Accueil > Études de cas > Homophobies, Lesbophobies et Hétéronormativité > Mariage et adoption pour tous, PMA pour certains ?

Mariage et adoption pour tous, PMA pour certains ?

Pour une véritable égalité des droits

par Caroline Mécary, Daniel Borillo, Eric Fassin
22 janvier 2013

Enfin, nous y voici. À cor et à cri, les adversaires du "mariage pour tous" réclament un grand débat. C’est oublier que la controverse est lancée depuis quinze ans. À l’époque, tous s’accordaient pour reconnaître l’enjeu au-delà de la création du Pacs alors discuté : ce que les uns (les plus nombreux) redoutaient, ce que les autres (encore rares) revendiquaient, c’était bien l’ouverture du mariage et surtout de la filiation. Car la question de l’égalité entre les sexualités se posait déjà.

Ceux qui sacralisent le mariage et la filiation refusent de les profaner en les ouvrant à l’homosexualité. Libre à chacun de valoriser davantage l’hétérosexualité, au motif qu’elle serait naturelle ou divine. De fait, selon l’actuel Catéchisme de l’Église catholique, les actes homosexuels sont des "péchés graves", "intrinsèquement immoraux" et "contraires à la loi naturelle". Mais l’État a-t-il vocation à instituer cette norme hétérosexiste ? Ou bien, renonçant à promouvoir l’hétérosexualité majoritaire, devrait-il rester neutre ?

Enfin, la gauche a rejoint le parti de l’égalité. En 2004, elle désavouait Noël Mamère, sanctionné pour avoir célébré le mariage de deux hommes. Mais l’histoire donne raison au maire de Bègles : la France va rejoindre ses voisins du Nord et du Sud. Au lieu de traîner les pieds comme en 1998, le gouvernement prend l’initiative. Lionel Jospin n’avait guère soutenu la proposition de loi du Pacs ; François Hollande et Jean-Marc Ayrault s’engagent dans le projet de loi. Ceux qui, comme nous, défendent ce droit depuis quinze ans ne peuvent que s’en réjouir.

Reste un malaise : pourquoi ouvrir l’adoption aux couples de même sexe, et non la procréation médicalement assistée (PMA) ? Le gouvernement compte-t-il, comme pour le Pacs, s’en remettre aux députés ? Faute de soutien, leurs amendements risquent pourtant d’être voués à l’échec.

Surtout, c’est une question de principe : peu importe qu’on juge le verre de l’égalité à moitié vide ou à moitié plein. Il n’existe pas de juste milieu : une demi-égalité, c’est encore l’inégalité. Pourquoi gâcher les bénéfices politiques d’une grande loi symbolique ? On invoque des motifs techniques. Pour un couple, si l’adoption suppose le mariage, la simple vie commune permet la PMA. L’ouverture en serait donc renvoyée à une réforme ultérieure, non du mariage, mais de la bioéthique ou de la famille.

Or la procrastination ne garantit pas, à l’approche des élections, le courage qui fait défaut aujourd’hui. Surtout, c’est maintenir la discrimination au cœur de la filiation. On aurait deux catégories de couples mariés – de même sexe et de sexe différent, exclus de la PMA ou non. Et qu’on n’aille pas invoquer, pour justifier la différence de traitement, la condition légale d’"infertilité pathologique" : la stérilité n’épargne pas plus les homosexuels que les hétérosexuels !

Ambiguïtés du droit de la filiation

Pourquoi préserver ainsi la PMA de l’égalité ? Les craintes du gouvernement sont le révélateur des ambiguïtés du droit de la filiation. Certes, la loi continue d’y accorder au mariage une place majeure, avec la présomption de paternité, mais aussi en lui réservant l’adoption conjointe. Pour autant, cette institution n’est plus son fondement unique : le législateur a cessé depuis 1972 de hiérarchiser ainsi la filiation, mettant à égalité les filiations qu’il renonce d’ailleurs à nommer "légitime" et "naturelle". Aussi la biologie apparaît-elle désormais comme un fondement alternatif de la filiation – le développement des "preuves génétiques" lors des recherches en paternité l’atteste. Les lois de bioéthique en apportent la confirmation paradoxale.

Tout se passe comme si, pour le droit, la reproduction artificielle était... naturelle ! Au couple composé d’un homme et d’une femme, on demande d’être "en âge de procréer" (une exigence absente pour l’adoption), l’effacement des donneurs contribuant à renforcer l’illusion d’une reproduction naturelle. Ceux qui répugnent aujourd’hui à ouvrir la PMA aux couples de même sexe veulent ainsi sauvegarder une vraisemblance qui n’a rien à voir avec la vérité.

Renversons la perspective. La biologie qu’imite le droit de la PMA n’est qu’une construction juridique parmi d’autres : la filiation n’est pas la reproduction. Mais cette convention peut devenir dangereuse. Avec l’adoption internationale, on renonce à la ressemblance de l’enfant à ses parents ; au contraire, pour la PMA, la médecine procède à un véritable tri racial : elle assortit la couleur des cheveux, des yeux et de la peau. Est-on sûr de vouloir préserver pareil impératif de vraisemblance ? Le "mariage pour tous" est l’occasion d’expliciter les enjeux de la filiation. D’un côté, l’Église va au-delà de son refus du "mariage pour tous". Pour les évêques, "la loi ne doit pas mentir sur l’origine de la vie".

Conformément au droit canonique, la vérité de la filiation deviendrait biologique. Plus question d’effacer les géniteurs de la filiation : adieu l’anonymat de la PMA et l’accouchement sous X, mais aussi l’adoption plénière. Sauf à exempter le mariage de cette "vérité", c’en serait fini de la présomption de paternité : l’époux n’est pas toujours le père biologique...

S’entendre sur la nature du droit en démocratie

D’un autre côté, on peut remettre en cause le fondement biologique de la filiation, et son imitation dans la PMA, sans pourtant revenir au mariage. Le droit fait déjà une place à d’autres logiques : depuis 1966, l’adoption est possible à titre individuel – y compris pour une personne mariée ! C’est une filiation fondée sur la volonté.

Or cette logique d’engagement n’a rien d’exceptionnel. Si la moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage, presque tous sont reconnus par leur père. La possession d’état suggère encore une autre logique, le temps : est parent celui qui est réputé tel, parce qu’il se comporte comme tel. Cette filiation sociologique permettrait d’ailleurs de penser le parent social, qui élève l’enfant – soit d’introduire la parentalité dans la parenté.

Entre ces modèles, l’actualité nous invite à décider : quel(s) fondement(s) voulons-nous donner à la filiation ? Aucun ne s’impose naturellement ; le choix est politique. Car il importe de s’entendre sur la nature du droit en démocratie : il ne reflète pas la vérité des choses, il la produit. C’est pourquoi il est absurde de l’accuser de mentir : le droit est une convention qui institue la réalité. Tout l’enjeu, proprement politique, est de trancher : quelle réalité voulons-nous ?

La volonté, soit l’engagement d’un projet parental, est une convention juridique, autant que le mariage ou la biologie ; mais elle a le mérite de se donner pour telle. Cela permettrait de penser l’adoption en couple sans le mariage, la PMA à titre individuel, sans condition de stérilité, et l’inscription à l’état civil des enfants nés à l’étranger de la gestation pour autrui.

Il serait temps que la gauche, pour assurer l’égalité de tous devant la filiation, fonde celle-ci moins sur le mariage ou la biologie que sur la volonté.

P.-S.

Ce texte est paru initialement dans Le Monde. Nous le reproduisons avec l’amicale autorisation de Daniel Borrillo.