flottants au vent, marchant à vive allure dans Piquette Street dans le Nouveau Centre, censément pour étudier les usines automobiles abandonnées pendant que son assistante Anika Guntrum filmait sa promenade avec une caméra vidéo (...) »
Et le reporter américain, visiblement très amusé par les gesticulations de l’écrivain français, de le suivre visitant la Buick Park Avenue « avec une malle pleine de livres de référence ». Ce qui le conduit à noter scrupuleusement les sentences inspirées de « l’auteur de best-sellers, philosophe,
pontife, globe-trotter, réalisateur de films et activiste marié à une merveilleuse actrice » comme il le qualifie pour ses lecteurs. Suivent ainsi dans l’article, des analyses-minute de la ville de Detroit par Bernard-Henri Lévy comme : « Il y a quelque chose qui naît ici, une nouvelle relation de l’homme à la ville. » Ou encore : « Le modèle américain que vous pouvez voir ici est plus qu’un darwinisme urbain : ce qui est condamné meurt. » Interrogé par le Detroit Free Press, Lévy assure que « suivre Tocqueville est un honneur ». Mais notre intellectuel-journaliste de soupirer en forme d’aveu : « C’est difficile d’appréhender toutes les informations. Les États-Unis sont un tellement grand pays ! »
Conclusion : le pari américain de Bernard-Henri Lévy est loin d’être réellement gagné, la force du « réseau BHL » n’opérant pour le moment qu’en France. Mais au moins permet-elle de faire oublier dans l’Hexagone combien Bernard-Henri Lévy n’est aux États-Unis qu’un visiteur excentrique échappant à l’attention des passants, « juste un Français parmi d’autres ». Pas précisément « la rock-star des intellectuels » dont toute l’Amérique attend l’oracle miraculeux...
Acheter son éditeur
Le constat est sans doute rageant pour l’intéressé, qui a conçu avec méthode son plan de conquête du marché américain dès 2002.
Cette année-là, l’écrivain est en train de rédiger son « romanquête », mélange de fiction et de réalité sur l’assassinat de Daniel Pearl, un journaliste américain sauvagement assassiné par des militants islamiques au Pakistan lorsqu’il apprend qu’une petite maison d’édition américaine, qui n’a que quelques mois d’existence, offre de racheter les droits de son précédent ouvrage Réflexions sur la guerre, le mal et la fin de l’histoire [17]. Justement, les dirigeants de Melville House sont à Paris. Bernard-Henri Lévy leur propose illico son futur « romanquête » . « C’est du news, leur dit-il en substance. Si vous le publiez le plus vite possible après sa sortie en France, il est à vous. »
Melville House, éditeur naissant qui n’a pas encore publié le moindre ouvrage, est tenté. Surtout que l’argent ne semble pas un problème [18]. Pour une fois, Bernard-Henri Lévy ne se montre pas très gourmand. Il est prêt à tout pour percer aux États-Unis. C’est au contraire lui, l’auteur, qui traite ses éditeurs en grands seigneurs, allant jusqu’à les inviter à Marrakech en avion privé.
Valérie Mérians, la cofondatrice de Melville House avec son époux Dennis Loy Johnson, a raconté, visiblement subjuguée, leur voyage avec « Lévy, sa magnifique épouse star de cinéma et un entourage de gens fascinants - un architecte, un designer, un reporter, un directeur de journal et l’administrateur général de la Comédie-Française. Nous n’avions jamais voyagé sur un Lear Jet avant ! Bernard avait commandé un magnifique plat pour nous, des sushis à 12 000 pieds d’altitude, du vin fin [19] ». Comme quoi, même aux États-Unis, il faut plus qu’un simple manuscrit pour séduire son éditeur !
Moins de six mois après sa sortie en France, le Pearl de Bernard-Henri Lévy a donc été publié aux États-Unis. Aussitôt, la presse hexagonale a parlé de « best-seller » et de « succès phénoménal »... sans jamais citer de chiffres. Une enquête très rapide de l’autre côté de l’Atlantique permet d’apprendre que l’édition américaine du Pearl s’est vendue en réalité à seulement 50 000 exemplaires [20]. L’équivalent, pour la France, de 10 000 exemplaires. Un chiffre non négligeable pour un auteur étranger aux États-Unis mais néanmoins très éloigné de ce que l’on pourrait appeler un authentique phénomène de librairie.