Le communautarisme n’est pas une philosophie politique, mais un motif polémique, qui sert en France à faire valoir a contrario la reformulation d’une culture républicaine, laïque et nationale, prétendument menacée par quiconque en questionne les points aveugles. Communautarisme est la signature lexicale de tout discours visant à discréditer la politisation des questions minoritaires.
Il faut donc distinguer entre l’histoire des mobilisations homosexuelles et celle de la "raison communautariste". Certains mouvements gais et lesbiens des années 1970 peuvent affirmer le caractère intrinsèquement politique de la sexualité sans que leurs adversaires d’alors leur reprochent leur " communautarisme ".
À l’inverse, la mise en garde contre un "danger communautariste" est formulée pour la première fois en France à une époque de démobilisation relative du milieu gai et lesbien : pour mémoire, la manifestation organisée à Paris le 6 mai 1991 pour protester contre l’adoption par le Sénat d’un amendement au Code Pénal qui rétablissait le délit d’homosexualité instauré en 1942 par Pétain et abrogé en 1982 par Mitterrand ne rassembla pas plus de 200 personnes. Au même moment, l’argumentaire anti-communautariste commençait à prospérer au-delà du cercle restreint des revues (Le Débat) et des institutions (La Fondation Saint-Simon, l’Institut Raymond Aron) qui l’avaient forgé.
Le paradoxe n’est qu’apparent. La mise en cause du communautarisme excède la stricte question gaie et lesbienne pour viser toutes les luttes minoritaires - on se gardera donc de considérer comme homophobes l’ensemble des discours anti-communautaires : l’affaire se règle au cas par cas.
Par ailleurs, on ne peut comprendre l’offensive anti-communautariste sans la replacer dans le cadre plus général de ce qu’Éric Fassin nomme la "rhétorique française de l’Amérique" : son développement et sa fortune dépendent moins de l’appréhension objective des luttes minoritaires en France - même s’ils s’en nourrissent - que de la promotion d’un "épouvantail américain", présenté comme contre-modèle d’une tradition politique française.
Première vague
Selon Fassin, le motif du danger communautariste surgit en France à partir de 1989. La chute du Mur de Berlin consacre le succès des tenants d’un discours "libéral" dont l’énergie avait été principalement consacrée, depuis la fin des années 1970, à combattre le danger totalitaire ; mais elle la prive en même temps de son ennemi principal.
La même année, le débat sur le foulard islamique redistribue la donne : l’adversaire n’est plus le totalitarisme, mais un multiculturalisme qui risque de dissoudre l’espace politique en une juxtaposition de chapelles et de ghettos. L’Amérique, jusqu’à présent valorisée comme modèle libéral, devient le contretype auquel on opposera les vertus de la laïcité et du "modèle français d’intégration républicaine".
C’est dans ce contexte que la controverse américaine sur le "politiquement correct" est importée, au prix d’une torsion de ses significations : là-bas, la political correctness avait été l’objet d’une offensive des conservateurs contre le pouvoir, dans les départements universitaires, de minorités suspectes de connivences avec la "pensée française" (Derrida, Foucault...) ; ici, la contestation du "politiquement correct" permet de s’en prendre à des mobilisations minoritaires accusées de porter en elle les ferments de la guerre sociale - entre les ethnies, entre les sexes, entre les sexualités - qu’on dit observer dans une Amérique déchirée entre des communautés ghettoïsées.
Parti de la question des minorités ethniques, le motif communautariste sert bientôt à entamer la crédibilité des discours féministes pour culminer avec le discrédit a priori jeté sur des expressions communautaires gaies et lesbiennes. Les communautés traditionnelles - famille, classes, nation - sont épargnées : seules les communautés transversales à ces catégories sont dans le champ de tir.
La distinction entre privé et public constitue le pivot du raisonnement. On ne nie pas qu’il y ait des identités, on admet qu’on puisse être basque ou musulman, juif ou gai ; mais on estime que ces différences relèvent exclusivement de la sphère privée. La sphère publique, où s’exerce la citoyenneté, est au contraire caractérisée par son indifférence à l’appartenance à tel ou tel groupe particulier.
