Accueil > Études de cas > Divers > « du respect pour les femmes de chambre »

« du respect pour les femmes de chambre »

Retour sur le combat des femmes de chambre à Marseille

par Huit femmes de chambre en grève
22 avril 2020

En avril 2019, des femmes de chambre travaillant dans un hôtel de Marseille lançaient un mouvement de grève qui durera cinq mois, comme d’autres le feront quelques mois plus tard en région parisienne. Femmes et migrantes, certaines avaient déjà travaillé dans d’autres hôtels, en France ou ailleurs, d’autres avaient commencé à l’ouverture de celui-ci fin 2017. À l’occasion d’un changement de direction de l’hôtel, l’entreprise de sous-traitance qui les employait a été remplacée et leurs conditions de travail et d’emploi se sont dégradées. Publié dans le livre collectif Féminismes dans le monde, coordonné par Pauline Delage et Fanny Gallot, et paru chez Textuel, l’entretien qui suit a été mené avec elles en septembre 2019. Il revient sur les raisons qui les ont poussées à se mobiliser, mais aussi sur la pénibilité et la dévalorisation de leur travail. Un an plus tard, en plein confinement, les femmes de chambre font partie de ces travailleurs, et surtout de ces travailleuses, souvent issu.e.s des classes populaires, parfois migrant.e.s ou racisé.e.s, qui sont appelé.e.s à se rendre sur leurs lieux de travail pour assurer des tâches souvent invisibles, mal payées et dénigrées. Le Ministère du travail a fait paraître des fiches de conseils par métiers pour éviter la propagation de l’épidémie : s’agissant des femmes de chambre, les mesures nécessaires pour les protéger et revaloriser leur métier sont singulièrement absentes.

Pouvez-vous décrire une journée de travail ?

On arrive à 9 heures du matin, pour celles qui sont à mi-temps, à 14 heures pour celles à temps plein, enfin, plutôt quelques minutes avant pour pouvoir nous changer, des minutes qui ne sont pas comptées dans le temps de travail. À 9 heures ou 14 heures, on doit être dans les bureaux pour chercher une fiche qui comporte la liste des chambres à faire.

Après ça, on monte dans les étages pour nettoyer les chambres, normalement jusqu’à 14 heures ou jusqu’à 21 heures, mais on termine toujours plus tard. On est censées faire dix chambres, parfois plus, avec une majorité de « départ », c’est-à-dire le grand ménage lorsque les client·e·s partent. L’un des problèmes, c’est que le temps imparti pour nettoyer les chambres est trop court : 15 minutes pour une « recouche », c’est-à-dire, pour les client·e·s qui vont rester la nuit suivante, et 30 minutes pour un « départ ». Évidemment, on a toujours besoin de plus de 15 ou 30 minutes. Pour un départ, il faut non seulement changer les draps et les serviettes, mais aussi laver le sol, les toilettes, la douche, le mini-bar, et les accessoires, comme la bouilloire ou les verres ; il faut s’assurer qu’il y a du thé, du café, du lait et du sucre.

Les chambres sont parfois vraiment très sales, certaines ont trois lits à faire, d’autres des canapés et il faut beaucoup de temps pour préparer tout ça. D’ailleurs, certaines « recouches » prennent énormément de temps aussi, parce que les chambres sont très sales, qu’il faut tout changer et qu’il y a des affaires partout à ranger. On dépasse souvent largement le nombre d’heures de nos contrats.

Qu’est-ce qui a déclenché la grève ?

Dès que l’entreprise de sous-traitance a changé, on a eu des difficultés à faire en sorte que toutes nos heures travaillées soient payées. Il y avait des erreurs sur les fiches de paie et on ne les comprenait pas. Sur un mois de travail, pour le même nombre d’heures travaillées, on n’était pas rémunérées de la même manière : on faisait nos heures mais elles n’étaient pas toutes comptabilisées, les heures supplémentaires n’étaient pas non plus toujours prises en compte et payées.

