Je n’ai jamais entendu personne, même parmi ses ennemis intimes, taxer Tariq Ramadan de sottise ou d’imbécillité : on insiste même à l’occasion sur son intelligence, comme élément à charge des procès en sorcellerie qu’on lui intente.
Or, lorsqu’on n’est pas un imbécile, on prend garde de ne pas propager des idées auxquelles on serait hostile, sauf à avoir la certitude de pouvoir les neutraliser.
Comment peut-on, dès lors, pour reprendre la formule employée par les « ex-féministes » de Pro-Choix, chercher à se faire passer pour un « réformiste progressiste » quand on serait en réalité un « fondamentaliste » ? Je passe ici à pertes et profits la question du sens (et même de l’existence d’un tel sens) des mots ici soulignés.
Selon ses accusateurs, donc, Ramadan serait un « fondamentaliste » cherchant, à travers un « double discours », à se faire passer pour un « réformiste progressiste ». On comprend que pour ces accusateurs, les deux formules sont rédhibitoirement incompatibles. L’affirmation est donc que l’intéressé mentirait en se faisant passer pour « réformiste progressiste », afin de cacher la réalité de son « fondamentalisme ».
Or, pour qu’un tel « double discours » puisse avoir une efficacité, il faudrait que l’on puisse distinguer deux auditoires : celui des « naïfs » (moi, vous, les gens « normaux »), qui, n’ayant accès qu’au discours « progressiste », accorderaient crédit à son auteur, en restant dans l’ignorance de l’autre discours, « fondamentaliste » ; et celui des « affranchis », qui sauraient bien que le discours « progressiste » n’est qu’un leurre, et ne s’intéresseraient qu’à l’autre, le seul « authentique ». Mais on se demande alors si, avec le premier de ces « discours », la maître du double langage ne se tirerait pas une balle dans le pied. Pourquoi, en effet, prendrait-il le risque de convaincre une partie de son public (les musulmans de France, par exemple ; les « jeunes des quartiers », comme on dit...) de la justesse de positions « progressistes », si le fond de sa pensée y est radicalement contraire ?
Imaginer une telle gymnastique repose en fait sur un postulat : le public auquel Ramadan destine son discours serait lui-même aguerri au « double langage », et saurait très naturellement distinguer le bon grain « fondamentaliste » de l’ivraie « progressiste », ce que l’on pense vraiment de ce que l’on veut faire croire aux gogos, la pensée authentique du leurre. Il saurait naturellement compter le discours « exotérique » pour nul et le discours « ésotérique » pour seul valable. Il serait d’emblée dans la combine.
Quel intérêt un « fondamentaliste » pourrait-il avoir à se faire passer pour « progressiste » ? S’il veut propager des idées « fondamentalistes », pourquoi propagerait-il en même temps des idées contraires, « progressistes » ? S’il est en réalité hostile à la pensée « progressiste », pourquoi courir le risque de la propager ? L’idée de « double discours » n’a de sens que s’il existe en outre une « clé de lecture », un troisième discours - caché, clandestin, voire implicite - seulement accessible au « cœur de cible » de notre auteur. Or, à ma connaissance, personne n’a jamais mis en lumière ce « troisième discours secret », par lequel on inviterait le public sensible au discours « fondamentaliste » à ne pas prêter attention au discours « progressiste ».
Dès lors qu’on a exclu l’hypothèse de l’imbécillité ou de la sottise, et dès lors qu’on ne peut mettre en évidence, au dessus du prétendu « double discours », la grille de lecture permettant de séparer le « sincère » du « masque », il ne reste qu’une possibilité : les musulmans de France auxquels s’adresse Ramadan comprennent d’emblée la duplicité de l’auteur, l’approuvent et la partagent. Nous avons affaire à une secte elle-même aguerrie au « double discours », secte à laquelle Ramadan veut donner des armes, et non à une population de gens « normaux » comme vous et moi, capables de prendre au pied de la lettre le discours « progressiste » et d’y adhérer.
C’est un fait bien connu : l’arabe est fourbe. On ne le répètera jamais assez.