Pour décrire les sexualités contemporaines, le paradigme d’une « révolution sexuelle », dont le point d’orgue serait la « démocratie sexuelle » théorisée par André Béjin [1], est souvent utilisé. La « démocratisation de la sexualité » se caractérise par le « principe égalitaire de troc des orgasmes » qui se serait substitué à la seule satisfaction des hommes lors des relations hétérosexuelles. L’évolution des rapports sociaux de sexe et la libéralisation de la sexualité auraient permis l’émergence de cette démocratie sexuelle. Il est vrai que les enquêtes consacrées aux sexualités contemporaines [2] révèlent que les conduites sexuelles des hommes et des femmes ont tendance à se rapprocher. Pourtant, la sexualité n’échappe pas pour autant aux normes sociales.
Nous sommes passés de normes extérieures, explicites, monolithiques, édictées par la morale ou la religion à une prolifération de représentations, et par conséquent à une individualisation des conduites, produisant à son tour des injonctions contradictoires. Mais, pour autant, ce que révèlent aussi ces enquêtes, c’est que les places des hommes et des femmes n’ont pas radicalement changé.
Ainsi, la presse et notamment celle que l’on qualifie « de société », qu’elle soit à destination d’un lectorat masculin ou féminin, adolescent ou adulte, hétérosexuel ou homosexuel semble être un vecteur de ces nouvelles normes contemporaines de la sexualité. Nous proposons par conséquent un « coup de sonde » sur les papiers consacrés à la sexualité dans le magazine pour adolescentes le plus vendu de cette catégorie, durant une période d’analyse, de novembre 2007 à avril 2008. En effet, la sexualité est un thème récurrent, abordé dans chaque numéro de ce mensuel, et les articles en question sont intégrés à la rubrique la plus importante, intitulée « Magazine », lesquels fonctionnent comme des modes d’emploi en matière de socialisation juvénile (en témoignent les intitulés : « Love stratégie », « Sexy guide », « Psy girl », « Psy couple », « Life Guide », « Boy secret », « Body Guide »…). Ainsi, ce magazine aborde explicitement la sexualité tous les mois en consacrant au minimum une double page à ce sujet, au cours d’un ou deux articles. Précisons que ce titre est le plus ancien (1987) et le plus lu de sa catégorie [3].
Le discours de ce mensuel, en matière de sexualité, semble s’articuler autour de trois axes : une identification forte des lectrices à certains modèles ; l’utilisation contradictoire de la figure de la travailleuse du sexe (prostituée et actrice de cinéma pornographique) ; et enfin, l’inscription d’une « sexualité féminine », et ce dès l’adolescence, dans un cadre strictement relationnel et affectif.
Tout d’abord, de quelle manière opère cette contrainte à l’identification des adolescentes ? Comme nombre d’autres magazines à destination d’un lectorat féminin, adolescent ou adulte, il met en couverture et en illustration des rubriques « Sexe », un modèle féminin. Et il s’agit bien d’un modèle dans les deux sens du terme : un mannequin, mais aussi une référence à laquelle la lectrice doit correspondre, doit s’identifier. Dans ce magazine, les articles consacrés à la sexualité sont le plus souvent illustrés par des dessins représentant essentiellement des femmes. Une seule fois au cours de la période analysée, et dans le cadre précis du numéro de mars 2008 avec un dossier « Spécial Mecs », les articles sont illustrés de photographies d’un jeune homme.
Les modèles masculins ne sont dès lors convoqués dans ce magazine non pas comme objets de désirs, mais comme illustrations des préoccupations de la rédaction, qui sans ce cadre précis, tourne autour des tactiques de séduction à mettre en œuvre par la lectrice, avec comme terreau, l’androcentrisme et l’hétérosexualité impérative. Au contraire, le magazine masculin, le plus lu de sa catégorie, illustre ses pages consacrées à la sexualité de photographies de modèles féminins, et une jeune femme célèbre et séduisante fait tous les mois la couverture. Certes, le dernier titre masculin, lancé sur le marché français depuis 2008, fait figure de nouveauté puisqu’un homme célèbre est en couverture de chaque numéro.
