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En finir avec la déshumanisation raciste dans les médias

Retour sur une récente affaire Caroline Fourest

par Réseau Éducation Sans Frontières du Lycée Paul Éluard (Saint Denis)
22 octobre 2023

Les lignes qui suivent reprennent, avec son autorisation, un communiqué publié initialement par le collectif RESF du lycée Paul Éluard, le 3 octobre 2023. Nous étions alors avant le nouvel embrasement du Moyen-Orient et le meurtre du professeur Dominique Bernard, qui ont occasionné en France bien d’autres instrumentalisations ou dérives odieuses, notamment antisémites, islamophobes ou plus largement xénophobes. De la part, entre autres, et une fois de plus [1], de la même Caroline Fourest, qui a profité des événements – et de l’émotion extrême qu’ils avaient provoquée – pour livrer une fois de plus à la vindicte, de manière aussi gratuite qu’irresponsable, des intellectuels comme Eric Fassin ou les journalistes de Mediapart, accusés d’ « attaquer tout politique qui défend la laïcité », de « s’en prendre à ceux qui alertent », et donc de systématiquement « entraver l’action de l’État et des laïques » dans la prévention de l’hyperviolence djihadiste : « c’est de leur faute si ceux qui se battent pour défaire l’islamisme avant qu’il se transforme en djihadisme sont si fatigués ». Sans oublier les associations d’aide aux migrants et le Parti Communiste, rendus directement responsables de l’assassinat de Dominique Bernard, de manière tout aussi infondée [2], dans un insidieux éditorial du magazine Franc-Tireur : « Dominique Bernard était professeur de français, il n’a montré aucune caricature de Mahomet, et il est mort quand même. Tué par un autre ­djihadiste du Caucase imbibé de haine, celle que sa famille lui avait inoculée… Et que des associations proches du Front de gauche ont empêché d’expulser ». Les lignes qui suivent concernent une sortie précédente de l’éditorialiste, qui perpétue, banalise et légitime les pires stéréotypes validistes et psychophobes [3], mais aussi les campagnes les plus abjectes et anxyogènes de l’extrême droite sur le « péril migratoire ».

Le collectif RESF du lycée Paul Éluard de Saint-Denis dénonce les mensonges proférés sur le plateau de LCI mardi 26 septembre par Caroline Fourest à l’encontre des mineur-es isolé-es et des migrant-es et demande à LCI et aux médias de mettre fin à la déshumanisation raciste qu’ils opèrent quotidiennement.

Personnels de l’Éducation nationale dans un lycée du 93, nous suivons dans leurs démarches administratives des mineur-es isolé-es, et, plus généralement, des jeunes migrant-es ou étrangers et étrangères, afin que les dysfonctionnements institutionnels, nombreux, n’entravent pas leur droit fondamental à l’éducation.

Caroline Fourest affirme publiquement que les mineur-es isolé-es sont « dangereux » : « agressifs, violents, violeurs ». Ces propos sont similaires à ceux qui ont valu à Éric Zemmour une condamnation pour incitation à la haine raciale. Que la polémiste attribue la supposée violence intrinsèque des mineur-es isolé-es à la violence qu’ils et elles ont subie lors de leur parcours migratoire ne change rien. Les mineurs isolés ne sont pas dangereux, ils sont en danger, abandonnés par les institutions et les responsables politiques.

Ces dernières années, nous avons suivi F., jeune femme prise en charge comme mineure isolée, que la France veut expulser maintenant qu’elle est majeure et qu’elle a son bac, pour la renvoyer dans une famille qui l’a excisée et veut la marier de force ; O. qui est resté des semaines à la rue, a dû passer par un juge (comme 80 % de ces jeunes ) pour que sa minorité soit reconnue alors qu’il en avait des preuves authentifiées par le ministère de l’Intérieur et a attendu un an pour être inscrit dans un collège ; A. qui a annoncé en pleine classe avoir fait une tentative de suicide quelques mois plus tôt du fait de l’attente d’une réponse à sa demande d’être reconnu comme mineur isolé ; J. à qui on a refusé le statut de mineur isolé, qui était hébergé à une heure et demie du lycée, qui a quand même eu son bac avec mention bien et qui poursuit maintenant comme majeur sans statut, dans une très grande précarité, des études supérieures en économie et gestion.