Il est arrivé à l’une de nous d’être appelée pour commencer à 11 heures ou 12 heures, alors qu’elle devait normalement commencer à 14 heures et la différence n’avait pas été prise en compte. Un jour, elle s’en souviendra toute sa vie, elle avait fait une journée de travail de 9 h30 et seulement 7 heures ont été comptées : en travaillant tous les dimanches et avec toutes les heures supplémentaires, elle n’arrivait même pas à 1300 euros par mois.

Les tickets de transport et les paniers repas n’étaient pas non plus payés. Surtout, des absences justifiées étaient considérées comme non-justifiées. Un jour, le bébé de l’une de nous était malade. Elle avait envoyé un certificat pour justifier ses trois jours d’absence mais il n’a pas été pris en compte et elle n’a pas été payée. Certains jours de travail étaient comptés comme des journées d’absence, alors qu’on était bien présentes. Il y avait aussi des problèmes de pointage qui se traduisaient par des erreurs sur nos fiches de paye.

La personne qui se chargeait de nous faire pointer partait souvent vers 13 heures, ce qui empêchait celles qui commençaient à 14 heures de le faire. Par ailleurs, à la fin de la journée de travail, on devait attendre cette personne à son bureau pour pointer avant de pouvoir quitter l’hôtel. On attendait ainsi jusqu’à 10 ou 20 minutes, et ce temps-là n’était pas compté comme du temps de travail. On s’est très vite rendues compte de tous ces problèmes ! Mais quand on a voulu en discuter avec la direction, on n’a jamais reçu de réponses à nos messages.

Comment se passaient les relations au travail ?

Rien n’était fait pour faciliter notre travail ! En plus, il fallait parfois aller chercher du linge au rez-de-chaussée et le monter dans les étages, on nous demandait parfois de laver, sécher et repasser les taies. Tout ça prenait beaucoup de temps sur le nettoyage des chambres, alors qu’on n’était pas censées faire ça. S’il fallait ajouter un lit souple dans une chambre, c’était encore à nous de descendre les chercher alors que c’est vraiment très lourd à porter.

On ressentait aussi beaucoup de suspicion : il y avait des rumeurs qui couraient selon lesquelles nous volions les produits d’accueil, comme les échantillons de shampoing. Là encore, ça générait un surcroît de travail parce qu’ils étaient rangés au rez-de-chaussée et qu’il fallait faire des allers retours supplémentaires pour les transporter dans les étages des chambres.

Tous les problèmes de l’hôtel nous retombaient dessus. S’il y avait des mégots devant la porte d’entrée, ça venait forcément de nous, alors que les rares femmes de chambre qui fument n’ont pas le temps de sortir pour fumer. Si l’une de nous était malade, tout l’hôtel était au courant et on nous appelait pour venir travailler quand même. Ce n’était pas normal. Faire une pause posait aussi problème.

Pour celles qui travaillaient à mi-temps, on n’avait pas de pause, même quand on travaillait beaucoup plus d’heures ; et pour celles qui travaillaient toute la journée, c’était comme si la pause n’était pas due. Il nous arrivait d’entendre des réflexions lorsqu’on prenait une pause. Si on répondait, on pouvait entendre ensuite qu’on ne faisait pas ce qui était demandé. C’est pourtant un travail vraiment difficile : on a besoin et le droit de faire une pause.

Comment avez-vous décidé de vous mobiliser ?

Nous avons contacté le syndicat CNT : c’est sûrement la meilleure chose qu’on ait faite. Avant les problèmes de fiches de paye et d’heures non-rémunérées, on anticipait les problèmes à venir. En effet, quand le changement d’entreprise de sous-traitance a eu lieu, à l’époque des vacances de fin d’année, les dates de congés n’avaient pas été transmises. En tout cas, on nous a dit que la nouvelle entreprise n’était pas au courant des jours de vacances, alors qu’ils avaient bien été posés. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit qu’il fallait contacter les syndicats.

Et puis, ensuite, à chaque fois qu’on leur demandait quelque chose, on n’étaient pas entendues, comme si on étaient tellement petites que personne ne se souciait de nos problèmes. C’était très douloureux de ne pas être écoutées de cette manière. Tout ça a duré trois mois. Nous avons beaucoup discuté entre nous et nous avons finalement décidé de nous mettre en grève.

Quelles étaient vos revendications ?