Le magazine féminin adolescent fonctionne ainsi comme « un mode d’emploi », un « guide », et ce dispositif est donc renforcé par le procédé d’identification aux modèles proposés. Or, malgré les transformations intervenues dans les rapports entre hommes et femmes, considérables, le rapport social de sexe, le genre, reste opérant. Ainsi, l’injonction de séduction, qui, certes, concerne aujourd’hui aussi les hommes (que Lilian Mathieu [4] considère comme un des traits de la modification des conduites érotiques masculines), en témoignent les rubriques « Mode » et « Forme » du magazine masculin adulte, n’en demeure pas moins une orientation importante de la presse féminine.
Au-delà de cette contrainte à l’identification qui soutient l’injonction de séduction, les discours en matière de sexualité dans ce titre de la presse adolescente s’articulent autour de l’usage ambivalent de la travailleuse du sexe, c’est-à-dire celle qui fait commerce d’une partie de sa sexualité, disponible sexuellement contre rétribution. Cette utilisation est souvent contradictoire, car cette figure, qui n’est jamais nommée ainsi clairement par le magazine, est soit l’objet de promotion, soit elle est utilisée comme une image repoussoir. Série d’injonctions contradictoires pour la lectrice qui se devra de trouver la bonne mesure entre susciter le désir de son partenaire et le contenir, l’article « Hot sexe : faites-le planer sans le toucher » (novembre 2007) propose huit situations ayant pour objectif d’éveiller le désir masculin.
Pour chaque proposition, sont décrits la situation en détail, les « limites à ne pas dépasser », les « risques » et « les conseils hot ». L’image de la porno star est alors convoquée, car elle représente cette femme disponible sexuellement aux désirs des hommes. Dès lors, une totale disponibilité est prônée, pas forcément dans la pratique, mais tout du moins dans l’image que peut avoir le partenaire de la lectrice, le tout étant de lui faire croire en cette totale disponibilité : « lui préciser qu’à 23 heures, vous serez toute à lui. ». La lectrice est même encouragée à mentir à propos de cette disponibilité, à la simuler : « …en ce moment vous dormez peu. C’est faux ? Il n’est pas obligé de le savoir. »
Néanmoins, de manière contradictoire, si cet article fait la promotion d’une disponibilité sexuelle de la lectrice pour son partenaire, en même temps, il l’alerte sur les risques liés à cette disponibilité affichée. Ainsi, dans le même article, les limites évoquées pour chaque situation s’articulent autour de la vulgarité et de l’image de la femme facile. Ainsi, pour la première situation « On est seuls chez moi », il s’agit de prendre des poses sensuelles en face de son partenaire. Les limites et les risques sont de passer pour une fille « facile », puisque est invoquée l’image repoussoir de la starlette Paris Hilton, connue pour s’afficher régulièrement dans la presse « people » (et pour un film X amateur).
D’autres propos viennent renforcer cette image de la travailleuse du sexe comme butée : « attention, on ne vous dit pas de jouer à la pro du strip-tease. », « la limite à ne pas dépasser : vous faire passer pour Paris Hilton qui s’arrange toujours pour qu’on voie sa culotte. », « sinon, vous courez le risque de vous faire passer pour une allumeuse d’hormones. », « la limite : sortir toute la panoplie de la dompteuse de garçon avec talons hauts ».
La figure de la « dompteuse de garçon », c’est-à-dire partie prenante de l’acte, fait aussi office d’image repoussoir. La femme « prédatrice » demeure une représentation du danger et n’est pas, dès lors, considérée comme séduisante aux yeux des garçons. Il semble que ce magazine ait intégré et de fait relaie l’idée qu’une femme qui affirmerait son appétence sexuelle s’exposerait à être assimilée à une prostituée, une fille disponible sexuellement aux désirs masculins. Ainsi, comme le souligne Ilana Löwy,
« La réputation sexuelle négative des filles « faciles » exprime un point de vue masculin. Une fille expérimentée met les garçons mal à l’aise parce qu’elle peut juger leur performance sexuelle ; celle dont l’expérience est limitée ne perturbe pas l’ordre « naturel » des relations sexuelles, dans lequel le garçon est supposé prendre l’initiative, et la fille, le suivre. Ces réputations sont établies par les garçons, souvent avec la collaboration d’autres filles. En l’absence d’équivalent masculin à la « fille facile », les filles n’ont pas la possibilité symétrique d’établir la réputation sexuelle négative d’un garçon. Finalement, le groupe des garçons détermine les réputations sexuelles des individus des deux sexes ; asymétrie qui découle de la domination des représentations masculines de la sexualité. » [5]
En définitive, cette utilisation ambivalente de la « porno-star » permet de suggérer aux lectrices l’importance d’exposer une féminité, qui demeure une performance de genre, mais qui se doit d’être respectable.