Sans aucune expérience de terrain ni compétence pour parler de ces jeunes, Caroline Fourest se moque bien de leur réalité : leur vie ne vaut pas qu’elle prenne 5 minutes de son temps pour se documenter quand elle va en parler devant des centaines de milliers de personnes. C’est ainsi qu’elle affirme défendre l’Aide Médicale État (AME) pour les mineur-es isolé-es contre les attaques de l’extrême-droite. Or, ils relèvent de la protection universelle maladie (Puma) et les renvoyer à l’AME serait une dégradation de leur situation. De plus, l’AME est attaquée par Emmanuel Macron lui-même ou Les Républicains.

De même, elle prétend défendre la scolarisation de ces jeunes contre l’extrême-droite. Or, même si l’extrême-droite est évidemment un danger, c’est bien le gouvernement actuel qui entrave la scolarisation de ces jeunes, les abandonne à la rue, les fait harceler par les forces de l’ordre pour empêcher tout regroupement qui visibiliserait le problème. Enfin, la polémiste efface la diversité et les légitimités des causes des migrations, par exemple les guerres ou les crises climatiques, en envisageant seulement le cas de « victimes des Talibans », ou des « complices de Daesh » qui voudraient venir en France.

Caroline Fourest rationalise son discours de déshumanisation et entend discréditer les défenseurs des droits humains universels. Pour elle, garantir des droits fondamentaux (santé, scolarisation, etc.) d’enfants et de jeunes, et dénoncer leur atteinte par la France seraient de la « morale » et non de la « politique ». Elle demande à ce qu’on puisse aborder « sans passion » la possibilité que la prise en charge des mineur-es isolé-es, une obligation à laquelle la France est tenue par les conventions internationales, ne soit plus effective. Elle projette sur l’ensemble des citoyen-nes son propre manque de compassion en affirmant que face aux milliers de migrant-es morts noyé-es, les Français-es seraient « fatigué-es, usé-es d’être sollicité-es, de voir la difficulté de l’accueil, l’effort que cela représente ».

Jamais elle n’aurait osé tenir de tels propos au sujet des Ukrainien-nes, jamais à leur sujet on ne l’aurait laissé dire les horreurs qui n’ont rencontré que le silence approbateur de David Pujadas et du plateau quand il s’agissait d’enfants ou de jeunes venu-es d’Afrique ou d’Asie. Nous refusons à Caroline Fourest le statut d’universaliste qu’elle usurpe depuis vingt ans ; quand des droits fondamentaux à l’accueil et à la protection sont niés à des mineurs en raison de leur origine, quand on justifie cette négation des droits au nom d’un prétendu danger que ces jeunes représenteraient pour la société, le jésuitisme avec lequel la polémiste se justifie ne peut faire oublier qu’il s’agit là d’une hiérarchisation des vies et d’une mise en danger. Nous combattons cette hiérarchisation des vies au nom des idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité et des droits fondamentaux que nous reconnaissons, nous, à tous et toutes.

Notes

[1Elle avait déjà publié, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, le tweet suivant : « Le temps des copinages suffit. Jean-Louis Bianco doit partir car il désarme la République en mettant la laïcité au service de ses ennemis. »

[2Ces organisations s’était opposés à l’expulsion de la famille il y a neuf ans, en 2014, à une époque où aucun élément n’était connu à son propos.

[3L’idée selon laquelle les traumas et les troubles mentaux prédisposent à devenir soi-même dangereux pour autrui, alors que les professionnels de la santé mentale savent et disent depuis longtemps que lesdits malades mentaux sont statistiquement moins que la moyenne coupables de violences sur autrui, mais davantage. À ce sujet, voir Anne Prigent, Les malades mentaux, victimes avant tout, Le Figaro, 22/07/2014, et Anne Lovel, Travaux préparatoires à l’élaboration du plan violence et santé, mars 2005.