Frédérique Calandra a porté plainte pour diffamation contre moi en tant que responsable de publication du site Les mots sont importants, pour un texte intitulé « Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau » et publié le 23 février 2015.
Ce texte critiquait, en utilisant le mot censure, le fait que la maire du 20ème arrondissement a interdit la tenue d’un débat sur les violences sexistes avec Rokhaya Diallo en mars dernier, et surtout la manière dont cette interdiction a été justifiée. Il revenait un par un sur les arguments qui ont été donnés pour refuser la présence de cette journaliste, réalisatrice et militante féministe et anti-raciste : tous sont liés à ses idées et à ses prises de position. Enfin l’article pointait la contradiction entre les principes affichés par la mairie du 20è arrondissement « Liberté d’expression » et ce refus de débattre.
Mais aujourd’hui il ne s’agit pas seulement de refuser un débat, mais d’intimider et de nous faire taire.
La plainte pour diffamation implique la convocation par la police puis par le juge pour une mise en examen qui est automatique. Elle est coûteuse puisqu’elle nécessite un avocat. Elle est de fait intimidante, comme l’est la confrontation avec l’institution policière et judiciaire – et je suis consciente que beaucoup la vivent avec bien moins de ressources que moi.
Depuis octobre, cette plainte nous prend beaucoup d’énergie, génère de l’anxiété, nous détourne en tous cas de choses bien plus intéressantes à faire. Pour autant elle ne nous paralyse pas, bien au contraire. Dès l’annonce de la plainte, nous avons publié un texte « De quoi Frédérique Calandra est-il le nom ? ». Aujourd’hui nous lançons une campagne « Légitime défonce ! » - une expression à prendre avec ce dont la maire semble totalement dépourvue : l’humour.
Mais ce n’est pas seulement l’humour qui lui manque. Cette plainte montre que Calandra est dépourvue de ces deux autres choses que nous avons nous, qui sont les plus précieuses.
La première c’est l’énergie militante de ce féminisme inclusif qui s’est construit depuis 10 ans et qui n’est plus minoritaire. Ce féminisme ne suppose pas que nous soyons d’accord sur tout, car il reste beaucoup de question à débattre, mais il se refuse en tous cas à considérer que certaines femmes sont plus aliénées que d’autres à cause de ce qu’elles portent. Ce combat, qui refuse toute instrumentalisation raciste de la cause féministe, connaît un écho de plus en plus grand dans le champ militant. Ce n’est pas le cas de ceux et celles qui n’ont pour exister que le soutien institutionnel, et en partie médiatique, et désormais l’arme judiciaire.
La deuxième chose qui fait notre force, ce sont nos analyses et nos arguments, ceux qu’inlassablement depuis plus de 15 ans le collectif Les mots sont importants s’efforce de publier. En mettant en évidence les amalgames racistes, leur euphémisation, en étudiant la recomposition du racisme à travers la question du voile et de l’islam, puis des Roms. En 1998, dans le livre Mots à maux, nous dénoncions le consensus croissant sur le « problème de l’immigration », qui renvoyait les immigrés dans l’altérité, du côté du danger et des « problèmes » qu’évidemment ils posaient aux autres, les « Français ».
Ce « problème » venait évidemment en cacher d’autres, celui du chômage de masse, de la précarité, des discriminations, des violences policières, passés à la trappe. En 15 ans la banalisation du racisme, ce que nous appelions « lepénisation des esprits », est sidérante. Aujourd’hui on peut lire sous la plume d’un éditorialiste que le FN ne mérite plus stricto sensu l’accusation de racisme, et qu’il n’y a pas eu l’année passée un seul incident grave contre les musulmans.
Cette phrase est de Jacques Julliard, que je cite, car c’est aussi ce qui est visé à travers cette plainte contre LMSI : le fait que notre critique anti-raciste passe par la citation précise des propos qui sont tenus. Certes les individus sont pris dans des logiques sociales, comme on dit en sociologie, mais citer nommément c’est rappeler qu’ils sont responsables, surtout quand ils occupent des positions de pouvoir, dans des journaux ou des ministères. C’est dire qu’ils sont aussi responsables de la montée de la haine dans la France de 2016.
A défaut d’arguments, la plainte est la seule arme dont dispose cette élue, Frédérique Calandra, face à des individus avec qui elle n’est pas d’accord. Une élue, rappelons-le, qui va très probablement parvenir à se faire payer par l’Hôtel de ville (donc par les contribuables) les lourds frais d’avocat générés par trois plaintes. Une élue qui n’envisage le débat que comme un combat de boxe avec protège-dents obligatoire, jamais une confrontation d’idées, pour finalement refuser de l’envisager tout court.
Il faut en effet rappeler que, après le débat reprogrammé par les Verts avec Rokhaya Diallo, la maire a tout simplement annulé l’ensemble des autres débats et projections prévues pour le 8 mars, dont la projection dans le 20è arrondissement du film « Je ne suis pas féministe, mais… », pourtant annoncée par la Mairie de Paris. Depuis ce film a été montré dans une dizaine de pays différents où personne n’en croit ses oreilles quand on raconte cette histoire.
Aujourd’hui nous demandons le retrait des plaintes, et nous vous demandons votre aide pour l’obtenir car elles sont insupportables et inadmissibles.
Nous appelons aussi les élus aux élus du 20ème arrondissement et du conseil de Paris, de gauche et de droite, de se positionner publiquement sur les plaintes de Frédérique Calandra : les trouvent-ils justifiées, ou non ? Si elles les choquent, que pensent-ils faire ? En d’autres termes, quelle est leur conception de la liberté d’expression, une question qui est bien au cœur du débat.