Les principes liminaires d’une démarche populiste
De nombreux textes ont été votés depuis ces dix dernières années en matière de procédure pénale, de peines, d’ordre public (voir la chronologie de ces lois sur LMSI). Citons : la loi sur la sécurité quotidienne, la loi sur la sécurité intérieure, les lois Perben I & II, la loi sur la récidive, la loi sur l’égalité des chances (Sur cette dernière loi, voir La "nouvelle société" est en marche).
Ces textes (sauf peut être le dernier cité) instauraient un Etat sécuritaire. Les conséquences en furent à la fois une augmentation considérable des incarcérations, et aussi une extension (sans fin) du champ pénal, dont la plupart des professionnels s’accordent à dire :
- que cette politique a tari les subventions pour le secteur social et du soin en milieu ouvert pour le remplacer par du répressif qui n’offre aucune solution en termes d’insertion professionnelle, sociale, de suivi psychologique....
- qu’en augmentant le chiffre statistique des actes de délinquance, on peut jouer encore plus facilement sur les peurs, le sentiment d’insécurité alors que la réalité est en fait stable, et dans la pratique, le choix de la qualification pénale des faits constatés est du ressort de la police nationale, et de la gendarmerie, donc du ministre de la sécurité
Ces principes de base de cette politique populiste permet, dès qu’une éventualité se manifeste, d’effectuer un nouveau tour de vis jusqu’à tourner le dos aux principes et bases de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pour ce faire, on prépare une loi complexe et longue, et, après la divulgation de plusieurs projets que l’on retire partiellement... on travaille en coulisse pour qu’un aimable parlementaire les reprenne à son compte.
Le nouveau projet Sarkozy intitulé prévention de la délinquance est de cette veine, car il modifie durablement la structure administrative du pays, et la répartition institutionnelle et territoriale des pouvoirs et jette les bases d’un contrôle et d’une suspicion généralisée.
Nous allons reprendre l’analyse des mesures prévues dans ce texte de manière chronologique, c’est-à-dire au fur et à mesure qu’elles apparaissent dans ce texte de 38 pages, et noter aussi ce qui change par rapport à la version d’avril 2006.
I) le contrôle social par les maires
Le maire devient le coordonnateur et animateur de la prévention de la délinquance sur sa commune. Pour cela :
– Il peut recevoir de nouvelles compétences d’action sociale attribuées au département (nouveauté).
- Le Président d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut exercer les pouvoirs du maire (hormis ceux d’officier de police judiciaire). Cette nouveauté ne va pas de pair avec ce qui fonderait dans l’esprit de cette loi, la légitimité de ces attributions : en effet, l’élection au suffrage universel d’un président d’agglomération n’est toujours pas d’actualité.
- Il doit être informé de toute intervention d’un professionnel au bénéfice d’une personne présentant des difficultés sociales et, si plusieurs travailleurs sociaux interviennent, le maire désigne un coordonnateur.
- Le secret professionnel partagé est la règle de fonctionnement entre ces travailleurs sociaux, et le maire " reçoit du coordonnateur toutes les informations nécessaires à l’exercice de sa compétence dans les domaines sanitaires, social et éducatif."
- Il doit être informé par l’inspecteur d’académie de la liste des élèves domiciliés dans son ressort pour lesquels un avertissement a été adressé au regard de l’absentéisme scolaire.
- Il peut réunir un conseil pour les droits et les devoirs des familles, qui peut adresser des recommandations à la famille destinées à prévenir des comportements susceptibles de mettre l’enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui.
- Il peut proposer un contrat de responsabilité parentale à la famille, et si des troubles à l’ordre public sont signalés sans que cela ne constitue une infraction, le Maire peut obliger à la famille à ses frais un stage de responsabilité familiale ou si la situation familiale a des conséquences pour la tranquillité et la sécurité publique le conseil pour les droits et les devoirs des familles peut proposer au maire de mettre en place une tutelle aux prestations familiales.
- Le contrat de responsabilité parentale (avec la possibilité de suspension ultérieure de prestations familiales) peut résulter d’un refus de la famille de se conformer à l’accompagnement parental proposer par le maire.
- Le maire, lorsqu’il y a des troubles à l’ordre public sans constitution d’une infraction, peut seul prononcer un rappel à l’ordre.
- Il doit être informé de toute sortie d’essai d’un malade psychiatrique sur son ressort sous 24 h.
- Il initie des poursuites pénales pour les contraventions des quatre premières classes.
Il convient en outre de noter que les gardes-champêtres se voient dotés de pouvoirs plus importants ; dresser des PV des contraventions des trois premières classe et au code de la route y compris de dépistage d’alcoolémie et de stupéfiants au volant.
