8 juin 2015. Il fait beau, il fait chaud. Je suis à la maison avec mon amoureux tout nouveau, tout beau. En milieu d’après-midi, il reçoit un texto. C’est le réseau militant, il se passe un truc en bas, à la halle Pajol, là où les réfugiés du campement de la Chapelle sont venus s’installer. C’est une rafle. Face à l’acharnement policier, les habitants du quartier descendent peu à peu de chez eux. On tente tant bien que mal d’empêcher les CRS de violenter les migrants pour les mettre dans des cars qui les emmèneront en centre de rétention administrative (CRA). Les hommes sont tabassés, gazés. Les femmes aussi. Une femme enceinte a été traînée par terre, rouée de coup pour avoir refusé de monter dans un de leurs véhicules. A la suite de cela, elle a fait une fausse couche et a perdu son enfant.
Nous sommes en mai 2016 et bien d’autres femmes enceintes ont perdu leur enfant à cause de la maltraitance institutionnelle. A Paris, à Calais ou ailleurs, la violence d’Etat continue d’humilier, de briser les exilés. La violence d’état c’est celle qui place en détention une réfugiée syrienne de 17 ans car elle se ballade avec un faux passeport. Celle qui fout un casque sur la tête de mon pote tunisien et lui menotte les mains pour le jeter hors de France, dans un avion. Ou bien celle qui refuse l’asile à mon ami homosexuel, en danger de mort dans son pays. C’est aussi celle du cynisme qui par pur calcul politique abandonne les migrants dans les campements à Paris.
En Belgique, des psychiatres proposent même de penser l’exil sous le prisme d’un double trauma, celui du départ forcé et celui de « la procédure » européenne :
« A chaque étape de la procédure, ce qu’ils disent, ce qu’ils ont vécu est remis en doute. Peut-être certains d’entre eux inventent-ils des choses, mais pour celui qui a vraiment vécu ce qu’il raconte, s’entendre dire : "écoutez, les viols, ce n’est pas de ça qu’il s’agit, je veux savoir à quelle date vous avez perdu vos parents" (…) Ces souffrances sont induites par le système qui existe. » [1]
Cette violence n’est pas un mythe, ce n’est pas une construction des penseurs d’extrême gauche pour se justifier d’une supposée radicalité. Il ne s’agit pas non plus d’une « position victimaire »->http://lmsi.net/A-quoi-sert-la-victimisation]. La violence d’Etat est le terme qui désigne l’humiliation concrète et réelle subie par celles et ceux que l’Etat discrimine et déshumanise. Si la théorie de l’Etat de droit dans les argumentaires des « gens bien » fait figure d’autorité, permettez nous de partir de ce que nous vivons pour vous évoquer une autre histoire conceptuelle, la violence de l’Etat.
Si l’Etat de droit est la formule préférée de ceux qui veulent nous faire passer par des fous, j’ajouterai que l’Etat de droit, c’est nous. Il existe à travers Baby, habitante de la jungle et féministe qui organise une conférence de presse à Paris pour dénoncer les conditions d’accueil des exilées en France [2]. Il existe à travers Ali, un jeune exilé afghan, qui prend la parole à la Marche de la Dignité pour montrer sa solidarité envers les musulmans et musulmanes et toutes les personnes racisées de France [3]. Il existe à travers mon pote militant qui prend sa voiture de nuit et fait traverser la frontière à Rosa, syrienne de 17 ans pour qu’elle quitte la France qui l’a mise en détention et rejoigne sa famille en Allemagne. Il existe à travers mes potes qui ont accueilli et accueillent encore chez eux des enfants demandeurs d’asile à la rue [4]. Il existe à travers les habitants du 18e arrondissement qui le 8 juin 2015 se sont fait défoncer en tentant d’empêcher une rafle [5].
Ne nous laissons pas berner, l’Etat de droit n’existe pas en tant que tel, ce n’est pas une formule incantatoire qui vient sauver la démocratie. Il est incarné par des personnes qui luttent pour leurs droits, et n’existe que si nous le faisons exister. On tend à oublier que les grands principes démocratiques existent pour être mis en pratique. Rien de ce qui se passe à Paris ou à Calais n’est excusable. La France ne peut pas être sauvée. L’égalité est stricte ou elle n’est pas. Et j’espère que l’histoire leur rendra.