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Babil d’un pseudo-Laïc

Exégèse d’un lieu commun début de siècle

par Khalid Keddouch
8 avril 2013

D’abord, que l’on s’entende sur le portrait ! Le Pseudo-Laïc est jeune, approchant la trentaine, d’obédience mélenchoniste, il vote contre la droite et a des amis musulmans, catholiques et juifs, raison pour laquelle aucun procès de racisme ne peut être intenté contre lui – il a ses cautions religieuses ! Un jour de TD de première année de psychologie dans une université de Provence, il fut frappé d’une illumination : il allait entrer dans un combat révolutionnaire pour prouver que Dieu n’est que la conséquence de la paranoïa humaine !

Moi, Laïc de confession, je vais te le prouver, à toi croyant atteint d’une maladie mentale.

Pourquoi « révolutionnaire » direz-vous ? Parce que notre pseudo-laïc est convaincu par cette révélation. Il est temps que Dieu soit déclaré définitivement mort ! Et comme ses amis juifs et catholiques sont plutôt discrets, son terrain d’expérimentation sera « le cerveau mahométan »…

« Nous, en France »

C’est devenu un tic de langage. D’aucuns considéreront que cette formule est le reflet d’une société qui n’a de collectif que le nom. En d’autres termes, ce « nous » n’est peut-être que la transformation énonciative inconsciente d’un « moi, je ». Il est aussi et surtout un réflexe de marginalisation qui relègue une partie du « nous » dans une espèce d’anesthésie intellectuelle – j’y reviendrai.

Nous, en France, on s’est battu pour la laïcité !

D’autres se sont interrogés sur une telle formule, et ont souligné ses implicites racistes et néocolonialistes – il est donc inutile d’y revenir. Ma démarche est, et a été auprès du Pseudo-Laïc, de lui expliquer que, d’un point de vue rhétorique, elle procédait d’une exclusion de ceux qu’il appelait ses amis. Le détachement du thème en tête de la phrase est en effet une opération de mise en relief que les stylisticiens nomment l’emphase : n’est-ce pas là, d’ores-et-déjà, une altération de soi pour dominer l’autre ? Le locuteur adopte en somme une posture condescendante qui exclut l’interlocuteur d’un « on » nébuleux dont l’accès est impossible – si bien qu’une première contradiction surgit : pourquoi fermer les portes au musulman, si ton objectif initial était de « l’intégrer » au cercle enchanté de tes amis ?

Le « Nous » est renforcé par le complément circonstanciel de lieu « en France ». Vous ne l’ignorez pas : le cerveau mahométan est en manque de repères ! Il se situe dans l’ordre de la transcendance et de l’irrationnel. Il faut donc que le Pseudo-Laïc le réinsère en lui prodiguant quelques précieuses balises spatiales. Le « en France », précédé du « Nous », constitue ainsi un premier jalon planté dans la tête de l’ami religieux dyspraxique [1]. Mais nous parvenons alors à un paradoxe communicationnel. La deixis nécessite une référence claire aux éléments qui composent la situation d’énonciation : or, l’embrayeur « nous » réfère à une instance générale et imprécise. D’ailleurs, cette référence inclut l’interlocuteur. De fait, ce dernier est présent dans l’espace « France ». Les références du pseudo-laïc s’en retrouvent vides. Alors, une autre question se pose : cette vacuité référentielle n’annule-t-elle pas l’objectif recherché par l’insistance emphatique ? Guider l’autre avec des repères imprécis et faux révèle un trouble sur lequel l’ex-étudiant en psychologie devrait se pencher. D’autant qu’un autre questionnement arrive...

La langue est un système qui varie dans le temps et dans l’espace. Une approche sociolinguistique permet de dégager des variations de type diachronique (changement temporel), diatopique (changement spatial) ou diastratique (changement situationnel). On peut ajouter à ces variations une composante personnelle : l’histoire de l’individu joue également un rôle dans son indexation linguistique et donc sociale. Puisque nos origines déterminent nos manières de parler, un auvergnat n’aura pas le même comportement linguistique qu’un petit métèque banlieusard et mangeur de chocolatines – pains au chocolat, si vous résidez au-dessus de l’Auvergne... La variation diachronique étant traitée dans la partie où j’analyse la référence des déictiques(les éléments de l’énonciation), je me limiterai à étudier ce dernier paradoxe linguistique qu’est la variation diastratique. L’usage de l’emphase peut, dans certaines circonstances, relever du babil :

« - mon papa, il est gendarme !