Commentaires : le maire est devenu le supérieur hiérarchique des travailleurs sociaux, un destinataire de toutes les informations sociales, judiciaires et médicales des citoyens sur son ressort. Il est doté de pouvoirs de sanctions civiles et financières à l’encontre des familles, il est le nouveau délégataire de la puissance publique en terme de sécurité, retour à une forme d’organisation féodale, le ministre ayant tout de même reculé sur les nouvelles compétences judiciaires qu’il souhaitait donner au maire en matière de sanction pénale, toutefois il est flagrant que l’accroissement des pouvoirs du maire se fait sans contre-pouvoirs pouvoirs.
II) Multiplication du fichage
En plus de la création du nouveau fichier municipal du conseil pour les droits et les devoirs des familles qui est créé de fait, il est institué :
- au niveau municipal, un fichier municipal du versement des prestations familiales incluant les données nominatives relatives aux enfants en age scolaire et afin d’agir sur leur absentéisme scolaire
- un fichier dépendant du ministère de la santé concernant les personnes hospitalisées d’office consultables par les autorités judiciaires, la police, le préfet
- Par contre le fichier incluant le résultat du dépistage précoce des enfants présentant des troubles du comportement et des signes de souffrances psychique tenu par la PMI n’est plus prévu dans ce projet
Commentaires : Le Ministre a reculé devant la pétition et les actions du collectif ; les thèses comportementalistes de dépistage précoce n’ont pas réussi à s’imposer : pour combien de temps ?
III) La vidéo surveillance
Cette nouvelle grande cause nationale n’apparaît plus dans le projet : quel sera le parlementaire qui la ré-introduira ? Toutefois est maintenue une législation réglementant la fermeture des portes des copropriétés.. qui doivent être fermées de jour comme de nuit.
III) Les nouvelles jeunesses miliciennes, modèle d’intégration
Faisant faussement le parallèle avec l’armée, et le débat du lien armée/nation (qui sous entend la conscription démocratique notamment) est mise en place un lien Police/ nation sur la base du volontariat : le service volontaire citoyen de la police nationale avec pour missi on :
- la médiation sociale, la solidarité, la sensibilisation au respect de la loi.
- les jeunes français d’au moins 17 ans pourront souscrire un engagement pour 5 ans et bénéficieront s’ils s’engagent d’un report de limite d’age pour les concours administratifs et de facilité lors de ces concours administratifs
- il est crée une réserve civile
Commentaires : Surprenant, ce dispositif est maintenu. Il s’agit sans nul doute d’un projet cher à certains milieux policiers qui se sentent toujours en concurrence avec l’armée. Nous ne pouvons que souligner qu’il s’agit d’une totale distorsion du modèle républicain : seule la nation de peuple en arme justifie l’existence d’une réserve dans l’armée, quand la conscription existe, tout autre forme et surtout au sujet de la police ne peut être envisagé que comme une milice au sens courant et étymologique du mot : "troupes organisées pour veiller à la sûreté publique et au maintien des franchises de la cité c’est ce qu’on appela ensuite gardes bourgeoises civiques ou nationales"
Cela aboutit à créer un statut administratif supérieur et dérogatoire aux jeunes miliciens. Quelle sera la prochaine étape ? Cette mesure est d’autant plus contestable qu’il existait déjà les adjoints de sécurité, les médiateurs etc... autant de moyens possibles pour s’intégrer sous contrat aux forces de police. Une jeune milice sera donc en cours de constitution, chose impensable en République et démocratie, et ce sous couvert de l’intégration. La police devient le centre réel et symbolique de l’Etat Sarkozyen....
IV) Les nouvelles peines
Le code pénal se voit affublé de nouvelles peines et de nouvelles
incriminations et donc de nouvelles missions :
a) Psychiatriser le crime :
- extension du suivi socio judicaire en matière d infractions sexuelles
- élargissement de la notion de violence conjugales aux pacsés et anciens concubins, divorcés ou ex pacsés
- Durcir et restreindre encore plus les mesures de réhabilitation et contrairement au principe du droit à l’oubli les condamnations faisant l’objet d’une réhabilitation resteront sur la B2 du casier judiciaire ; retour à la situation d’avant 1994 (nouveauté) : le fichage doit être absolu.
b) Etendre la morale :
- extension de la notion d’infractions sexuelles par le fait de mettre à disposition ou d’exposer à la vue d’un mineur des documents de nature sexuelle ou violente. Une extension est prévue aux oeuvres cinématographiques
- extension de ce régime à l’internet (la nouveauté est que les services de police pour constater les infractions pourront participer sous un nom d’emprunt aux échanges électroniques et être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être les auteurs des infractions)
Commentaires : il convient de s’assurer de la compatibilité de ce nouveau régime avec la liberté d’expression artistique. La censure risque de s’accroître. Quant à l’internet il échappe de moins en moins aux contrôles divers et variés.
c)Enfermer les mineurs :
- procédures de présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement dès que la peine encourue est supérieure ou égale à 1 an. Quelle différence avec ce qui existe déjà : le jugement à délai rapproché ?