Pendant la mobilisation, Elior affirmait qu’on aurait nos plannings sur 4 semaines, des talkiewalkies, plus des chariots de ménage. Mais tout ça on l’avait déjà avant le changement de sous-traitant. Ce que nous voulions, c’était un 13 e mois, la revalorisation des salaires, le travail le dimanche payé 50 % supplémentaire et les jours fériés 100 %.

Après 4 mois de grève, ils se sont moqués de nous et proposaient seulement de nous octroyer 200 euros, alors que c’est une société qui génère énormément de profit et qu’on en demande qu’une part infime. Mais s’ils n’ont pas voulu répondre favorablement à nos revendications, c’est parce qu’ils ont eu peur de devoir appliquer ces nouvelles règles aux autres employé·e·s. On est vraiment dégoutées par ces injustices. Nous, on voulait simplement du respect pour les femmes de chambre. Parfois, on s’est vraiment demandé pourquoi « nous » ? Pourquoi on a eu droit aux policiers, aux violences, aux propos racistes ?

La mobilisation a été fortement réprimée ?

Chaque matin, nous installions les piquets de grève devant l’hôtel. Elior a eu recours à la justice pour qu’on arrête la grève, mais le juge nous a donné raison. Après ça, on a eu aussi beaucoup de problèmes avec les policiers qui venaient tous les jours et nous imposaient des règles différentes à chaque fois. Parfois, ils ne nous laissaient même pas rester devant l’hôtel, en disant que c’était un espace privé, d’autres fois, on pouvait rester.

Certaines d’entre nous ont été en garde à vue pendant 24 heures. C’est arrivé deux fois, mais on n’a jamais vraiment compris les motifs d’interpellation. Le moment où les policiers sont venus nous chercher a été vraiment horrible : on a été bousculées ; ils ont fait tomber une femme enceinte ; les enfants étaient avec nous, ils ont été gazés alors qu’ils sont tous petits, ils ont moins de 4 ans.

On a été traitées comme des criminelles, sans comprendre vraiment ce qui se passait. Aussi, les policiers se sont moqués de l’accent de l’une de nous. Évidemment, on n’est pas françaises donc on ne prononce pas comme des Français. Quand on chantait les slogans « on est là, on est là », comme les gilets jaunes, on les entendait se moquer. On a aussi été menacées. Ça a été d’une violence incroyable, on était très choquées. La sécurité de l’hôtel nous a insultées, des clients parfois aussi. Une cliente âgée est tombée par terre ; ce n’était pas de notre faute, il y avait un trou sur le trottoir et elle avait perdu l’équilibre. Elle nous soutenait, mais on a reçu une plainte et on a été convoquées.

Comment avez-vous réussi à tenir pendant 5 mois ?

On a reçu énormément de soutien. Par exemple, tous les samedis, les gilets jaunes venaient devant l’hôtel. Il y avait de la musique. C’était notre jour préféré pour la grève. Le 1er mai était aussi une journée incroyable ! On a eu énormément d’argent pour la caisse de grève. On ne s’attendait pas à ce que des personnes qui ne nous connaissent pas et n’ont rien à voir avec notre combat, soient avec nous et nous soutiennent. On était vraiment très contentes de tous ces soutiens.

Cependant, nous avons dû reprendre le travail, et la situation a empiré depuis : on a beaucoup de jours de repos – 4 par semaine – qui ne sont pas payés, et quand on demande à discuter avec la direction, tout le monde se renvoie la balle. C’est comme s’il n’y avait pas de responsables pour nous répondre. On nous met encore plus la pression pour faire les 10 chambres en 5 heures : on nous punit d’avoir fait grève, en quelque sorte.

P.-S.

Propos recueillis et retranscrits par Pauline Delage, parus dans le livre collectif dirigé par Pauline Delage et Fanny Gallot, Féminismes dans le monde, et repris ici avec l’amicale autorisation des autrices et des Édtitions Textuel. Version numérique disponible ici.

Sur le même sujet, voir Saphia Doumenc, « Anarcho-syndicalisme et nettoyage : l’improbable politisation de la lutte par le recours juridique », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 61, n° 4, Octobre-Décembre 2019

Crédit photo : marxiste.org