- Eh ben ! Moi, mon papa, il est chef des gendarmes ! »

Mon exemple est certes peu glorieux, mais il montre que l’emphase est une opération récurrente chez les enfants. Comme nous avons affaire dans mon cas à deux adultes trentenaires, nous pouvons considérer qu’il s’agit simplement d’une stratégie d’infantilisation de l’allocutaire : le locuteur pense adapter son registre de langue à la situation. Le Mahométan n’est-il pas un éternel « jeune » ? Plus que paranoïaque, le musulman est atteint de schizophrénie…

Enfin, cette assertion péremptoire souffre un dernier problème. Comme j’ai une bibliothèque qui ne se limite pas au Coran et à ses différentes exégèses, j’ai pris ma Bible grammaticale pour vérifier la définition du verbe : « se battre ». Je sentais bien que l’utilisation qu’en a faite notre ami était spécieuse, et la GMF (la Grammaire Méthodique du français de M. Riegel, J.-C. Pellat et R. Rioul) me l’a confirmé :

D’un point de vue sémantique, la tradition grammaticale oppose le verbe au nom en se fondant sur le découpage du réel : les substantifs (statiques) sont dénotés par les noms ou substantifs, alors que les phénomènes (dynamiques) sont signifiés par les verbes, « les noms estant pour signifier ce qui demeure, & les verbes ce qui passe » (Grammaire générale et raisonnée, 1660). Et, depuis Aristote, le verbe est associé au temps : il est « vox signifians cum tempore : un mot qui signifie avec le temps une définition que traduit littéralement l’étiquette Zeitwort de la grammaire allemande.

Le verbe est donc associé au temps, il signifie ce qui passe. Alors, intéressons-nous au temps du verbe « se battre » dans notre phrase. Il y a d’abord une contradiction entre la posture très docte du locuteur, qui voudrait faire passer son propos pour une vérité générale et éternelle. Il y a ensuite une difficulté à cerner la valeur du passé composé dans la formule, ne serait-ce que parce que le Pseudo-Laïc semble alors s’exclure du « nous » – puisqu’il n’a pas connu cette glorieuse époque où l’on s’est battu... Ce passé composé ne peut pas davantage être aspectuel puisque le procès est réalisé dans sa globalité : si la laïcité demeure, le combat à son sujet n’a plus lieu d’être !

Babil, ai-je dit ?

N’est-ce pas le propre du babil que de tenir des propos insignifiants ? Jusqu’au seizième siècle, le verbe « babiller » a signifié « bégayer » – et, comme le précise un autre sacré livre, le Dictionnaire historique de la langue française :

« il s’est employé transitivement du XIIIe s. au XVIe s. pour “dire en bégayant, peu clairement”. L’argot des Coquillards l’a utilisé au sens de “bavarder à tort et à travers” … »

L’insignifiance du « Nous », du « on » et du verbe « se battre », ainsi que la répétition d’éléments qui ne renvoient à aucune référence, m’ont permis de qualifier mon ami de babillard. Il bégaie intellectuellement puisqu’il se soumet à une doxa médiatique qui a pour effet de crétiniser les esprits. Bon nombre d’intellectuels – pseudo, eux aussi – bégaient de la sorte : dès que le mot Islam est lâché, on lève le bouclier Laïcité, quitte à ne rien dire ou à se livrer à une sorte de psittacisme [2] quasi clérical, en répétant inlassablement ce qui a été dit... Quel est le communautariste dans l’histoire ?

Notes

[1la dyspraxie est un trouble qui se caractérise par une perte de repères spatio-temporels.

[2C’est-à-dire la répétition d’un raisonnement sans en comprendre le sens.