L’argument anti-communautariste se réclame ainsi de l’héritage des Lumières et de la Révolution, à l’encontre de la conception organiciste de l’Ancien Régime où l’individu n’existait pas comme tel, et ne devait ses droits et ses obligations qu’à son incorporation à une hiérarchie de communautés et de corporations. Il réaffirme à cet effet trois règles :
– une norme universaliste qui postule que la politique des minorités s’arrête à l’égalité des droits ;
– un principe intégrationniste qui pose l’équivalence entre assimilation et émancipation ;
– une conception de la démocratie qui exige que le face-à-face entre la nation et le citoyen ne soit troublé par aucune médiation.
Les mobilisations minoritaires dérogeraient à ces règles quand elles prétendent faire advenir dans le champ politique des questions qui n’en relèveraient pas, sauf à attiser le feu de la guerre des sexes et des cultures. Dans le cas particulier des homosexualités, il n’y aurait donc plus de problème depuis la suppression, en 1982, du délit d’homosexualité.
Ce discours prospère rapidement dans des médias de droite comme de gauche, prend les allures d’un feuilleton dans les chroniques hebdomadaires d’un Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur) ou d’un Alain Finkielkraut (France Culture), et trouve en la personne de Frédéric Martel, dont l’approximative histoire des homosexuels en France depuis 1968, Le Rose et le Noir se conclut par un plaidoyer anti-communautariste, l’alibi gai censé les acquitter de tout soupçon d’hétérocentrisme.
La donne change avec les débats sur le PaCS : issu d’une revendication minoritaire, le Pacte Civil de Solidarité, concerne tous les couples, quelle que soit leur sexualité. Dans la foulée, la revendication, par des gais et des lesbiennes, de l’ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexes, se réclame du principe universaliste de l’égalité républicaine. Dans ces conditions, la validité d’un discours anti-communautaire, dont la pierre de touche consistait dans la dénonciation d’un système politique dominé par des lobbies identitaires occupés d’obtenir, contre l’idée d’un droit commun à tous, des prérogatives spéciales, battait de l’aile.
De fait, le spectre du communautarisme américain disparaît progressivement du discours de ses promoteurs, au profit de l’assomption d’un nouveau motif rhétorique par lequel on contrera désormais les revendications gaies et lesbiennes : celui d’un ordre symbolique garanti par une bonne différence à l’exception de toutes les autres : la différence des sexes.
Nouvelle vague.
Le motif anti-communautariste ressurgit cependant, porté cette fois par la jeune Fondation du 2 mars, animée par la journaliste Élisabeth Lévy (Marianne) et éditrice aux Mille et une nuits d’Alain Finkielkraut, Jean-Pierre Chevènement, Philippe Muray ou Pierre-André Taguieff.
L’un des membres de la Fondation, éditorialiste au Figaro, Joseph Macé-Scaron, produit la formulation la plus complète de cette nouvelle vague anti-communautariste, dans un ouvrage dont le titre, La Tentation communautaire, démarqué de La Tentation totalitaire de Jean-François Revel, dit la visée. Ici encore, le communautarisme apparaît comme l’ennemi principal, dont le communautarisme gai et lesbien n’est qu’un des avatars. Ici aussi, on reprend à son compte l’argumentaire universaliste et républicain. Mais il est développé et complété.
On insiste d’abord sur "l’essentialisme" de communautés qui prétendraient "exercer un contrôle absolu et exclusif sur leurs membres" et prescriraient des normes de comportement et de représentation.
On indexe cette politique des identités à une passion contemporaine de la mauvaise conscience, qui ne reconnaîtrait d’existence qu’aux victimes au détriment d’une pensée du bien commun. La "tentation communautaire" n’est donc plus seulement le fait des groupes minoritaires : elle est désormais la perversion politique d’une démocratie faible où la figure de la victime aurait remplacé celle du citoyen.
