Subitement, comme d’habitude, les professeurs oublient que les élèves des quartiers populaires sont malmenés et traités comme de la merde, que des moyens disproportionnés de l’Etat sont mis pour former une minorité de privilégiés qui constitueront une élite voulant détruire l’Etat (la main gauche de l’Etat plus précisément), que lorsqu’on veut cultiver et donner de l’esprit critique aux élèves on se bat contre des forces de plus en plus importantes – valeurs dominantes de l’argent, de la bêtise médiatique, de l’abrutissement par des productions infâmes de l’industrie culturelle, etc. On oublie tout cela et le problème devient : les noirs qui tchipent.
Quand on a atteint le fond du fond de la bêtise, en France, on creuse, et les ressources du creusage sont infinies grâce aux experts anthropologues. Bref, avec un peu de bon sens, je veux dire un truc aux collègues qui se sentent outragés par le tchip : quand je fais cours, oui, je suis un peu autoritaire, j’exige le silence. Je ne veux pas qu’un élève me coupe la parole, et s’il veut commenter ou poser une question, un truc imparfait et critiquable a été inventé, et qu’à défaut de mieux j’exige toujours : lever le doigt et demander la parole. Et s’ils ont la parole, là c’est moi qui dois me taire et écouter. Ils ne le font pas toujours, je ne prétends pas être obéi de façon absolue, et c’est normal, rassurant même. Mais mon travail consiste aussi à leur apprendre à écouter. Et oui, c’est très difficile.
Quand ils me coupent la parole, interrompent le cours, qu’ils tchipent ou crient ou chantent, même une chanson merveilleuse que j’adore, peu importe, cela ne se fait pas. Ce qu’il y a de gênant n’est pas le tchip mais le fait d’intervenir sans avoir demandé la parole en plein milieu du cours et ce quand on est censé travailler. Quand on a le droit de ne pas travailler pourquoi ne pas tchiper ?
Ce qui est sous-entendu par l’interdiction du tchip, c’est donc qu’à condition de ne pas tchiper, on pourrait parler, intervenir pendant le cours, interrompre, sortir d’autres sons de sa bouche, à condition que ces sons ne soient pas des sons "noirs" : dire en bon français par exemple que le cours est contrariant, désolant, qu’il infuse dans le sang des élèves un venin mortel leur donnant le désir de pousser vers le ciel un long gémissement... Eh bien non, même cela, normalement, c’est interdit. Mais on ne peut pas interdire le bon français en classe n’est-ce pas ? Que peut-on interdire ? Gêner le cours, en blanc ou en noir.
Or vouloir interdire le tchip noir, c’est encore une synecdoque raciste : derrière le tchip noir, ce qui évidemment se cache est la volonté d’interdire les noirs eux-mêmes.
Un collègue disait récemment être choqué par le comportement d’un élève qui criait en arabe dans la classe. "Mais qu’est-ce qui te choque exactement ? Qu’il crie ou que ses cris soient en arabe ? Voyons Michel, tu ne dois pas accepter qu’un élève se mette à crier ! Demande-lui de se taire. Punis-le, donne-lui un travail supplémentaire, explique-lui, éduque-le. Fais ton métier en somme. Même s’il criait en suédois ce serait inacceptable. En quoi le fait que ce soit en arabe semble-t-il te poser plus problème ?"
Mais là, comme c’est en arabe, ça semble ne plus être de son ressort : il faut que l’Etat intervienne.