« La France vit son moment George Floyd », ai-je lu à plusieurs reprises dans les médias internationaux, comme si la France s’éveillait soudainement à la question des violences racistes de la police. Cette affirmation naïve contient en elle seule l’histoire d’un déni : celui de violences systémiques sont inhérente à l’histoire de France depuis des décennies.
Mon engagement antiraciste est né d’une tragédie du même ordre : en 2005 alors qu’ils prenaient le chemin de leur foyer après un match de foot entre amis, trois adolescents de 15 à 17 ans sont soudainement pris en chasse par des policiers. Bien qu’ils n’aient rien à se reprocher, la peur conduit ces jeunes à peine sortis de l’enfance à se réfugier dans un transformateur électrique. Deux d’entre eux Zyed Benna et Bouna Traoré meurent électrocutés. Le troisième Muhittin Altun est physiquement et moralement blessé à vie.
Ces jeunes auraient pu êtres mes petits frères, ou cousins. Comment ont-ils pu perdre la vie de manière aussi injuste ? « S’ils rentrent sur le site, je ne donne pas cher de leur peau. » sont les mots prononcés par un des agents avant que le trio ne s’engouffre dans le malheur.
S’ensuivent des révoltes qui embrasent tout le territoire français pendant plusieurs semaines.
Comme pour Nahel, le premier réflexe médiatique et politique est la criminalisation des victimes, dont le passif est scruté, comme s’il pouvait justifier leur mort atroce. Comme s’ils étaient responsable de leur propre tragédie. Nicolas Sarkozy ministre de l’intérieur en 2005 assène de manière : « quand on n’a rien à se reprocher, on ne s’enfuit pas quand il y a la police » salissant la mémoire de jeunes que la peur a conduit à la mort.
Les chiffres qui s’accumulent d’années en année sont implacables. En France, selon la Défenseur des Droits, les jeunes hommes perçus comme noirs ou d’origine nord-africaine ont vingt fois plus de risques d’être exposés aux contrôles de police que le reste de la population. Sans appel, la même institution a dénoncé des discriminations policières systémiques. Comment ne pas avoir peur ?
Dès 1999, notre « pays des droits humains » devenait le deuxième état-membre du Conseil de l’Europe à être condamné pour torture par la Cour Européenne des Droits Humains, suite à des sévices sexuels infligés par des policiers à un jeune homme d’origine maghrébine. En 2012 Human Rights Watch rappelait : « le système de contrôle d’identité pouvait donner lieu à des abus de la part de la police française (…) Elle se livre notamment à des contrôles répétés - « innombrables », selon la plupart des personnes interrogées -, parfois accompagnés de violence physique et verbale. ».
Et même localement la Cour de cassation a condamné la France en 2016 pour « faute lourde » arguant notamment du fait « que la pratique des contrôles au faciès était une réalité quotidienne en France dénoncée par l’ensemble des institutions internationales, européennes, communautaires et internes et que pour autant, en dépit des engagements pris par les plus hautes autorités françaises, ce constat n’avait donné lieu à aucune mesure positive. »
Plus récemment, en décembre 2022, le comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a dénoncé des discours racistes tenus par des responsables politiques et des contrôles policiers ciblant « de manière disproportionnée certaines minorités ».
Malgré ces constats accablants, le président Emmanuel Macron juge inacceptable l’usage du terme de « violences policières ». Surtout aucun de ces condamnations, pourtant minutieusement documentées, n’a débouché sur des politiques sérieuses de transformation de l’institution policière.
Pire, une loi votée en 2017, a assoupli la possibilité de recours aux armes des policiers qui peuvent désormais tirer même sans justifier de la légitime défense. Selon le chercheur Sebastien Roché, le nombre de tirs mortels observés contre des véhicules en mouvement a ainsi été multiplié par cinq. Depuis le 1er janvier 2022, treize personnes ont été tuées dans leur véhicule tandis qu’un seul tir mortel pour refus d’obtempérer aurait été comptabilisé en dix ans en Allemagne.
Le décès de Nahel s’inscrit dans une longue histoire traumatique. Quel que soit notre âge, nombre d’entre nous français.es issue.es de l’immigration post-coloniale portons en nous cette peur conjuguée à la rage face aux injustices qui se succèdent depuis des décennies.
Cette année nous commémorons les 40 ans d’un évènement historique. En 1983, en banlieue lyonnaise Toumi Djaïdja, 19 ans victime d’une violence policière qui le plongera dans un coma de deux semaines est à l’origine de la Marche Pour l’Égalité et contre le Racisme, première marche antiraciste d’envergure nationale qui réunira 100 000 personnes. Depuis les violences qui visent les quartiers populaires et plus largement les personnes noires et d’origine maghrébine, ne cessent d’être dénoncées.
Ce sont les crimes de la police qui sont à l’origine des soulèvements dans les zones urbaines paupérisées, et ce sont ces injustices qui doivent être dénoncées en premier lieu. Après des années de marches, de pétitions, de lettres ouvertes, de requêtes publiques, une jeunesse désemparée ne trouve d’autre moyen que la révolte pour se faire entendre. Et force est de constater que jamais la mort de Nahel n’aurait suscité une aussi grande attention si autant de personnes ne s’étaient pas révoltés, dans de si nombreuses villes en France.
Comme l’énonçait justement Martin Luther King « riots is the language of the unheard ».