On observe là les prémisses de la chute finale d’une culture occidentale qui aurait perdu la foi dans ses valeurs, emportant avec elle des communautés naturalisées comme la nation, garde-fous défaits d’un processus sans fin de fragmentation qui ne manquera pas d’affecter à son tour les nouveaux groupements artificiellement constitués - et d’ironiser sur la constitution à venir de communautés de juifs végétariens ou de lesbiennes bretonnes.
Enfin, on relie la tentation communautaire à l’autre figure du mal : la mondialisation techno-marchande, le différentialisme culturel et le subjectivisme narcissique promus par les communautaristes servant avant toute autre chose les impératifs du marché, au détriment d’une liberté civique jadis garantie par le cadre des États-Nations.
On fait ainsi de la fragmentation communautariste et de l’anomie individualiste les deux faces d’un même phénomène, dénoncé par Pierre-André Taguieff dans Résister au bougisme, comme une "nouvelle barbarie globaliste".
L’efficacité polémique de la grandiloquence est qu’elle fait obstacle à toute saisie concrète des questions qu’elle soulève. Quitte à passer pour un imbécile à courte vue, dont la pensée mesquine peinerait à s’élever du ras du sol et des pratiques réelles alors que l’apocalypse est au coin de la rue, on voudrait observer l’argumentation anti-communautaire à l’aune de ce qu’on sait de la communauté gaie et lesbienne.
L’ensemble de la littérature anti-communautariste pêche au moins sur trois points :
– le niveau de généralité où elle situe l’analyse, d’abord, qui lui fait mettre toutes les minorités sur le même plan ; ce qui lui permet par exemple de discréditer le "communautarisme gai et lesbien" en agitant le chiffon du "péril islamiste" ;
– la confusion, ensuite, qui consiste à considérer que "communauté" et "identité" sont strictement équivalentes ;
– l’abstraction, enfin, qui pour ne reconnaître que l’égalité en droit s’aveugle aux discriminations réelles, au risque de confondre l’universel avec le majoritaire et la démocratie avec les majorités numériques ou idéologiques.
Du ghetto
On commencera par une idée simple et pourtant régulièrement escamotée : il n’y a de communauté qu’à travers des pratiques. La communauté homosexuelle s’origine dans des pratiques sexuelles déterminées par des préférences communes. C’est pourquoi le sentiment communautaire naît dans les lieux de rencontres et de convivialité, et s’y nourrit.
Sans doute n’y a-t-il pas là matière à mettre à feu la demeure républicaine, l’existence de ces lieux de rencontre ne menaçant pas, en soi, la frontière privé/public.
Pourtant, leur développement et leur concentration dans certains quartiers fait l’objet d’une fixation critique chez les tenants du péril communautariste : ces quartiers seraient le signe d’une fragmentation de l’espace public symptomatique de la déliaison de l’espace politique ; le terme ghetto par lequel les gais et les lesbiennes eux-mêmes les désignent suffirait à la démonstration.
Le ghetto pourtant porte bien son nom, pourvu qu’on en perçoive l’ironie : il rappelle que tous les quartiers ne sont pas également sûrs pour des personnes homosexuelles qui voudraient qu’un baiser sur la bouche ne relève pas toujours de l’héroïsme inconscient. Mais ni l’humour, ni la perspicacité minoritaire n’étouffent un effarouché comme Jacques Julliard, qui prédit le jour où des banques se mettront à réserver leurs services aux homosexuels, sans expliquer comment elles pourraient concrètement mettre en œuvre le principe d’une préférence communautaire.
L’anti-communautarisme, qui met en garde contre le risque sécessionniste et l’institution d’une différence, aurait pourtant tout lieu d’être rassuré par le développement de quartiers gais : la convivialité homosexuelle, longtemps reléguée dans des lieux invisibles, s’est enfin ouverte pour entrer en interaction avec l’espace urbain. Ceux qui s’en offusquent disent, avant toute autre chose, leur sentiment trouble d’être dépossédés de lieux qu’ils croyaient leurs.
