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Éternel retour

Brève réflexion confuse, entre lassitude extrême et inquiétude non moins extrême sur la dite guerre aux « abayas »

par Pierre Tevanian
31 août 2023

Pour qui n’aurait pas la télévision et n’écouterait pas nos grandes radios périphériques, abaya est le nom qu’on donne à des robes longues arborées par certaines élèves musulmanes qui portent généralement le foulard à l’extérieur des écoles mais se dévoilent quand elles y entrent – en conformité avec une loi néo-laïque, ou mieux pseudo-laïque, ou mieux anti-laïque, qui est en vigueur depuis près de vingt ans (après, soit dit en passant, plus d’un siècle de libéralisme vestimentaire). Lesdites abayas viennent donc d’être interdites, par décret du nouveau sinistre de l’éducation, le dénommé Gabriel Attal. De cette histoire sans fin, qui entre dans sa troisième décennie, et dont quelques épisodes marquants se nommèrent hijab, burqa, menus halal ou encore maman voilée, assistante maternelle voilée, ou encore Ilham Moussaïd ou Maryam Pougetoux (liste non exhaustive), nous proposons ci dessous, avec quelques mois d’avance, la suite prévisible autant que redoutable.

Puis les élèves frustrées et blessées par cet acharnement sans fin (et sans légitimité, détail annexe) trouveront un autre moyen, sans doute plus discret et en tout cas inattendu, de manifester leur être dans leur apparaître, puisque c’est là de toute éternité le propre de l’adolescence – et, au-delà, de l’humanité.

Ou bien, même sans le chercher, elles trouveront face à elles nos inquisiteurs chauffés à blanc (avec ou sans jeu de mot) qui dénicheront à leur place un autre particularisme (c’est le genre de mots qu’ils utilisent) problématique car ostentatoire (idem, c’est leur vocabulaire), les pantalons amples par exemple, devenus, lorsque portés tous les jours par des lycéennes à peau foncée, des abayas-par-destination.

Ils déploreront, puis incrimineront puis vitupéreront pendant douze mois avant de s’impatienter et s’indigner qu’en toute impunité et depuis si longtemps soit bravé cet interdit non-encore-existant.

Viendra alors le jour où s’imposera l’impérieuse et urgente nécessité de légiférer (ou décréter, ou circulariser) afin de légaliser rétroactivement ledit interdit-non-encore-existant, cela bien sûr dans le but de ré-affirmer la règle, et aussi ne-pas-laisser-les-enseignants-et-les-proviseurs-démunis-dans-le-flou-et-la-confusion, et enfin apaiser-le-vivre-ensemble-laïque-dans-nos-établissements-scolaires, restaurer la concorde et renforcer le-tissu-social, bref : mettre-un-point-final-à-ces-problèmes-qui-n’ont-que-trop-duré, en attendant le prochain faux-pas capillo-cosmético-vestimentaire, la prochaine panique morale, la prochaine guerre et la prochaine purge.

Tout cela est connu depuis la nuit des temps, a pu être nommé hubris, boite de Pandore, cercle vicieux ou fuite en avant, et s’est manifesté dans toutes les chasses aux sorcières, au propre ou au figuré, de Jean Bodin à Torquemada, de Staline à McCarthy, de Pol Pot à tous les emballements fascistes et fascisants.