Enfin, ce mensuel offre la représentation d’une sexualité tournée vers l’autre, et de fait, vers les hommes, et dans ce cadre hétérosexuel, alimentant l’androcentrisme en matière de sexualité. En effet, la figure masculine devenant système de référence, la sexualité féminine ne semble alors exister qu’en référence à celle-ci. Ainsi, le désir féminin dans certains articles est passé sous silence, le plaisir est soumis à condition et la sexualité semble circonscrite à un cadre conjugal et affectif.
Dans un article d’avril 2008 « Sexy guide. Faire l’amour !!! On attend quoi au juste ? » sont exposées huit motivations possibles pour une jeune fille d’avoir un rapport sexuel : « Le big love ? », « Le bon endroit ? », « Mes 17 ans ? », « Un mec hyper amoureux ? », « Un Jules très doué ? », « Un garçon romantique ? », « Un rendez-vous chez le gynéco ? », « Les copines ? ». Ainsi, l’amour, la situation spatiale, l’âge, le partenaire, la visite chez un médecin et les paires sont donc présentés comme des raisons valables pour avoir un premier rapport sexuel. Mais le désir n’est à aucun moment mentionné, qu’on aurait pu imaginer par la formulation suivante, simple : « Parce que vous en avez envie ? ».
Par ailleurs, la représentation du plaisir sexuel, fait de cette donnée un élément soumis à conditions, lorsqu’il n’est pas passé sous silence. Dans l’article de novembre 2007, intitulé « Hot guide, Les mythos du sexe : décelez le vrai du faux », sont analysés et déconstruits par un argumentaire cinq mensonges potentiels en matière de sexualité. Dans ce papier, le plaisir sexuel ne semble pas être une finalité du rapport sexuel. Certes, la première expérience sexuelle peut ne pas être qu’ « une partie de plaisir », mais les craintes quant à cette première expérience sexuelle féminine sont relayées et érigées comme incontournables. Ainsi, le mensonge féminin « ma première fois, c’était top », est anéanti du fait de l’absence de douleur et de manifestations physiques : « Elle raconte à quel point sa première fois était formidable. Elle n’a pas eu mal, ni peur, elle n’a ni saigné, ni rien du tout. Que du plaisir ! elle a eu un orgasme incroyable. Le bonheur ! ».
L’argumentaire développé mentionne la présence impérative d’un petit désagrément lors de cette étape importante (« oui, ça peut bien se passer, mais il y a toujours un petit hic. »). Le plaisir féminin est à plusieurs reprises abordé avec suspicion, puisqu’un des mensonges analysés s’intitule « j’ai au moins trois orgasmes à chaque fois », explicité de la façon suivante : « pour elle, le sexe, c’est forcément une partie de plaisir. ». Que sous-entend cette assertion, que la sexualité, pour les jeunes femmes, ce n’est pas « qu’une partie de plaisir » ? En suspectant le plaisir lors de l’acte sexuel, cet article cautionne l’idée que les femmes puissent avoir une relation sexuelle sans plaisir. Ainsi, est battue en brèche l’idée soi-disant inhérente aux conduites sexuelles actuelles d’une démocratie sexuelle où le plaisir partagé par les partenaires doit être intégré aux pratiques.