- possibilité de mettre en oeuvre la procédure de composition pénale à l’égard des mineurs. Procédure déjà illisible et incompréhensible pour les majeurs ???
- mesure d’éloignement
- exécution de travail scolaire
-placement dans un internat
-centre éducatif fermé pour les mineurs de mineurs de moins de 16 ans
- incarcération des mineurs de moins de 16 ans par le mécanisme du contrôle
judiciaire pour les peines encourues de 5 ans et échec d’action éducatives
antérieures. Le nouveau texte devient plus précis.
- mesure d’activité de jour
- la mesure de TIG à l’égard des mineurs de 13 ans est remplacée par la sanction réparation.
d)Eduquer par le redressement psychique
- par le travail : la sanction réparation
- par le stage : stage de responsabilité parentale, stage de sensibilisation
aux dangers liés à l’usage des stupéfiants
- concernant l’usage de stupéfiants est mis en place un médecin relais sur le modèle qui existe déjà en matière de délinquance sexuelle (nouveauté).
- pénalisation des provocations à l’usage de stupéfiants dans un
établissement d’enseignement et aux abords seront punies de 10 ans. Qu’est-ce qu’une provocation ? le texte ne le dit pas.
- création de stage de sensibilisation aux dangers de l’usage des stupéfiants. On peut vraiment douter de l’efficacité de ce type de stage collectif, pur faire valoir d’une répression accrue et non pertinente.
e)Sanctionner plus durement les occupations d’entreprises et manifestations non violentes
- création d’un délit d’occupation des infrastructures de transport (6 mois encourus et amende). Cela s’entend de tout type de transport y compris les transports de marchandises guidés le long de leur parcours en site propre....On ne peut que conseiller aux collectifs de lire l’article 34 de ce projet de loi.
d) Confisquer plus facilement les biens des étrangers (nouveauté en lien avec réforme du CESEDA).
Dans le cas de non paiement d’une amende forfaitaire, et lorsque l’étranger ne peut justifier d’un domicile en France et qu’il n’a pas payé l’amende, le véhicule peut être saisi, mis en fourrière et vendu par les domaines. Mais au fait, que devient l’étranger ? Mais oui, il est aussi éloigné et toutes ces voitures qui restaient sans propriétaires !
Commentaires : Chaque point mérite développement. Notons le sort peu enviable des mineurs délinquants dont l’éloignement et l’incarcération sont les solutions pédagogiques choisies, ceci nous replonge au XIXème siècle. On en connaît les résultats... Par le foisonnement de stages obligatoires, le comportementalisme a gagné, stages pour la plupart du temps inutiles, dispensés par des associations et structures composant la clientèle du gouvernement du moment, stages qui sont souvent un véritable prélude à un parcours de désinsertion....En concentrant la misère sociale, sanitaire, économique en un seul lieu, ces stages sont de fait de simples paravents totalement inopérants, ce au détriment du soin et de suivi individualisé qui est la norme en termes de travail social.
L’on croirait assister à l’éclosion de camps de redressement digne de la Chine populaire....
V) Les nouveaux pouvoirs de la police
La police se voit encore dotée de nouveaux pouvoirs
- En matière de stups, extension des perquisitions dans les lieux à usage professionnel de transports publics et dépistage
- En matière de stups, possibilité d’infiltrations, de provocation aux délits, d’acquisition de stupéfiants
L’usage des méthode troubles de travail des policiers s’étend et se généralise : après la bande organisée (Perben II), voilà l’infraction à la législation des stupéfiants ! Catégorie pénale fourre tout, autant dire extension sans fin des pleins pouvoirs de la police.
VI) L’internement administratif pour trouble à l’ordre public
La modification de la procédure de l’hospitalisation d’office a donné des pouvoirs de HO aux maires, commissaires de police, préfet, l’intervention médicale n’est plus qu’un avis.
En conclusion : En attendant le Chef charismatique
Il s’agit bien de seuils, de bornes pénales qui sont dépassées. Même si le projet définitif est légèrement en retrait, se mettent en place les structures d’un nouvel Etat qui, au regard de celui qui existait il y a seulement 5 ans en France, peut être qualifié de totalitaire en ce que :
- Il remplace l’accompagnement social par un contrôle tous azimuts des personnes suspectées de déviance,
- Place au rang de l’élite de la nation une police d’ordre public qui embrigade la jeunesse pour la former... à quoi ?
- Transforme la mission éducative en procédés de redressement, notion moderne des camps de ce type
- instaure la peur comme mode de relations entre les citoyens au profit un Etat décentralisé en féodalités liées entre elles... par la révérence à un Leader.
Ce projet sera très probablement amendé par d’honorables parlementaires, qui pourront puiser dans les versions précédentes. Les débats seront instructifs à suivre, juste avant la campagne présidentielle.... Le Leader charismatique et choyé des médias pourra y exercer à hautes doses son populisme de la peur.