Des études
La même contradiction traverse l’ensemble du discours anti-communautariste. L’hostilité qu’il manifeste à l’encontre du développement d’études sur les homosexualités en témoigne. Qu’on se rappelle les sarcasmes d’Alain Finkielkraut, mais aussi de Frédéric Martel, quand se tint, en juin 1997 au Centre Pompidou, un colloque sur le cultures gaies et lesbiennes organisé par Didier Éribon : des intellectuels américains y participaient, le spectre des minority studies planait sur la recherche française.
On ne fera pas l’injure aux détracteurs du communautarisme de leur prêter la moindre réticence à l’égard de l’ouverture des disciplines historique, sociologique ou ethnologique à des objets traditionnellement tenus à l’écart de leur champ d’investigation. Ils s’en prennent en revanche à l’hypothèse de la création de centres de recherche sur les homosexualités.
La seule comparaison de l’ampleur de la bibliographie américaine et de la pauvreté de la production française suffirait à gagner à la cause de ces centres quiconque ne voit pas dans le développement des études une défaite de la pensée. Travailler sur les cultures gaies et lesbiennes exige un questionnement méthodologique spécifique, qui peut s’inspirer, entre autres, de la réflexion historiographique sur les classes subalternes ou sur la vie privée sans y être entièrement réductible.
L’institution de départements de recherches sur les homosexualités ne serait donc pas l’indice d’une quelconque dissidence, mais la condition de la mise en commun et de la progression de ce type de questionnement.
Un ouvrage comme Le Rose et le Noir de Frédéric Martel eût été plus rigoureux si l’auteur avait profité des instruments méthodologiques forgés outre-atlantique, dans des livres aussi importants que ceux de Lilian Faderman, John d’Emilio, Esther Newton ou George Chauncey, dont on espère encore la traduction française.
Ceux qui crient au loup communautariste préfèrent placer le débat sur un autre terrain : les études gaies et lesbiennes seraient réservées aux gais et aux lesbiennes ; et elles présenteraient le risque que les homosexuels n’envisagent plus l’histoire universelle qu’au prisme de l’homosexualité.
On hésite à répondre à d’aussi absurdes objections. Elles disent une étrange défiance à l’égard de l’université, qui n’a jamais exigé qu’on soit Chinois pour s’intéresser à l’Empire du Milieu. Elles affectent de s’étonner de ce que l’intérêt pour les questions gaies et lesbiennes procède majoritairement de personnes gaies ou lesbiennes, comme si les travaux devaient être séparés de la vie. Elles manifestent une inquiétante frilosité intellectuelle : les études gaies et lesbiennes, comme toutes les études minoritaires, interrogent les conceptions d’usage de l’universel depuis ses restes, et la norme depuis ses marges. Rien de très neuf, pour qui considère qu’il n’y a jamais eu d’avancées du savoir qu’au prix d’un déplacement du regard ; pour qui croit que la vérité a tout à gagner d’une diversification des objets d’enquête et des outils d’investigation ; pour qui estime, surtout, que la vocation de la science est moins de rassurer les consciences que d’inquiéter les certitudes.
Du privé et du public
On l’a vu le discours anti-communautariste survient en France au cœur des années sida. La prise en compte de l’épidémie aurait dû, en toute logique, ébranler certains des principes sur lesquels prend appui la rhétorique anti-communautariste : la séparation entre le privé et le public, la distinction entre le social et le politique.
C’est la caractéristique de toute question de santé publique que de nouer ce qu’il y a de plus intime (le corps, la souffrance, la mort), et ce qui engage l’ensemble de la collectivité (la prévention, la recherche, les soins). Ce le fut plus encore dans le cas du sida : la gestion des épidémies est la part la plus directement politique de la santé publique ; et le VIH se transmet dans la majorité des cas par les plus privées des pratiques : les pratiques sexuelles.
Dans le contexte du sida, l’anti-communautarisme apparaît comme une dénégation du réel et de ses urgences. L’épidémie imposait que les questions relatives à la sexualité soient traitées comme des questions politiques et que les spécificités de la population homosexuelle, pour ne citer qu’elle, soient prises en compte. Mais il fallait aussi que les communautés et leurs réseaux puissent servir de relais entre l’État et les individus, ce qui nécessitait leur institutionnalisation dans le champ politique.