Dans un article de décembre 2007, « Hot love, SOS sexe : Pourquoi moi je ne ressens rien ? », les rédactrices proposent neuf interrogations à destination de la lectrice afin qu’elle trouve une explication à son manque de plaisir sexuel. Le titre même de l’article introduit d’emblée la potentialité d’une dissociation du plaisir et de la sexualité pour les femmes. L’expérience, la connaissance de l’anatomie et l’âge sont présentés comme étant des conditions à réunir pour éprouver du plaisir. Celui-ci, pour les femmes, ne serait donc pas d’emblée une donnée intégrante des rapports sexuels, la lectrice étant encouragée à être patiente. Au contraire, dans le magazine masculin le plus vendu de sa catégorie (seul objet de comparaison possible, puisqu’il n’existe aucun magazine masculin généraliste – et non musical, sportif, …- à destination des adolescents) lorsqu’est évoquée la sexualité, l’hédonisme est de mise (avec notamment la promotion univoque de la star de cinéma pornographique, qui passe du statut de professionnelle du sexe à celui de spécialiste du sexe) et est promue la sexualité récréative (c’est-à-dire hors de tout projet conjugal).
« In bed ! Tout ce qu’on ne doit pas dire… »
Dans l’article de mars 2008, « In bed ! Tout ce qu’on ne doit pas dire… » intégré au dossier « Spécial Mecs », sont exposées neuf déclarations que la lectrice est sommée de garder pour elle lors de l’acte sexuel, car selon la journaliste, il y aurait des mots « qu’il vaut mieux ne jamais prononcer… sous peine de le voir verdir de rage, de déception ou d’incompréhension. ». La lectrice est ici encouragée à taire la déclaration suivante : « là, je sens toujours rien. ». Elle est présentée comme étant passive au cours de l’acte sexuel, « en position étoile de mer » (termes précis de l’article), non pas participante mais observatrice « vous observez votre vaillant copain en train d’essayer de vous faire décoller au moins au-dessus des pâquerettes. » La rédactrice, de façon implicite, installe les lectrices comme étant des réceptacles de sexualité, mais non des actrices de leur sexualité.
On menace même la lectrice de passer aux yeux de son partenaire pour une femme frigide : « ce qu’il risque de faire : […] Mettre en doute votre capacité à ressentir du plaisir. » Dès lors, elle doit mettre en place une parade, mentir et non s’investir comme individu acteur de l’acte sexuel. On lui propose alors de se « rattraper » en déclarant : « j’au eu une anesthésie pour ma dent de sagesse. Je crois qu’elle fait encore son effet ! ».
Par conséquent, elle ne doit remettre aucunement en cause la pratique sexuelle de son partenaire, et surtout, elle n’est pas incitée à prendre des initiatives qui lui permettraient de conjuguer son plaisir et celui de son partenaire, ce qui est la tendance de fond du magazine, où le partenaire de la lectrice est toujours présenté comme unique initiateur d’une relation sexuelle. Au contraire, elle est encouragée à faire de fausses déclarations visant à conforter son partenaire : « C’est que tu es si délicat ! ». Et même à simuler son plaisir : « Continue, là, oui, je commence à sentir… » Sous couvert d’humour et de légèreté, cet article conforte la représentation courante de la passivité sexuelle des femmes.
D’autres paragraphes de cet article vont inciter la lectrice à ne pas être en quête de plaisir mais à ménager son partenaire. Ainsi, le magazine la décourage de guider son partenaire puisqu’elle ne doit pas déclarer : « Un peu plus à droite, non, un peu plus à gauche, non plus bas… ». Selon la rédactrice, il serait indélicat de mentionner ce type de précision, si en plus, la lectrice n’a pas demandé son avis à son partenaire (« Et ça, sans même lui demander son avis. »). Dans l’explicitation même de cette déclaration est introduite l’idée qu’une jeune femme doit demander l’accord avant l’acte sexuel à son partenaire pour s’investir et même pour être sincère, car son partenaire risque de : « s’énerver par rapport au manque de confiance que vous avez en sa capacité à vous faire craquer. ». Ce type d’affirmation réifie la figure sexuelle « pénétrant/pénétrée », où le pénétrant est seul dépositaire des initiatives et de la finalité de la sexualité, la pénétrée étant réduite à n’être qu’un simple dispositif de réception.
