Pendant la mobilisation des Gilets Jaunes, réprimés férocement, on nous a expliqué que l’expression « violences policières » (et non pas la chose, apparemment moins grave) était « inacceptable dans un Etat de droit »...
On est allé chercher du côté des mollah iraniens (il n’y a pourtant aucun terme équivalent en persan et en arabe) pour nous interdire de parler d’« islamophobie », dans un pays où la haine contre les musulmans s’étale régulièrement et tranquillement à la une des journaux et alors même que l’ONU alerte sur le sort fait par l’Etat français aux jeunes musulmanes.
Pour faire taire les personnes parlant, et nommant comme telles, des violences sexuelles qu’elles ont subies, on les a renvoyées au principe de la présomption d’innocence (qui n’a pourtant rien à voir avec le fait même de témoigner).
On nous a aussi expliqué que le terme de « pénibilité » était déplacé, car il pourrait sous-entendre que le travail est pénible – très très maladroite tentative pour faire oublier qu’il l’est, objectivement, pour des millions de gens dans ce pays.
Une proposition de loi votée très sérieusement en octobre dernier par le Sénat, révélant là encore que, quand il s’agit de s’attaquer aux vrais problèmes, certains témoignent d’un discernement redoutable, entend proscrire l’usage de l’écriture inclusive « dès lors que le droit exige l’usage du français », et en particulier dans l’enseignement.
Plus récemment, on a décrété que l’usage du mot génocide pour parler du sort des Palestinien-nes de Gaza se ferait « au mépris de sa définition juridique », et qu’il équivaudrait à franchir un « seuil moral » : la Cour internationale de Justice a pourtant, en janvier dernier, reconnu un risque plausible de génocide.
De façon peut-être plus anodine en apparence, mais selon la même logique de bannissement linguistique, le gouvernement a décidé, par le décret n° 2024-144, publié au Journal Officiel le 26 février, que pas moins de 21 termes, outre « steak », étaient désormais proscrits pour désigner des produits ne comprenant pas, dans leur composition, d’animaux morts.
Nul besoin de préciser que cette initiative pathétique n’a, comme l’a reconnu Gabriel Attal lui-même, qu’un but : répondre à « une demande de nos éleveurs », ou en d’autres termes, protéger le viandriarcat alors que le mouvement végétarien et vegan gagne en puissance.
Simple souci de rigueur sémantique, pourra-t-on nous rétorquer ? Alors rebaptisons les laits de bronzage et le beurre de karité, et allons traquer – et punir de 1 500 euros d’amende – la pauvre estivante qui, sur la plage, demandera à sa copine de lui passer la crème solaire.
Force est de se poser la question : quel gouvernement fait plancher ses juristes pour édicter, dans un décret composé de 10 articles et de 2 annexes, les bonnes manières de « décrire, commercialiser ou promouvoir un produit transformé contenant des protéines végétales » ? Quel Etat, sinon les pires régimes staliniens, demande l’interdiction de certains mots ?
Faut-il être à ce point indifférent à la plus basique définition de la liberté d’expression pour se lancer dans ces entreprises insensées, mobilisant médias, législateurs et experts, pour nous empêcher de discuter, avec nos propres mots, de la réalité qui nous entoure, d’exprimer nos vécus et de dire nos aspirations ?
Qui finalement fait, ou essaie de faire, la police du langage ? Pas nous !