Inutile de revenir en détail sur les ratés de la lutte contre le sida en France : l’initiative revint presque intégralement à la communauté homosexuelle, longtemps confrontée à la défaillance des pouvoirs publics. Reste que la plus grande part du dispositif actuel de lutte contre l’épidémie repose sur l’articulation entre institutions publiques et institutions communautaires : il est significatif que les catégories de la population aujourd’hui les plus touchées par le sida soient celles où les relais communautaires sont les plus fragiles.
On ne s’en étonnera pas, la majeure partie de la littérature anti-communautariste évite soigneusement d’aborder la question du sida. Frédéric Martel le raconte (son sujet l’imposait) mais dérape dans un lapsus sinistre : il n’y aurait de communauté homosexuelle que par le sida - une communauté de destin. Puis il referme la parenthèse sans tirer de conclusion. Il en va de l’anti-communautarisme comme de toutes les idéologies : quand le réel ne convient pas, oubliez-le.
Du particulier et de l’universel
Mais il y a plus : les formes que prit, dans le cadre de la lutte contre le sida, la mobilisation communautaire homosexuelle démentent par l’exemple quiconque prétend que l’organisation et le renforcement des communautés vise à l’obtention de droits spécifiques. La quasi-totalité des associations de lutte contre le sida naissent au sein de la communauté homosexuelle. Et toutes ces associations débordent immédiatement leur foyer initial pour mettre leur savoir et leurs énergies militantes au service de l’ensemble des populations touchées par l’épidémie - d’autres diraient le "bien commun".
Or la lutte contre le sida n’est pas une exception, imposée seulement par les contours de l’épidémie, mais le laboratoire d’une autre façon de faire de la politique :
– elle rappelle qu’il n’est pas nécessaire, pour être citoyen, de s’abstraire de soi-même, et que se battre pour soi, c’est immédiatement se battre au-delà de soi ;
– elle montre comment une communauté peut faire passer la compréhension de ses souffrances particulières - la maladie, l’expérience de l’exclusion - du statut de fatalité individuelle à celui de combat collectif ;
– elle apprend, enfin, qu’une lutte communautaire peut établir des proximités d’un point à l’autre du champ social, et élaborer des positions politiques qui ne se réduisent ni au cloisonnement des identités, ni à l’affirmation d’une citoyenneté abstraite.
Bref : elle rend caduque l’alternative entre identité privée et citoyenneté universelle.
On dira qu’il y a des contre-exemples, qu’on connaît des communautés exclusives et crispées sur des identités. Qu’il soit permis de répondre en trois temps.
D’abord, il suffirait d’un seul exemple pour ne pas jeter le bébé des politiques communautaires avec l’eau du bain communautariste.
Ensuite, il est politiquement plus productif d’aider les communautés à s’ouvrir en commençant par les reconnaître comme telles, plutôt que de favoriser leur clôture en les dressant contre la République.
Enfin, on défie ceux qui constituent le communautarisme en ennemi de l’universalisme républicain de produire une seule revendication issue de la communauté gaie et lesbienne qui ne soit explicitement universaliste.
Car il se pourrait bien que les politiques minoritaires soient plus républicaines que les républicains. L’idée républicaine - c’est sa grandeur - consiste à ne pas reconnaître dans des différences de fait liées aux pratiques, aux croyances, au sexe, à la couleur de la peau ou à l’origine, le principe d’une quelconque discrimination.
C’est donc en vertu de cette idée, et du plus précieux de ses principes, l’égalité, qu’a pu s’élaborer une politique des minorités, attentive à la dénonciation de discriminations en droit et en fait : en droit, parce que la République n’a pas toujours garanti l’égalité entre les sexes ou entre les sexualités ; en fait, parce que le principe de l’universalisme républicain, dans son abstraction, permet trop souvent de passer sous silence les discriminations concrètes liées au sexe, aux préférences sexuelles, à la couleur de la peau, à l’origine sociale, etc.
"Nous sommes les universalistes", pourrait-on dire, parce que nous ne prenons pas la norme majoritaire pour l’universel.