Le traitement de la sexualité dans ce magazine induit systématiquement l’endiguement de cette sexualité dans le cadre du couple et érige le sentiment amoureux comme un impératif. Dans l’article de décembre 2007 « Hot love, SOS sexe : pourquoi moi je ne ressens rien ? », la première interrogation « Est-ce le mec de votre vie ? » associe d’emblée le sentiment amoureux et la sexualité, en énonçant de façon directe ce qui semble constituer une norme pour la rédactrice : « pour les filles, le sexe et les sentiments vont souvent ensemble. L’amour que l’on ressent pour un mec fait que les choses se passent bien. ». Par ailleurs, l’importance du sentiment est réaffirmée dans la rubrique « ça, c’est 100% aphrodisiaque », où « être amoureuse » et « être avec un Jules amoureux » sont érigés comme des composantes du désir sexuel.
L’article d’avril 2008 « Faire l’amour !!! On attend quoi au juste ? » évoque huit raisons potentielles pour la lectrice de passer à l’acte sexuel. Trois de ces raisons sont en lien direct avec le sentiment amoureux et le couple : « Le big love ? », « Un mec hyper amoureux ? », « Un garçon romantique ? ». Ressentir un sentiment amoureux devient alors une raison suffisante, car si la lectrice a « enfin sous la main un prince charmant grandeur nature, le cheval et les collants en moins », selon la rédactrice, elle possède « l’équation parfaite pour vivre un moment intense ». Mais, on la décourage d’avoir un rapport sexuel si sa relation ne s’inscrit pas dans un cadre conjugal durable : « Bof. Oui, vous vous entendez super bien. Mais non, ce n’est pas le mec de votre life […] sachez que c’est dommage de passer à côté de l’émotion. C’est juste un minuscule détail qui fait vraiment la différence ! ».
La promotion de la conjugalité et l’importance du sentiment amoureux dans la médiatisation de la sexualité des femmes semblent être une survivance, une réminiscence du patriarcat. Il ne s’agit pas, dans le cadre de la pensée féministe, d’un terme pour désigner des relations individuelles, mais d’un véritable système, autonome, où le pouvoir est détenu par les hommes. Le patriarcat, comme l’a démontré notamment Christine Delphy [6], est une oppression spécifique faite aux femmes, permettant la fourniture d’un travail gratuit, le travail domestique. Selon Delphy, le concept de patriarcat est « quasiment synonyme de « domination masculine » ou d’oppression des femmes » [7].
Certes, depuis ces quarante dernières années, les femmes ont gagné en autonomie, et les avancées en matière d’égalité entre hommes et femmes furent importantes. Mais, sous couvert d’égalitarisme formel, des inégalités demeurent, plus subtiles et donc plus difficiles à dénoncer et à combattre. Ainsi, la promotion d’une sexualité s’inscrivant dans le cadre du couple, et où l’attachement amoureux des femmes semble impératif, il nous semble que ce dispositif de promotion valide le système de patriarcat. En effet, en ne laissant pour les femmes que très peu de place à la sexualité récréative, c’est-à-dire hors de tous projets conjugaux, ce titre, comme d’autres magazines « féminins », promeut de façon implicite ce système généralisé de domination des hommes et d’oppression des femmes.
Car, une femme qui pratiquerait sa sexualité exclusivement hors d’un cadre conjugal représente une menace pour ce système de domination masculine. Ainsi, selon Ilana Löwy,
« la subordination des femmes dans la société patriarcale traditionnelle repose sur le pouvoir absolu du pater familias, consacré par la loi et la coutume, imposé par la coercition économique et la force physique. Dans la variante contemporaine du patriarcat, la subordination des femmes s’organise à travers un ensemble de valeurs intériorisées, d’arrangements volontaires et de « régimes de plaisirs ». Ces arrangements volontaires sont fondés sur une définition essentialiste de la masculinité et de la féminité. » [8]
Un des traits de cette vision essentialiste de la féminité se traduit par la vision d’une sexualité « féminine » qui ne pourrait exister hors des cadres affectifs et conjugaux. Sans remettre en cause l’existence du sentiment amoureux, la promotion univoque et exclusive du couple comme modalité d’expression de la sexualité pour les femmes, en liant de façon systématique sexualité avec attachement conjugal et sentiment amoureux, c’est continuer à promouvoir ce système patriarcal, ainsi que l’hétérosexualité.