Il peut arriver qu’on se fasse de fausses frayeurs – puis qu’on s’aperçoive, grâce à un penseur providentiel, que le vrai « fléau » qui nous menace n’est pas du tout l’un de ceux que l’on supposait.
En ce pluviométrique mois de mars 2024, par exemple, si on ouvre la fenêtre et si on se penche un peu pour regarder ce qui se passe dans nos alentours, on peut vite s’effarer, parce que, où qu’on porte les yeux, tout est tellement flippant qu’on ne sait plus par où commencer pour raconter ce qu’on voit.
Là : une apocalypse climatique dont nous commençons, d’inondations en incendies et de tempêtes en sécheresses, à discerner pour de bon que les capitalistes crispé·es sur leurs profits qui prétendent vouloir l’empêcher, non seulement ne l’arrêteront pas, mais la précipitent, au contraire.
Ici : le fascisme, qui, partout – de Buenos Aires à Delhi, de Rome à Washington, pour ne rien dire de ce qui se passe chez nous la France –, pousse sa méchante gueule dans chaque encoignure que nous lui abandonnons.
Là, enfin, les guerres : celle, impérialiste, de Poutine en Ukraine. Celle, génocidaire, de Netanyahou à Gaza, d’où nous arrivent des images toujours plus insoutenables et des récits de pure abjection.
On peut vraiment se dire que tout ça fait, dans l’époque, beaucoup d’horribles calamités.
Mais voilà qu’arrive Alain Finkielkraut, philosophe, qui répond ce dimanche aux questions d’un magazine réactionnaire. Finkielkraut, rappelons-nous : c’est le gars qui expliquait en 2017, pour défendre son « ami » Renaud Camus, inventeur de la fantasmagorie complotiste et raciste du « grand remplacement » (des populations blanches établies depuis trente siècles à Bâgé-le-Châtel [Ain] par des hordes bariolées venues des bouts du monde), que ledit Camus pouvait, certes, se montrer outrancier, mais que, tout de même, il fallait le comprendre, car c’était « un crève-cœur pour lui de savoir que tant de Français vivent à Saint-Denis, Sevran, La Courneuve, Tourcoing et même certains quartiers de Paris comme dans une terre étrangère ».
Sept ans plus tard, le même explique très sérieusement, dans Le Journal du dimanche, que « la parenthèse raciste de l’antisémitisme s’est refermée en 1945 », que « l’antisémitisme contemporain parle la langue immaculée de l’antiracisme », et que du coup « l’extrême gauche peut impunément s’aligner sur les positions et les passions des électeurs des territoires perdus de la République » – d’où « les résultats mirobolants de Jean-Luc Mélenchon dans les villes de la banlieue francilienne . »
Traduction : c’est la gauche antiraciste qui, en 2024, est antisémite – et donc raciste –, à l’unisson des nouvelles classes dangereuses et quelque peu bariolées des faubourgs.
Le philosophe en conclut, toujours très sérieusement, que « l’antiracisme dévoyé est le fléau du XXIe siècle » – et on se sent idiot d’avoir imaginé que le dérèglement du climat, additionné au retour du fascisme et à la multiplication des guerres, était un peu plus menaçant que le combat contre les haines raciales.